Depuis plusieurs mois les mots se
faisaient tirer l'oreille. Ils coulaient bien de sa plume vers les pages de ses
cahiers mais rechignaient à s'organiser en tirades, ces farandoles qui dansent
sous nos yeux toujours plus avides de rêves. Depuis plusieurs mois René Frégni
était en panne. Destin hasardeux que celui qui s'en remet à l'inspiration pour
subsister.
Dernier arrêt avant l'automne est
quand même venu à terme. Sans doute à cause de la violence de ce monde.
L'esprit ankylosé par la nostalgie de l'automne pointant son nez, le
chorégraphe des mots avait trouvé compensation à son déboire dans l'ermitage
qu'il avait investi, le monastère de Ségriès, profitant d'un emploi sans
rendement à justifier. Une aubaine pour qui sait goûter l'instant présent à se
remplir les yeux des couleurs de l'automne, les poumons de l'air des collines,
se goinfrer de mots. Quand ils veulent bien pousser en son jardin secret.
Pourquoi l'homme ne se
satisfait-il pas de jouir de la vie devant le spectacle de la nature ? A se
suffire de peu. Pourquoi a-t-il donc fallu que l'humaine nature se rappelle à
ses yeux horrifiés et qu'un cadavre sorte de terre sous le groin fouisseur d'un
sanglier ? Extirpant soudain le contemplateur débonnaire de son engourdissement
à l'approche de l'hiver ?
la béatitude qu'il insuffle au fil de ses pages
La Fiancée des corbeaux, mon premier Frégni, m'avait engagé à poursuivre ma découverte de l'auteur. Joignant le geste à l'intention, j'ai lu sa dernière parution. L'envie de poursuivre dans son univers me gagne alors, l'envie de remonter le temps avec d'autres de ses écrits, de m'inclure dans la béatitude qu'il insuffle au fil de ses pages. On est porté avec lui à déplorer que le monde ne soit pas comme la fresque paisible et colorée de cette Provence qu'il honore si bien de son verbe poétique. A déplorer que la vie ne se suffise pas à boire à la source de l'amitié.
René Frégni est porté à aimer les
autres au point de leur pardonner l'impardonnable. Il a l'obsession de déceler
dans le tréfonds de leur âme la petite flamme d'humanité qui absoudra du pire.
Car les hommes font des bêtises. Beaucoup trop. Mais en sont-ils responsables
dans l'âpreté de ce monde s'interroge René Frégni ? Peut-être n'ont-ils pas tous
eu la chance d'avoir une mère aimante, comme le fut la sienne. Il la vénère et
nous en fait témoins à grands renfort d'élans nostalgiques.
un monde dont la violence rôde autour de lui
Dernier arrêt avant l'automne est
un ouvrage à deux vitesses. Celle d'un René Frégni qui vit au rythme de la nature
et la célèbre de son style savoureux, et celle d'un monde dont la violence rôde
autour de lui et s'exprime par la voix d'une autorité publique dont on perçoit
qu'elle n'est pas la sienne. Le bémol à ces élans humanistes prompts à
réhabiliter celui qui a fauté serait de penser aux victimes. L'homme n'est
jamais aussi grand que lorsqu'il assume ses écarts. Mais chacun son rôle, quand
d'aucuns revêtus de l'uniforme chassent le coupable, l'écrivain cherche
l'innocent au fond de lui. C'est sa marque de fabrique à René Frégni.