J'ai toujours eu un peu de mal
avec le genre romanesque lorsqu'il aborde le thème de la Shoah. Je me demande
si le sujet ne devrait pas être réservé aux seuls témoignages. D'aucuns diront
qu'il n'est pas de sujet interdit à la liberté qui prévaut dans le genre. Reste
à juger de la façon dont cette indépendance s'exprime.
Averti comme je le fus, en
choisissant cet ouvrage, du genre adopté par son auteur après avoir lu la
préface qu'il a rédigée 20 ans après sa parution, je me suis posé la question
de savoir ce que ce choix, fait par Robert Merle pour
écrire La mort
est mon métier, apportait de plus à la connaissance de ce chapitre noir de
l'histoire de l'humanité. S'agissant de relater des faits historiques avérés.
Pouvait-on suspecter la simple
exploitation d'un thème éminemment douloureux à des fins mercantiles ou de
satisfaction personnelle ? Si la quête d'un lectorat nombreux ne peut-être niée
par un auteur, j'ai voulu savoir ce que pareil ouvrage présentait de sincérité.
Rudolph Hoess pouvait faire
cohabiter sans confusion dans la même personne qu'il était sa vie de père de
famille, certes peu démonstratif en termes d'affection auprès des siens, et son
autre vie qu'on a du mal à qualifier de professionnelle lorsqu'il quittait le
domicile familial, celle d'un des plus grands monstres de froideur inhumaine
que la terre n’ait jamais porté.
C'est le procédé narratif adopté
par l'auteur qui diffère de ce que peuvent apporter les témoignages. Ce
"je", qui fait intervenir son personnage à la première personne pour
nous faire la narration du parcours de ce dernier, participe à la compréhension
de la complexion de celui-ci. Il était devenu le rouage d'une entreprise
emballée dans la spirale de la haine, se gardant bien d'en juger les
fondements. Position qui lui servira d'argument de défense lors de son procès.
Sa déontologie à lui étant l'obéissance à une cause et une hiérarchie mise au
service de cette dernière. Peu importe les théories qui en échafaudaient les
principes.
Sans négliger les
travestissements exigés par le genre choisi par son auteur, sa lecture m'a
confirmé dans le bien-fondé de l'intention de cet ouvrage avec l'apport
supplémentaire du mode narratif choisi. Cet ouvrage ne place plus le lecteur en
spectateur extérieur aux faits relatés, mais lui fait endosser le costume et le
mécanisme mental qui va avec. C'est un ouvrage qui vous glace le sang car on
sait que les outrances, s'il y en comporte dans le registre de l'horreur,
seront toujours en dessous de la réalité.
C'est une lecture pénible dans ce
qu'elle impose au lecteur, qu'on ne peut recommander comme on le ferait de
n'importe quel roman qui nous a séduit. Un ouvrage dont le récit par la force
des choses s'arrête au pied de la potence. En sachant que cette fin ne résout
rien. Mais un ouvrage qui a son intérêt, parce qu'il concerne la nature humaine
dont on ne peut pas se désolidariser quand elle est abjecte et la rejoindre
quand l'amour est au rendez-vous. Il faut savoir ne pas ignorer pour conserver
sa vigilance.