« Laisse-la crever. Je t'assure qu'elle est à sa place là où
elle est. Après tout, ce n'est qu'une femme. » Dans la bouche du milicien
taliban Qassim Abul Jabbar, cette phrase résume le livre. C'est un ouvrage
court et cinglant, comme un coup de cravache. Tels ceux avec lesquels ces fous
de Dieu, dans Kaboul, rabattent les fidèles vers la mosquée.
C'est un ouvrage sur la disparition de la femme du paysage
humain. Reléguée au rang de vecteur de procréation, à la seule fin de perpétuer
les adorateurs de Dieu. La femme chosifiée, ainsi que se qualifie Zunaira,
l'avocate condamnée à dissimuler sa beauté sous ce tchadri qu'elle exècre.
C'est un ouvrage sur l'effacement des cultures, sur le détournement des
écritures saintes à des fins d'appropriation du pouvoir.
C'est un ouvrage dans lequel des créatures sanguinaires,
avec pour toute culture celle de la Kalachnikov, y parachèvent un obscurantisme
nauséabond. C'est l'ouvrage du désespoir fait homme.
Kaboul n'est plus qu'un épiderme squameux où les tumulus des
tombes comblées à la hâte, au gré des exécutions, sont autant de bubons qui
témoignent de sa maladie.
Et pourtant, quelques sentiments émergent avec prudence de
l'océan noir qui a englouti la joie de vivre dans ses abysses de haine. Des
relents d'humanité se raniment alors, comme la flamme d'une bougie dans
l'obscurité des catacombes. C'est ce qui arrive à Atiq, le geôlier malgré lui,
qui laisse dépérir sa femme malade, sans le moindre secours. Il découvre un
jour la grandeur d'âme de celle-ci, lorsqu'elle lui propose de prendre la place
de Zunaira, condamnée à mort, à la faveur du tchadri, le voleur d'identité, qui
pourra tromper les bourreaux.
Yasmina
Khadra n'a pas son pareil pour traduire les ressentis, les infiltrer
dans l'esprit de son lecteur et le convertir aux états d'âme de ses
personnages.
Et au final le message qui passe. Prends garde ! Toi qui vis
dans l'insouciance du confort. le sournois est dans ton dos. Jaloux de ton
succès, il sera d'autant plus cruel qu'il aura forgé son ignorance et trompé
son discernement au discours du prêcheur.
A lire absolument, d'un seul trait, comme un coup de cravache en travers de la figure.