Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

lundi 11 novembre 2019

Dernier arrêt avant l'automne ~~~~ René Frégni

 



Depuis plusieurs mois les mots se faisaient tirer l'oreille. Ils coulaient bien de sa plume vers les pages de ses cahiers mais rechignaient à s'organiser en tirades, ces farandoles qui dansent sous nos yeux toujours plus avides de rêves. Depuis plusieurs mois René Frégni était en panne. Destin hasardeux que celui qui s'en remet à l'inspiration pour subsister.

Dernier arrêt avant l'automne est quand même venu à terme. Sans doute à cause de la violence de ce monde. L'esprit ankylosé par la nostalgie de l'automne pointant son nez, le chorégraphe des mots avait trouvé compensation à son déboire dans l'ermitage qu'il avait investi, le monastère de Ségriès, profitant d'un emploi sans rendement à justifier. Une aubaine pour qui sait goûter l'instant présent à se remplir les yeux des couleurs de l'automne, les poumons de l'air des collines, se goinfrer de mots. Quand ils veulent bien pousser en son jardin secret.

Pourquoi l'homme ne se satisfait-il pas de jouir de la vie devant le spectacle de la nature ? A se suffire de peu. Pourquoi a-t-il donc fallu que l'humaine nature se rappelle à ses yeux horrifiés et qu'un cadavre sorte de terre sous le groin fouisseur d'un sanglier ? Extirpant soudain le contemplateur débonnaire de son engourdissement à l'approche de l'hiver ?

la béatitude qu'il insuffle au fil de ses pages

La Fiancée des corbeaux, mon premier Frégni, m'avait engagé à poursuivre ma découverte de l'auteur. Joignant le geste à l'intention, j'ai lu sa dernière parution. L'envie de poursuivre dans son univers me gagne alors, l'envie de remonter le temps avec d'autres de ses écrits, de m'inclure dans la béatitude qu'il insuffle au fil de ses pages. On est porté avec lui à déplorer que le monde ne soit pas comme la fresque paisible et colorée de cette Provence qu'il honore si bien de son verbe poétique. A déplorer que la vie ne se suffise pas à boire à la source de l'amitié.

René Frégni est porté à aimer les autres au point de leur pardonner l'impardonnable. Il a l'obsession de déceler dans le tréfonds de leur âme la petite flamme d'humanité qui absoudra du pire. Car les hommes font des bêtises. Beaucoup trop. Mais en sont-ils responsables dans l'âpreté de ce monde s'interroge René Frégni ? Peut-être n'ont-ils pas tous eu la chance d'avoir une mère aimante, comme le fut la sienne. Il la vénère et nous en fait témoins à grands renfort d'élans nostalgiques.

un monde dont la violence rôde autour de lui

Dernier arrêt avant l'automne est un ouvrage à deux vitesses. Celle d'un René Frégni qui vit au rythme de la nature et la célèbre de son style savoureux, et celle d'un monde dont la violence rôde autour de lui et s'exprime par la voix d'une autorité publique dont on perçoit qu'elle n'est pas la sienne. Le bémol à ces élans humanistes prompts à réhabiliter celui qui a fauté serait de penser aux victimes. L'homme n'est jamais aussi grand que lorsqu'il assume ses écarts. Mais chacun son rôle, quand d'aucuns revêtus de l'uniforme chassent le coupable, l'écrivain cherche l'innocent au fond de lui. C'est sa marque de fabrique à René Frégni.