Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 24 juillet 2019

La carte et le territoire ~~~~ Michel Houellebecq

 



Houellebecq est un véritable filtre de la société contemporaine. Il sait retenir le substrat de la vie de ses semblables. Mais c'est pour leur servir en retour une potion au goût plutôt amer. D'autant plus amer qu'il n'a aucun scrupule à clouer au pilori qui le mérite à ses yeux et voir ainsi s'enrichir de nouveaux membres le bataillon de ses détracteurs. Se décrivant longuement sans complaisance dans ces pages, par la bouche de son narrateur, ne lui fait-il pas dire "que Houellebecq avait pour ennemis à peu près tous les trous du cul de la place parisienne."

Commençant à connaître le personnage, on imagine bien qu'il y a dans cette assertion plus de forfanterie que de regret ou de déplaisir. Sa prédisposition à la marginalisation relève chez lui d'une grande perspicacité à l'observation de la société, assortie d'une désillusion chevillée à l'âme. Au point que ses personnages se réfugient volontiers dans la solitude. Elle devient presque vengeance, rejet d'une certaine idée de la vie.

Dans La carte et le territoire, il s'inscrit lui-même à la liste de ceux qu'il affuble d'une philosophie de vie désabusée. Une forme d'ours mal léché vivant aux confins de cette société qu'il scrute d'un œil expert du haut de son phare balayant le monde aussi loin que porte la vue dans la grisaille. Avec un style sans ambages, genre rentre-dedans-même-pas-peur, comme protégé par l'aura du talent, empreint d'une ironie d'autant plus assassine qu'elle est savoureuse.

L'homme est prisonnier de sa condition, seul au milieu de la multitude. Tous les systèmes politiques ont prouvé leur inaptitude à le réconcilier avec ses semblables. Que ce soit la "mystérieuse main invisible" du capitalisme ou la naïve utopie du socialisme. La foi en Dieu ne lui vient en dernier ressort, que lorsqu'il se fait à l'idée d'être acculé dans cette impasse qu'est la vie. Avec cette obsession de la déchéance physique qui prive l'être humain de sa capacité à séduire, seule distraction à cette déchéance justement.

Loin de rejoindre un Malraux qui voyait dans l'art un moyen de perpétuation, Houellebecq n'y voit qu'un moyen de rendre compte du monde. Mais là encore la perversion du système veut que, las de chercher à élever par le beau, l'adhésion se porte sur des chefs-d’œuvre décrétés. La morgue de pseudos spécialistes, auto-investis, est prête à promouvoir en œuvre majeure le truc le plus improbable. Méprisant du même coup le non affranchi, lequel reste perplexe sur la raison du succès d'une incongruité. le résultat, c'est la carte routière devenue plus importante que le territoire.
 Il offre à ses contradicteurs une fin à la hauteur de ce qu'ils n'auraient osé espérer
S'offrant le luxe jubilatoire de faire de sa propre personne la victime d'un meurtre particulièrement sauvage, Houellebecq ferait de la carte et le territoire un ouvrage post mortem, si l'on en croit cette astucieuse construction avec laquelle il se met en scène lui-même. Il offre à ses contradicteurs une fin à la hauteur de ce qu'ils n'auraient osé espérer, en dédommagement sans doute du préjudice d'infériorité qu'il leur occasionne de facto par le discernement de sa pensée et le brio avec lequel il la met en texte. On le soupçonne d'une certaine délectation à s'organiser une fin spectaculaire et énigmatique. Devenir un mystère est un privilège quand on a eu une vie publique où tout le monde croit tout savoir sur soi au seul étiquetage de célébrité. Aucun trucidé n'a pu s'offrir le luxe de voir ses ex-contemporains livrés à la perplexité et aux conjectures dans la recherche du mobile du meurtre dont il a été l'objet. C'est le miracle de la littérature que d'autoriser au travers de la fiction toutes les fantasmagories. On s'en régale.

La dépression douce serait-elle une marque de fabrique chez Houellebecq qui s'ingénie à nous montrer "le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine." Je rejoins peu à peu les inconditionnels avec ce deuxième ouvrage que je lis de sa main. le prochain est déjà dans les tuyaux. Mais je vais néanmoins reprendre une bouffée d'optimisme avant. Il y a quand même un bougre de talent chez celui qui ne voit pas d'avenir en l'espèce, se faisant à l'idée que les hirondelles n'habiteront jamais un nid fabriqué de mains d'homme.