Voilà un ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains. Des mains de femmes en particulier. Il décrit trop bien ce sur quoi les hommes bâtissent souvent leur ascendant sur leur entourage, féminin en particulier : le concept illusoire de la virilité. Et comme de juste, lorsque le fondement de ce pouvoir fallacieux vacille, ce n'est pas un pan de ce monde qui s'écroule, mais le monde tout entier.
Sur un thème comme celui-ci,
abordé de manière très crue par Romain Gary, quel que soit le dénouement qu'il
pourra apporter à son sujet, avec peut-être un rebondissement heureux, on sait
qu'il ne sera que provisoire ou compensatoire. Faut-il donc irrémédiablement
verser dans la philosophie et abandonner tout de go le principe souverain sur
lequel l'homme fonde instinctivement sa position dominante ? Difficile à faire
admettre à celui dont la vigueur du corps autorise des espoirs de conquête. La
nature est ainsi faite.
Romain Gary place tous les êtres
que cette Nature a conçus sur un pied d'égalité. Il déteste l'idée que le seul
hasard de la naissance puisse autoriser l'un ou l'autre de s'arroger des
prétentions de supériorité. Démonter le mécanisme qui organise la déchéance
d'une telle ambition lui a paru approprié pour faire valoir ce point de vue.
C'est ainsi que Jacques, le soixantenaire enamouré d'une jeunette, vit l'enfer
de celui perd sa légitimité de mâle dominant en déplorant l'impuissance qui le
gagne.
Quand on est, comme je le suis,
représentant de la communauté des lecteurs, que j'oppose ici à lectrices, ce
roman a quelque chose de déstabilisant. Nos tentations narcissiques en prennent
un coup. Mais ce n'est que justice. Cela ouvre les yeux sur le caractère
dérisoire et éphémère de toute tendance à faire prévaloir les aspirations
corporelles aux dépens de celles de l'esprit.
“Vivre est une prière que seul l'amour d'une femme permet d'exaucer”. Voilà qui
coupe court à toute velléité de contester la vénération que Romain Gary voue
aux femmes. Sa mère en tête de liste. Relisons La promesse de l'aube.
Dans les infidélités qu'il fait
au souvenir de cette dernière, en s'abandonnant dans les bras d'autres femmes,
il ne conçoit de relation amoureuse que dans le partage. A parts égales. Aussi
quand le déséquilibre s'installe, son humanisme est malmené. C'est le thème
sous tendu par la mésaventure de Jacques, son héros.
Cet ouvrage est à mes yeux en
retrait par rapport au reste de son oeuvre, assez inégal dans ses chapitres,
mais cela reste du Romain Gary et constitue un éclairage supplémentaire dans la
connaissance de cet auteur fabuleux.