Je n'ai en effet pas de passion pour le "gore". Je cherche donc
encore les raisons qui m'ont poussé à aller au bout de ce road movie sanglant.
Mais je vous l'affirme dans ces lignes, Anima fait partie de ceux qui ont rivé
mes yeux sur leurs pages au point de mettre ma ponctualité en danger. Force
m'est donc de confirmer votre encouragement et de l'applaudir de mes deux
mains, ensanglantées, au moment de reposer ce roman sur son rayonnage. Oui,
j'ai beaucoup aimé.
Wahhch Debch, son héros, est parti sur les traces de l'assassin de sa femme.
Pas pour se venger. Pour le regarder dans les yeux. Pour comprendre. Mettre un
visage humain sur la sauvagerie. Une forme d'exorcisme. Tuer est un acte qui
doit répondre à une loi occulte. Mais la sauvagerie, trouve-t-elle une
justification quelque part ? Il n'y aura que le regard pour le dire.
Sur son chemin les animaux l'observent. Ce sont eux les narrateurs de son
parcours en quête d'apaisement. Ils racontent le monde des hommes tel qu'ils le
voient. Sans jugement. Des perceptions seulement, selon le sens le plus
développé de l'un ou de l'autre. L'odorat avant tout. Il identifie sans faille
et décode même les intentions. L'odeur, du sang, des humeurs, des vapeurs
artificielles dont s'ennuage l'espèce humaine. La vue, des gestes du prédateur.
Les cris, ceux de la victime. Le goût, qu'ils n'ont si peu, parait-il. Le toucher,
des matières, la caresse parfois, les coups plus souvent, la déchirure des
griffes et mandibules. Et puis ce sixième sens que n'a pas l'homme, la
perception du danger. L'intuition.
Point de sagesse, point de sottise chez les animaux. Point d'étonnement ou de
contentement. Sur le parcours de qui cherche l'assassin de sa femme, ils
observent cet autre animal dont on vante la supériorité de l'intelligence. Et
pourtant, ce bipède avide de toujours plus, pétri d'orgueil et de cupidité, si
poltron devant la mort, convoite, jalouse, s'arroge des pouvoirs, condamne. De
quel droit, quand ce n'est pas pour survivre ?
Le procédé narratif donne à cet ouvrage son originalité. Son
"origénialité" me permettrais-je de dire si j'avais le pouvoir
d'inventer des mots. De ce procédé narratif, on en tire la conclusion qu'aucune
bête au monde, même quand elle se repaît des entrailles de sa proie, ne
rivalisera avec la trivialité et la bassesse humaines. Les animaux, qu'ils
soient chat, chien, mouche, corbeau, mais aussi blatte ou araignée, souris et
tant d'autres encore qui nous racontent le passage de Wahhch Debch dans leur
champ de perception nous disent tous que l'horreur est humaine. La vérité quant
à elle est animale. Car dénuée de préjugés, de haine. Relisons au passage le
monde vu par le poisson rouge dans son bocal. Mémoire de poisson rouge. C'est
du vrai talent. C'est avec cette approche de la nature humaine que l'on mesure
le génie de ce procédé narratif si original.
Pourquoi l'ai-je donc lu jusqu'au bout cet ouvrage ? Pourquoi m'a-t-il collé
aux doigts ? Pas à cause de l'hémoglobine. Car au final j'ai perçu que
l'intention n'est pas dans le sordide. C'est un artifice. L'intention est
ailleurs. Je l'ai lu jusqu'au bout sans doute parce qu'en qualité de membre d'une
espèce capable d'amour, je me suis senti le devoir d'assumer aussi ses
manifestations de haine. Peut-être aussi me suis-je dit qu'un monstre sommeille
en tout homme et que l'amour que j'ai reçu dans ma vie l'a entretenu en moi
dans son hibernation. Quelle chance. Mais plus surement l'ai-je lu jusqu'au
bout parce que j'ai moi aussi la conviction qu'on guérit d'autant moins de son
enfance lorsqu'elle a été baignée d'épouvante. Ou encore ai-je été fasciné
qu'un auteur trouve les mots, le style pour traduire le glauque, le monstrueux,
sans révulser son lecteur ?
Anima est un ouvrage certes dur, mais tellement atypique. Le dénouement est
superbement amené. Ce roman témoigne d'un vrai talent. Ne vous laissez pas
rebuter par le choc des scènes de violence. C'est la nature humaine. Laissez
les animaux vous le raconter.
Homo erectus horribilis. Ça aussi je l'ai inventé. Mais ce pourrait être le
titre du chapitre dédié à notre espèce.