Un violon a une âme. Ce n'est pas seulement cette petite pièce d'épicéa qui, placée sous le chevalet, transfert les sons de la table d'harmonie vers le fond de l'instrument. L'âme du violon c'est aussi sa sonorité. Elle caractérise sa personnalité propre. Lorsque la mèche de l'archet évolue sur les cordes et fait naître ce qu'Akira Mizubayashi désigne comme "la matière sonore", l'instrument-objet s'éveille, s'anime, prend vie. Sa sonorité stimule la sensibilité humaine. Érigée en principe d'immortalité, l'âme de l'instrument entre alors en connivence avec celle de qui perçoit la magie des vibrations sublimes.la matière sonore
Kurokami doit se traduire par Dieu Noir. Choisi à dessein
pour sublimer le personnage, c'était le nom de cet officier qui, dans le Japon
d'avant-guerre, avait ramassé le violon piétiné par son subalterne, lequel
exerçait son zèle à la chasse aux sorcières pacifistes. le lieutenant Kurokami
avait alors confié l'instrument mutilé à l'enfant découvert dans sa cachette.
Son père venait d'être arrêté par les siens en pleine répétition. Il n'a pu
sauver le père. Il a épargné l'enfant.
Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé
Une fois entré dans la compréhension du malheur qui venait
de le frapper, ce dernier s'est fixé pour raison de vivre de reconstruire le
violon de son père. Adopté par un couple de Français, il est devenu luthier.
Reconstruire le violon c'était lui redonner son âme. C'était faire renaître
celui qui avait fait vibrer ses cordes : son père. Suprême communion qui fera
revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé, dans des circonstances
qu'il ne faut pas dévoiler dans ces lignes mais me font saluer une nouvelle
fois cet auteur qui m'avait captivé avec Petit éloge de l'errance.
Akira Mizubayashi, l'auteur à la double culture nous adresse
là encore un éloquent plaidoyer contre les dérives autoritaires et son
corollaire, la haine. Sentiment aveugle et nauséabond, capable de commettre
l'outrage suprême, anéantir des artisans de paix : le musicien et son
instrument.
Âme brisée est ouvrage d'autant plus fort que, sur un thème
artistique qui conduira les uns et les autres lecteurs à s'enquérir des
références musicales qu'il comporte, le texte est doux et lent. C'est une
mélodie nostalgique que le violon interprète à l'oreille du lecteur subjugué.
C'est un superbe roman.