Si le passé cesse trop vite de nous appartenir, l'avenir happera tout aussi goulûment celui qui se livrera à la quête effrénée de lendemains meilleurs. Folle et mortelle fuite en avant. C'est à n'en pas douter le raisonnement que s'est tenu Barnabé Raphaël dans sa vie bien établie pour tout plaquer, et retourner au pays qui l'a vu naître. Sans autre projet que celui de vivre chaque instant. Souveraine et absolue procrastination qui consiste à repousser les lendemains eux-mêmes vers un futur toujours plus lointain. Remâcher le présent pour ne le déglutir avant d'en avoir apprécié toutes les saveurs. Philosophie de vie qui ne saurait déplaire à un certain Épicure.
Barnabé Raphaël a décidé de bannir tout ce que la vie
moderne peut comporter de promesse de vie meilleure pour laisser ses poumons
s'emplir de l'air du temps, son coeur de la vie des autres, son être de la
force de la Nature. Rejoindre l'océan et l'entendre lui confier le secret du
Monde. Insouciant du tumulte des pauvres inconscients qui lui tournent le
dos. Comme
un enfant qui joue tout seul.
Alain
Cadéo est doué d'une grande acuité dans l'observation de l'âme
humaine. Mais ce ne serait qu'égoïste satisfaction si cette qualité ne se
doublait de l'aptitude à la rendre intelligible à autrui. Généreux partage qui
confère sa noblesse à l'art d'écrire.
Il y a dans son écriture la solitude de l'homme rentré en
lui-même pour y fouiller les tréfonds de son être comme Zorba le grec les
entrailles de la terre : "Putain de montagne, j'aurai ta peau". Et ce
cri de victoire de la pépite ramenée à la contemplation des incrédules. Cette
prose poétique dispensée aux coeurs à la dérive en cicatrisation de leurs
désillusions d'une vie abandonnée au démon du confort matériel.
On est souvent seul dans la multitude, on n'est jamais seul
dans le désert. Il y a toujours un être improbable qui surgit d'un épineux ou
d'un rocher. Et pourquoi pas l'amour quand le coeur s'est libéré des
contingences qui brident sa spontanéité. Lire Alain Cadéo pour
ne pas dire j'ai oublié de vivre.