En écoutant Sylvain Tesson dans
son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une
fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur
les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de
sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi,
il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers
pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée
par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses
chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique
intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne
sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement
de la nuit éternelle.
Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens !
L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la
route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et
de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler
derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont
restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres
infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas
son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on
parle de nature avec Sylvain Tesson,
il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du
monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral,
audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui
aurait dû le tuer.
La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la
quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de
cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il
a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un
ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course
grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau
compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une
colonne vertébrale brochée.
L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de
la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la
vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un
autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau.
du sérieux que diable !
Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de
notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert
des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume
dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance
de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.
La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de
l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards
de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit
notre pays qui n'inspire plus ?
Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le
temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le
temps d'écrire ?
Sylvain
Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations
philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit
de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe
de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en
pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.
Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le
dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même
une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne
mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même
pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours
qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.
Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin
de marque page.