A se heurter aux confins du rationnel, sur cette frontière
épaisse et floue qui ouvre sur l'irrationnel, Camus, et sans doute tous les
confrères philosophes qu'il appelle à son argumentation avec une préférence
pour Nietzsche, me fait penser à cet insecte sous une cloche de verre qui cherche
en vain mais avec obstination l'ouverture à l'air libre. La quête de l'absolu
pour le philosophe. Après nous avoir convaincus de l'absurde de la condition
humaine avec le Mythe de Sisyphe, de cette Création qui ne dit rien de ses
intentions, nous voici quelques dix années plus tard, dans la même absence de
réponse, et contraint avec Camus à la révolte.
Lautréamont, Sade, Rimbaud, Kafka, et tant d'autres qui
peuplent cet ouvrage, autant d'insectes sous la cloche de verre. Tant d'autres
qui, de révolte en révolution n'en déplaise à feu le roi Louis XVI, viennent au
secours, appelés par lui, d'un Albert Camus qui établit le panégyrique de la
révolte, seule conclusion possible à des siècles d'exploration raisonnée.
Camus a le tort de poser les bonnes questions, de remettre
en cause si ce n'est en accusation le responsable de tout cela. Tout cela
n'étant au final que la condition précaire de l'homme. Dieu nous donne la vie
et la reprend. Dieu est donc criminel. Un criminel qui ne manifeste aucunement
ses raisons.
Après tout ce temps, depuis que l'intelligence a investi le
corps du mammifère pour en faire un homme, force est donc de conclure avec
Nietzsche que Dieu est mort. Et l'homme devenu Dieu ? Cela lui rendrait-il
justice du sort qui lui est réservé ? Nullement. Et la révolte qui le gagne ne
lui apporte pas pour autant de consolation. L'homme devenu Dieu reste mortel.
Dans un relatif trop humain, ou tout ne s'entend que par comparaison. Point
d'absolu.
La philosophie ne serait-elle au final que l'art de poser
les questions ? Et de désespérer des réponses ?
Nous voilà donc revenu au point de départ. A quoi peut alors
servir pareil ouvrage à son lecteur, s'il reste sur cette conclusion ? Il sert
en tout cas à son auteur à faire entendre son cri, d'autant mieux que quiconque
puisqu'érudit et fin lettré. Et moi lecteur j'entends ce cri qui le fait
émerger, Albert Camus, du grand concert de l'humanité, ce cri de l'homme
enfermé dans sa condition, sa cloche de verre, et qui sait dire mieux que je ne
pourrais le faire l'état de souffrance auquel on ne peut que convenir,
puisqu'affublé de la même condition.
J'apprends quant à moi maintenant au moins une chose grâce à
cet ouvrage. J'apprends pourquoi le philosophe se fait aussi romancier. Il nous
le dit page 328 : "le monde romanesque n'est que la correction de ce
monde-ci".
La quête de l'absolu serait donc là. Dans l'imaginaire.