Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

samedi 20 mars 2021

La mer de la fertilité, tome 4 : L'ange en décomposition ~~~~ Yukio Mishima

 

Quatrième et dernier (?) opus de la mer de la fertilité. Il n'est que d'extraire certains passages de cet ouvrage pour comprendre que nous sommes parvenus au bout du chemin. Ce chemin n'est pas seulement celui d'une oeuvre littéraire. C'est aussi celui d'une vie. La vie de son auteur.
45 ans ! C'est l'âge de Yukio Mishima lorsqu'il met le point final à son œuvre testament. Sa jeunesse lui a filé entre les doigts. Il est plus que temps.

"Il n'y a jamais eu pour moi ce qu'on aurait pu appeler l'apogée de ma jeunesse, et par conséquent aucun moment pour l'arrêter. C'est à l'apogée qu'il faudrait s'arrêter. Je n'en ai discerné aucune. Chose étrange je n'en ai nul regret.

Mais non, il est encore temps après que la jeunesse est un peu passée. Survient l'apogée, c'est alors le moment." 25 novembre 1970, c'est alors le moment de quoi ? le regard s'est-il suffisamment appesanti sur le paysage ? le verbe l'a-t-il suffisamment célébré ?

La beauté du corps s'est dissoute dans les traits de ceux qui narguent leurs aînés de leur vigueur toute fraîche. C'est donc le moment de ne plus se compromettre dans le naufrage de la vieillesse, dans la décomposition de l'ange.

"Beauté physique infinie. Voilà le privilège particulier de ceux qui abrègent le temps. Juste avant l'apogée où il faut abréger le temps, se trouve l'apogée de la beauté physique."
Le bout du chemin est là. L'ascension est terminée. Après, c'est la déchéance. "Quelle puissance, quelle poésie, quelle félicité ! Pouvoir abréger le temps, au moment même où l'on aperçoit la blancheur étincelante de l'apogée. On en a la préscience dans la fièvre délicieuse de la montée, le décor changeant de la flore alpine, l'approche de la ligne de crête. « C’est avec lucidité et la pleine possession de ses facultés qu'il faut décider de basculer dans la lumière de l'autre monde. Le monde blanc.

"Je n'aime pas le genre de personnes, faibles ou malades, qui se suicident. Il n'y en a qu'une catégorie que je conçoive. Ce sont ceux qui se suicident pour démontrer leur personnalité."
L'oeuvre littéraire est la perpétuation de son auteur. Sa vie n'est que le segment d'une continuité. Il se retrouvera sous les traits d'une nouvelle jeunesse quelque part dans le monde.
"Même si l'on arrête le temps, la vie se réincarne. Cela aussi, je le sais."

Il n'est pas de point final pour qui croit en la transmigration des âmes. Tout au long de sa vie, Honda s'est convaincu de voir son ami Kiyoaki, pris au piège d'un amour imprévisible, se réincarner sous les traits d'Isao Iinuma d'abord, de la princesse Ying Chan ensuite, du jeune Toru enfin. Chacun porteur de la flamme fragile de la vie.

Mais le doute pernicieux s'est insinué en l'esprit de Honda. le grand âge l'a peut-être leurré. Toru a brûlé le livre des rêves laissé par Kiyoaki.

"La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes".
Est-ce donc avec le poison du doute insinué en son esprit quant à la réincarnation que Mishima a décidé de basculer dans le monde blanc le 25 novembre 1970 ? le point final de L'Ange en décomposition était-il celui de la Mer de la fertilité, ou bien quelque part en ce monde pourrait-il s'écrire un cinquième opus ?