Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

samedi 15 avril 2023

Les mémoires de Zeus ~~~~Maurice Druon

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Nom de Zeus, quelle famille !

Je n'en suis Ă  vrai dire pas vraiment surpris. J'avais connu une ouverture Ă  cette fantasmagorie qu'est la mythologie avec l'excellent ouvrage d'Edith Hamilton : La mythologie, ses dieux, ses hĂ©ros, ses lĂ©gendes. Une conviction s'ancre dĂ©sormais en moi Ă  la lecture des MĂ©moires de Zeus de Maurice Druon. Elle me fait regretter que le monothĂ©isme nous ait fait perdre tant de voluptĂ© dans nos rapports avec Qui prĂ©side dĂ©sormais Ă  nos destinĂ©es. Car disons-le tout net, au regard de ce qu'ont pu connaĂ®tre nos ascendants des première jusqu'Ă  la quatrième race de mortels, puisque nous autres sapiens du XXIème siècle sommes les descendants de la cinquième race, Celui qui s'est arrogĂ© l'exclusivitĂ© de nos dĂ©votions, toutes confessions confondues, est bougrement rĂ©barbatif. D'autant que Ses manifestations Ă  notre attention sont pour le moins discrètes et nous obligent Ă  la croyance.

Parce que les Dieux grecs pour ce qui les concerne, relayés par leurs alias romains, n'avançaient pas à visage masqué ; ils faisaient preuve auprès de leurs oyes de manifestations pour le moins démonstratives et avaient de bons gros défauts comme on les aime, de nature à affranchir les pauvres mortels de tout scrupule quant à leurs propres écarts de conduite. Car pour ce qui est du Seul que l'on révère en nos cathédrales, mosquées, synagogues et autres pagodes de nos jours, et revendique donc la majuscule, son appropriation monomaniaque et anti concurrentielle des consciences laisse planer le doute quant à notre filiation. On ne se reconnaît en réalité que peu d'affinité avec sa rigueur dogmatique tant nous avons de la fidélité une notion élargie et de la vertu un arrière-goût amer. Les défauts sont de notre nature. Mais n'est-ce pas Lui qui nous a faits ? Aussi, pourquoi voudrait-Il désormais nous en culpabiliser.

Le seul reproche que l'on pourrait faire aux Dieux de l'Olympe est le malin plaisir qu'ils se sont donnĂ© Ă  nous compliquer la vie Ă  nous autres pauvres mortels, Ă  force de tarabiscoter l'arbre gĂ©nĂ©alogique de leur fantaisie familiale, obsĂ©dĂ©s que nous sommes dĂ©sormais Ă  vouloir tout rationaliser, tout Ă©tiqueter et codifier. Et c'est grand mĂ©rite Ă  Maurice Druon de tenter de nous effeuiller dans cet ouvrage l'arbre de Zeus dont les racines font de curieuses connexions en boucle avec les branches aux pouces les plus tendres. Il faut dire que le bougre ne craignait nullement la consanguinitĂ© pour faire commerce, comme on dit avec une pudeur toute littĂ©raire, avec ascendance et descendance, pourvu que le plaisir soit Ă  la clĂ©. Bien qu'il connĂ»t quand mĂŞme quelques manifestations de jalousie de sa lĂ©gitime HĂ©ra. Sa justification d'honorer les mortels de la semence divine Ă©tait argument fallacieux aux yeux de celle-ci. Allez comprendre pourquoi. Car figurez-vous que nos ancĂŞtres de ces temps reculĂ©s pouvaient recevoir des dieux des preuves caressantes et culbutantes pourvu qu'ils fussent disposĂ©s Ă  les accueillir en leur giron, et augmenter par lĂ  une ramure aux bourgeons dĂ©jĂ  nombreux et ainsi mieux nous perdre en sa canopĂ©e.

Oui Zeus Ă©tait volage. Maurice Druon n'omet aucune de ses nombreuses maĂ®tresses, divines ou mortelles. Et bien que roi des dieux, il ne se sentait nullement une vocation d'exemple auprès de ses administrĂ©s. Car en cette Ă©poque bĂ©nie des dieux les comportements n'Ă©taient ni louables ni blâmables, ils Ă©taient tout simplement divins. Mais patience divine a ses limites et lorsque HĂ©ra, sa lĂ©gitime, se fit trop intrusive pour surveiller ses errements, il n'hĂ©sita pas Ă  la pendre par les cheveux, une enclume accrochĂ©e aux pieds. Quelle Ă©poque vivons-nous en ce siècle pour que notre code pĂ©nal trouve Ă  redire Ă  pareille manifestation d'autoritĂ© ?

"Si des esprits aussi chagrins que mal informĂ©s vous ont contĂ©, chers mortels, que vous descendiez des singes, ne les croyez pas." C'est Ouranos, le grand-père de Zeus "qui crĂ©a l'homme qu'il tenait pour son chef-d’Ĺ“uvre", Ă  condition toutefois que sa vie ait une fin. Les Parques ayant mission de veiller Ă  tous cela, en particulier Atropos chargĂ©e de couper le fil. VoilĂ  donc un podium pour renforcer notre orgueil et un tombeau pour l'Ă©touffer. Mais en toute occasion remercions Dionysos, plus connu sous son alias de Bacchus, le turbulent rejeton de Zeus, d'avoir couvert nos collines ensoleillĂ©es de la divine grappe afin de nous rĂ©jouir du succès et oublier le pĂ©ril.

Quel bonheur en tout cas, dans l'attente du coup de ciseau fatal, de combler quelques heures entre les mains des Parques avec cet ouvrage de Maurice Druon dont je soulignerai respectueusement la qualitĂ© de la langue. Ouvrage ciselĂ©, Ă  la documentation exubĂ©rante, nous livrant Ă  la compagnie de tant de noms cĂ©lèbres mais inconnus de nous parce qu'interceptĂ©s trop furtivement au grĂ© d'indiscrĂ©tions instruites, Ă©voquant au passage les trois Grâces, les Muses, les Saisons, les HespĂ©rides. Et tant d'autres dans le fourmillement d'une parentèle innombrable convoquĂ©e en ces pages par l'Ă©rudition de notre acadĂ©micien.

Notre chronologie n'ayant rien de divine et désormais livrée en les mains d'Un seul, Lequel nous rend coupable dès la naissance puisque nous affublant du péché originel, coupable de naître donc, il me faut mettre un terme à ce propos et vous rendre à vos auteurs qui piaffent jalousement de savoir vos yeux rivés à ces lignes, lesquelles vous font l'éloge d'une biographie du roi des Dieux, qui pourrait donc durer ce que durent les dieux, éternellement.

Nom de Zeus, le temps nous est compté. Nous ne sommes plus au temps de l'Âge d'or.