Est-ce la réécriture d'une page de l'Ancien Testament que
nous propose Anita
Diamant ? A-t-elle voulu en finir avec le silence assourdissant des
femmes dans les textes bibliques ? Anita Diamant ne
veut-elle plus que les femmes existent en tant que fille de…, soeur de…, épouse
de… ? le temps est venu depuis la Genèse qui à Eve impute la faute originelle,
depuis que la parole des hommes s'est substituée à celle de Dieu dans la Bible,
le temps est venu pour que le rôle de la femme dépasse le cercle de la famille
et apparaisse enfin en société, où depuis l'aube des temps ne se trouvent que
des hommes.
La tente
rouge n'est pas seulement le lieu où la fille devient femme, où la
femme devient mère, La Tente
rouge est le siège d'un secret. Secret inaccessible à la constitution
physiologique et mentale de son congénère mâle, ce fameux « continent noir »
dont certains attribuent la paternité de l'expression à Freud, en
évocation de ce jardin réservé qu'est la féminité. Secret que l'homme a voulu
circonscrire, de peur qu'il ne rivalise avec sa condition propre. La masculinité
ne faisant l'objet d'aucune mention tant elle est évidente.
Pour sortir du cercle restreint dans lequel a voulu l'enfermer son congénère
mâle, Anita
Diamant a choisi de donner la parole à l'une d'elle : Dina. Elle est
bien sûr fille de…, soeur de…, mais quand elle a voulu devenir la femme de…, de
celui qu'elle avait osé choisir par amour faisant ainsi valoir son droit au
bonheur, il s'en est trouvé dans sa propre famille pour la rabaisser à son
statut imposé d'être obéissant et silencieux. Anita Diamant a
donc choisi de réhabiliter la personne qui a vécu en son corps de femme. C'est
sa mémoire qui intervient dans cet ouvrage.
Ainsi affranchie par ce procédé narratif des contingences terrestres et des
lois dictées par l'autre sexe, libérée des peurs et des convoitises, la mémoire
de Dina nous dit ce qu'a été sa vie et celles de ses consœurs en ces temps
bibliques alors que la nature humaine vivait en symbiose avec la nature tout
court. Invoquant dieux et déesses qu'elles concevaient à la mesure de leurs
peurs et leurs espérances, en cette époque non encore assujettie au monopole
d'un seul dieu. N'imaginant pas encore être libérées de la tutelle de ceux qui
les réduisaient au rôle de mère de leur progéniture, de préférence mâle.
En cette période de l'histoire de l'humanité où s'écrit de qui deviendra le
Livre, préparant les esprits au sexisme des textes bibliques, faisant table
rase d'une mythologie somme toute plus favorable au genre féminin – ce ne sont
ni Athéna ni Héra et autres consœurs de l'Olympe qui le contrediront – même si
ce n'est pas la Bible des femmes que nous propose Anita Diamant c'est
en tout cas le point de vue féminin qu'elle fait émerger de la tente
rouge, dans laquelle elles ne sont ni impures ni blâmables. Une façon de
combattre la subjectivité historique instituée en parole divine. Redonner aux
femmes leur histoire. Redonner les femmes à l'Histoire.
La tente
rouge est à n'en pas douter un ouvrage qui trouve aujourd'hui un écho
singulier, lui conférant valeur intemporelle. Il a fait sa popularité de bouche
à oreille et convaincu nombre de lecteurs dont on ne dit pas combien étaient
des lectrices. Je me suis glissé dans ce nombre et me suis satisfait de cette
initiative, de son originalité, y faisant intervenir le point de vue
rétrospectif de celles dont l'influence dans le cours de l'histoire est
occultée. De peur sans doute de s'entendre confirmer que c'est elles qui
construisent le monde quand son congénère mâle n'a de cesse de le mettre à mal.