"Comment pouvons-nous nous sentir plus réels dans ce que nous écrivons que dans ce que nous ressentons au fond de nous ?" C'est Romilda qui s'interroge en ces mots. Elle tente de s'extirper de la réalité. Profonde blessure que sa réalité. Son mari vient de l'abandonner. Pire que cela, il est parti avec l'autre amour de sa vie : sa complice, sa confidente, sa petite sœur.
Comment imaginer que ces paroles prêtées à Romilda pourraient ne pas
s'appliquer pas à son auteure, Bénédicte Rousset. Tant filtre son implication
de femme sensible dans ces lignes. En particulier dans les lettres qu'elle fera
écrire à son héroïne, laquelle donne son nom à ce roman, fort réussi à mon
goût.
J'ai fait connaissance avec cette auteure grâce à cet ouvrage. Mais pas
seulement, elle me l'a dédicacé lors d'une rencontre en librairie. Le plaisir
de l'échange s'est prolongé avec la lecture de celui-ci.
Un roman sur fonds d'enquête qui s'inscrit dans le genre policier. Étiquette
que je serais tenté de contester, tant j'ai été séduit par l'autre genre qui
colle à ces lignes. Dirais-je que c'est un roman d'amour qu'on l'affublerait
ipso facto d'une couche de mièvrerie. Qu'il n'a pas. C'est un roman sensible
dans ce qu'il touche le coeur, sensuel dans ce qu'il implique le corps. Un
roman auquel il est difficile de mettre une étiquette justement. C'est un beau
roman, c'est une belle histoire dit la chanson. Un roman qui restitue à l'amour
ses lettres de noblesse quand il a été piétiné.
L'artifice de construction choisi par Bénédicte Rousset pour son ouvrage est
très original. Il parvient à magnifier l'amour avec une étonnante force
suggestive. Une force qui assujettit le lecteur. Romilda a découvert des
lettres. Un paquet de lettres étiqueté "correspondance militaire".
Elles datent de 1914 pour les premières. Les hommes sont partis s'engluer dans
les tranchées. Les épouses, les fiancées livrées à l'attente angoissée. Des
lettres pour relier les deux. Des mots simples pour se rappeler la vie
ensemble. Douceur devenue souvenir et espoir d'avenir en même temps. Des
lettres d'amour. Des lettres qui retracent des moments de vie. Des lettres qui
figent sur le papier à l'encre bleue les confidences de gens simples. Ils se
confient sous leur plume souvent beaucoup plus qu'ils ne l'ont jamais fait de
vive voix. C'est la force de l'écrit que célèbre Bénédicte Rousset.
Ces lettres découvertes au hasard, Romilda se les approprie. Commence alors
pour elle un sauvetage. Le sien accessoirement. Mais aussi et surtout celui de
l'Amour.
Elle se les approprie au point de répondre à Félix. Il avait été mobilisé lui
aussi, même s'il a échappé au cloaque des tranchées. Tant pis si elle prend la
place de l'autre, la destinataire. Il y a prescription. Elle écrit des réponses
aux lettres de Félix. Des lettres dans lesquelles elle se livre corps et âme,
sans amertume. Avec la conviction de reconstruire quelque chose. Des lettres
qui pourtant ne partiront pas, mais qu'importe. Des lettres qu'elle destine à
elle-même finalement. Une correspondance audacieuse pour se dire qu'elle peut
encore aimer. Des lettres pour réhabiliter l'amour. Lui redonner son statut
dans la vie des hommes.
Romilda se construit ainsi un amour intouchable. Personne ne lui volera plus.
Et pour cause, Félix est mort depuis longtemps. Son amie Laura se moque d'elle.
Romilda n'en a cure. Les lettres de Romilda sont une évasion du gouffre de
l'abandon dans lequel elle a été précipitée depuis la trahison d'Adam, son
mari.
"L'écriture c'est aussi donner la parole à nos émotions et leur accorder
un sens à partager". Romilda écrit ce trop-plein d'amour qui bout en elle
et qui vient d'être foulé aux pieds. Ses lettres soulagent son coeur, sèchent
ses larmes. Romilda les nimbe du fantasme de l'amour célébré. Ambitieux,
souverain. L'amour dans l'absence ne craint pas l'usure du quotidien. L'amour
au féminin, intérieur. L'amour dans lequel la sensualité n'est pas une fin mais
une manifestation, une preuve. Une preuve brûlante comme la main qui effleure
la peau de l'être aimé. L'amour incarné.
L'amour se réalise, enfin. Promesse d'un avenir tendre, qui dure au-delà de la
vie.
Alors roman policier ? Le croirez-vous après avoir lu ces lignes ? C'est
pourtant écrit sur la couverture. Oui, il y a bien une enquête. Une enquête qui
n'attend pas la dernière page pour dénouer l'énigme et dénoncer l'assassin.
Parce que cette enquête, elle met à jour une autre facette de la nature
humaine. Un autre sauvetage. Celui d'une grandeur de la nature humaine. Une
fois n'est pas coutume. C'est tout sauf compassé, c'est bien construit. J'ai
aimé votre roman Bénédicte Rousset. "L'heureux moment partagé" de votre
dédicace en conclusion de notre brève rencontre s'est prolongé sous mes yeux
avec Romilda.
J'ai aimé votre intelligence d'écriture pour dire l'amour. J'ai aimé que le
roman prenne de la hauteur avec les références culturelles que votre compétence
vous autorise. J'ai aimé que ce ne soit pas un ouvrage féministe, ni un
plaidoyer larmoyant en faveur de la femme abandonnée. C'est un ouvrage sur la
vie des Hommes, dans ce que cela englobe des deux sexes, confrontés à leur
incompréhension réciproque dans ce qui les unit et finit par les séparer.
Mystère insondable de l'amour. La naissance du désir qui porte les êtres l'un
vers l'autre et les met en danger dans le même temps. Le danger de
l'assouvissement. L'amour peut-il survivre à son assouvissement ?
La réponse c'est vous qui la donnez. Quand on lit ces mots de vous page 45.
L'amour peut s'accomplir quand il débouche sur … "La famille, ce soupirail
sur un monde enchanté".