Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

lundi 9 juin 2014

L'équation africaine ~~~~ Yasmina Khadra

 


Il faut savoir terminer un roman. le lecteur qui progresse au fil des pages s'interroge toujours sur l'épilogue. Quand on replace cet ouvrage de Yasmina Khadra sur le rayon de sa bibliothèque, on se dit qu'on y reviendra. Avec un sujet aussi grave, la fin ne déprime pas. Elle est un peu comme la flamme d'une bougie dans un univers de ténèbres. Fragile, mais obstinée. C'est une force dans la conception d'un ouvrage que de savoir le terminer sans pour autant laisser augurer de l'issue dès les premiers chapitres. Et si je commence par la fin, c'est que je m'y suis retrouvé sans m'en rendre compte, tellement le voyage a été absorbant.

La fin est une chose, mais le corps du texte en est une autre. Et là encore, cet ouvrage de Yasmina Khadra, c'est du généreux, du sincère, du bienfaisant. Quel plaisir de lire de telles pages de littérature, dans une langue de qualité.

J'avais découvert cet auteur avec " L'attentat". Je m'étais promis d'approfondir sa connaissance et le fais avec " L'équation africaine". Je confirme ma première impression, la conforte même. Cet ouvrage, plus encore que le premier, me subjugue par la qualité de la retranscription des sentiments, de leur traduction en mots, en phrases. Et Dieu sait si l'exercice est difficile. La colère, la révolte, la résignation, le découragement, l'indignation, la détresse, la déprime, l'irritation, le mal-être, l'humiliation, le lecteur se les approprie, les ressent à la place des héros. Mais curieusement jamais de haine. Comme si finalement, après l'avoir déprécié, déconsidéré, Yasmina Khadra révèle une foi souveraine en l'Homme. Et puis bien sûr, et heureusement, l'espoir, la jubilation. Même l'amour dont on perçoit le frisson, ses bouffées de sensualité, presque incongru, mais tellement troublant et tyrannique.


Pour avoir vécu quelques temps en Afrique de l'est, j'ai retrouvé dans ces pages la touffeur de l'air immobile surchauffé, le sable qui colle à la peau moite, la bouche douloureuse de sécheresse, le regard qui se perd sur ces étendues de sables et de roches volcaniques, l'usure du corps et de l'esprit sur les pistes rocailleuses quand chaque pas est un exploit.

Il y a certes de l'action dans ces pages, mais la richesse est surtout dans cette capacité à décrire et faire comprendre les états physiques et psychologiques, le ressenti, le vécu intérieur. J'ai retrouvé ce qui avait retenu mon intérêt chez cet auteur avec peut être encore plus d'acuité. Une force suggestive inouïe.

Placés dans un contexte contemporain, dans les soubresauts désordonnés des confrontations modernes, les protagonistes vont vivre des événements avec une intensité paroxysmique. Ils en connaissaient certes l'existence, mais de façon dérisoire, à la manière de l'Européen blasé qui se fait bourrer le crâne des malheurs du monde par les médias, sans savoir ce que cela recouvre réellement. Comme une fiction.

Mais aussi, à quoi sert la détresse si elle n'a pas de spectateur. Si elle ne peut pas éclater à la face du monde. de ce monde de nantis qui vivent dans le confort, abreuvé d'informations dont ils ne mesurent pas le poids de souffrance. Quand il ne reste alors aux êtres abandonnés que ce combat d'arrière-garde contre la mort en ultime bravade dédaigneuse. Là est la vérité du vivant sur terre.
Je me suis promis de relire cet ouvrage pour en capter toute la substance. On ne peut pas la percevoir dès la première lecture. Il n'y a aucune phrase superflue, aucune fioriture. Tout est vrai, lourd de sens. Même l'anecdote, quand au milieu de nulle part, lorsque le regard du novice ne voit que sable et cailloux, alors qu'il croit être seul au monde, surgit d'on ne sait où, comme de sous une pierre, un enfant au regard fixe, une femme décharnée, ployée sous le poids d'un bidon d'eau ou d'un fagot de bois. Ce n'est pas anecdotique en fait. C'est vrai. C'est le désert qui vit. C'est l'Afrique.