Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 4 août 2021

Chaleur du sang

     

 

C'est dans les pages de Babelio que j'ai fait la connaissance d'Irène Némirovsky. J'ai toutes les raisons de m'en féliciter et remercie celles et ceux qui y ont partagé leurs impressions de lecture de ses ouvrages. Après Jézabel, je viens de terminer Chaleur du sang et ai déjà entrepris la lecture de Suite française.

Mais qu'est-ce qu'ils ont dans le sang ? Qui n'a pas entendu cette expression prononcée par des parents ou grands-parents déplorant les frasques de leur progéniture. Et d'ailleurs ne nous dit-on dans la préface de cet ouvrage que lorsqu‘Irène Némirovsky avait cherché à lui donner un titre, elle avait envisagé de l'intituler « Jeunes et vieux ». Car il s'agit bien dans cet ouvrage de faire se confronter les générations. À cela rien de bien neuf sous les cieux de notre planète tourmentée depuis que l'intelligence a investi un corps de mammifère et l'a fait se dresser sur ses membres postérieurs.

Rien de nouveau, au point que l'on pourrait dire que c'est le style qui sauve l'œuvre. Mais ce serait peut-être aller vite en besogne et à scruter d'un peu plus près l'œuvre d'Irène Némirovsky on y détecte une troublante approche de la psychologie humaine. Et lorsqu'on lit comme je suis en train de la faire Suite française, on confirme le fait. On le confirme et le précise, en se disant que cette auteure a de la nature humaine une vision foncièrement désabusée, allant même parfois jusqu'à la nausée. C'est bien ce que l'on perçoit de Gladys Eysenarch, cette mère indigne dans Jezabel, qui sacrifie sa filiation pour ne pas devenir grand-mère et supporter le poids de l'âge attaché au statut, ou encore dans Suite française avec la couardise et la rapacité des nantis qui détalent devant l'avancée allemande en juin 1940, emportant leurs valeurs et sans regarder qui ils piétinent.

Il faut dire qu'en matière de misère affective et persécution Irène Némirovsky a de l'expérience et a pu forger sa culture du rejet et de l'intolérance. N'a-t-elle pas dû fuir avec ses parents son Ukraine natale pour échapper aux pogroms juifs, puis la Russie pour échapper aux Bolcheviques parce que famille de nantis et enfin, la maturité de son écriture venue, fuir encore, la capitale française cette fois-ci, parce que juive et donc pourchassée par les autorités vichyssoises. Et pour couronner le tout, n'a-t-elle pas eu une enfance solitaire, délaissée par une mère dépourvue d'amour maternel. Voilà de quoi avoir de la nature humaine un dégoût instruit aux désillusions de la vie. Dégoût que ne démentira pas ce 13 juillet 1942 lorsqu'Irène Némirovsky sera arrêtée par la police française pour un voyage sans retour. Et des ouvrages à publier à titre posthume.

Ne nous étonnons donc pas si dans Chaleur du sang la morale n'y trouve pas son compte. Au motif que ce qui fait bouillir celui des jeunes générations répond à la primauté des sens sur la vertu. Les aînés seraient quant à eux bien en peine de le reprocher à leur descendance car à la révélation de quelques indiscrétions du temps où eux aussi avaient le sang chaud leur droiture affichée pourrait bien pareillement subir quelque infléchissement.

C'est comme cela qu'une intrigue s'engageant sur le ton badin dans le cadre bucolique d'un village de province se trouve attisée par cette flamme qui échauffe le fluide vital. Comme cela que le velouté du style d'Irène Némirovsky prend ses distances avec la gravité des faits qu'elle relate. Gagné à la confiance que nous inspirait sa prose cristalline, nous sommes alors surpris par la douce férocité de la plaidoirie en faveur des écarts de conduite qui ont détourné la jeunesse du noble sentiment pour la faire sombrer dans les vils plaisirs.

Aussi, n'est pas vil plaisir celui qui celui fait s'enticher de l'écriture d'Irène Némirovsky. Elle nous inocule toute l'amertume d'une femme qui a trop souvent vu le sol se dérober sous ses pieds du seul fait de à ses contemporains. Jusqu'à ce qu'il l'emporte avec lui en juillet 42.

Et à ceux qui s'interrogeraient encore sur la transmission de l'expérience des anciens à leurs descendance, on leur répondra avec Marcel Proust « qu'on ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous… ».