Mémoire. Amour. Espoir. Quelle apothéose !
Depuis que j'ai découvert cet
auteur, chacun de ses ouvrages est pour moi une étreinte. Je me sens en
harmonie avec sa pensée, sa philosophie sans dieu, sa distance avec le bien et
le mal, ce ressenti intime qu'il sait insinuer en moi au travers de ses mots et
trouver mon adhésion.
Ce roman est certes une histoire
d'amour. C'est surtout une preuve d'amour qu'il adresse à qui voudra la
cueillir. Ultime offrande. De la part de celui qui sait mais ne juge pas.
Romain Gary connaît la part inhumaine qui habite l'humain. La vie est à ses
yeux une souffrance qui prend figure humaine. "Son visage me parut familier
et je crus d'abord que je le connaissais, mais je compris aussitôt que ce qui
m'était familier, c'était l'expression de la souffrance".
Il aime, mais a des scrupules à
être aimé quand un autre nourrit la même aspiration et s'en trouve délaissé. L'univers
féminin est son refuge. Les femmes, à commencer par sa mère, ont toujours été
sujet d'admiration pour lui : "Notre père qui êtes au ciel, mettez le
monde au féminin !"
Ami qui trahit, ennemi qui
épargne, rien n'est définitivement bon ou mauvais. Il conserve le fol espoir de
voir l'homme changer. Il le sait esclave de ses instincts. Il voudrait le voir
se satisfaire d'un cerf-volant qui "le tirerait vers le bleu". Une
structure fragile qu'un souffle de vent arrache à la terre, comme un cri
silencieux lancé au ciel pour dire aux hommes que l'essentiel est ailleurs.
Un livre de Romain Gary, c'est
comme une respiration dans une atmosphère de convoitise et de préjugés. Mais
quoi qu'il arrive il n'en veut pas aux hommes. Ils ne sont pas responsables. C'est
comme ça. C'est le système, dans lequel il implique le grand ordonnateur des
choses de ce monde, sans chercher à disserter sur sa nature.
On le savait libre et distant,
presque froid, dans les cerfs-volants, le voilà épris et romantique : "Je
passai mes dernières heures avec Lila. le bonheur avait une présence
presqu'audible, comme si l'ouïe, rompant avec les superficies sonores,
pénétrait enfin les profondeurs du silence, cachées jusque-là par la
solitude."
La guerre offre un contexte
favorable au dévoilement des personnalités. On détecte alors entre tous ces
personnages une connivence pour délivrer un ultime message. Ambroise qui se
détourne du monde en regardant ses cerfs-volants, Julie Espinoza, le général
von Tiele, Hans, Bruno, Marcelin Duprat, Lila bien sûr : ne vous dressez pas
les uns contre les autres, la vie donne suffisamment d'occasion de souffrir.
Mais ce point final. Quand on
pense que c'est le dernier. Peut-être prémédité ? Posé là derrière un mot,
alors qu'il y en aurait eu tant d'autres à crier à la face du monde avant de
rejoindre les cerfs-volants dans le ciel.