Un auteur est une antenne, nous dit Alain Cadéo, il capte des ondes destinées à lui seul. Sa force est de savoir les décoder et les rendre accessibles à ceux qui deviendront ses lecteurs.
Mayacumbra est
une belle preuve de cette force chez Alain Cadéo. Si
comme nous le disait Jean d'Ormesson,
c'est le style qui fera vivre une oeuvre, on peut augurer longue vie à celles
de cet auteur que je découvre avec Mayacumbra.
Il fait à mes yeux partie de ceux qui ont le génie de dire la vie.
Théo, le héros de Mayacumbra,
est comme son géniteur, c'est un solitaire qui aime l'humain. Dans ce que cette
notion comporte de capacité à aimer. Quand il comprend que la réalisation de
l'humain est faite de cupidité, de convoitise, comme c'est trop souvent le cas,
alors Théo s'affranchit de cette réussite-là. Il s'éloigne du magma putride de
cette société qui l'a vu naître pour aller chercher la vérité ailleurs. Loin,
très loin, là où le futile devient essentiel. Il vient blottir son humilité
contre le magma tellurique, sur les pentes du volcan Mayacumbra.
L'homme est un archange déchu nous dit encore Alain Cadéo. Théo
n'est "pas là pour élaborer un quelconque système philosophique". Il
vient puiser sa vérité dans sa confrontation avec la puissance souveraine qui
enseigne la vanité des choses. En quête d'innocence originelle, animale. Il
n'est de noble en l'homme que sa capacité à aimer. Tout le reste sera fondu
dans le creuset du néant.
"Il n'y a que les choses en lesquelles on croit qui existent, tant pis
pour ceux qui doutent".
A Mayacumbra,
dans le village au pied du Volcan, il y a Lita. Une fleur qui pousse sur le
rebus glauque des vices de l'humanité. Théo aime Lita. Mais si elle le gratifie
de réciprocité, elle lui fait aussi comprendre qu'amour n'est pas possession.
Leur amour sera consommé à dose homéopathique. La seule façon de le faire
durer, de le préserver de l'érosion, la seule façon de le magnifier. Lita
Justifie tout aux yeux de Théo. Lui passe pour un illuminé aux yeux des autres,
surtout quand ils le savent en conversation avec son âne, Ferdinand. Il n'est
que son ami Solstice pour le tenir en considération.
À Mayacumbra les
légendes ont la vie dure. Vivre sur les pentes du volcan, au-delà de la source,
c'est braver le monstre, séjourner dans l'antichambre de l'au-delà. C'est un
délire. "Il est fondu ce gosse" en disent ceux du village. Mais Théo
n'en a cure. Il sait que sa vérité est là. Il sait que Lita est là, au pied du
volcan et que de temps à autres elle vient joindre la chaleur de son corps à
celle des entrailles de la terre pour souffler sur les braises du désir.
Mayacumbra fait
partie de ces ouvrages qui vous absorbent dès les premières phrases. Un auteur
nous dit son amour des mots. Il sait dompter leur sauvagerie, les faire évoluer
comme dans une chorégraphie, et nous faire comprendre que ce n'est pas leur
sens qui compte, mais le ressenti qu'ils véhiculent. Avec Alain Cadéo, les
mots peuvent aussi éclairer le paysage d'une drôlerie surprenante. Ils peuvent
eux aussi avoir leur coup de folie dans la bouche de l'un ou de l'autre.
"Faut jamais faire dans la caisse à chats de la mère Talloche" (page
56).
L'écrivain est un alchimiste qui de la pondération des mots sait faire jaillir
l'or de l'imaginaire. "Rien n'est plus fort que d'éprouver dans toutes les
nuances ce que l'autre ressent. Quel que soit l'autre, il possède un secret qui
est aussi le nôtre."