La mythologie grecque ne compte dans ses rangs que deux sorcières, Circé et Médée. Si elles possèdent des pouvoirs magiques quelque peu redoutables, leur apparence n'a toutefois rien d'effrayant. Elles sont jeunes et ravissantes. Madeline Miller a jeté son dévolu sur la première des deux pour nous faire partager sa vie. Une partie infinitésimale de celle-ci dois-je préciser car en sa qualité de déesse sa vie ne saurait connaître de fin. Et à l'heure où j'écris ces mots peut être Circé me regarde-t-elle de je ne sais quelle hauteur, peut-être est-elle penchée sur mon clavier à s'intéresser à ce que je pourrais dévoiler de ses péripéties affectives. Aussi dois-je prendre garde de ne pas la vexer.
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Ouvrages par genre
samedi 30 mai 2020
Circé ~~~~~~Madeline Miller
La mythologie grecque ne compte dans ses rangs que deux sorcières, Circé et Médée. Si elles possèdent des pouvoirs magiques quelque peu redoutables, leur apparence n'a toutefois rien d'effrayant. Elles sont jeunes et ravissantes. Madeline Miller a jeté son dévolu sur la première des deux pour nous faire partager sa vie. Une partie infinitésimale de celle-ci dois-je préciser car en sa qualité de déesse sa vie ne saurait connaître de fin. Et à l'heure où j'écris ces mots peut être Circé me regarde-t-elle de je ne sais quelle hauteur, peut-être est-elle penchée sur mon clavier à s'intéresser à ce que je pourrais dévoiler de ses péripéties affectives. Aussi dois-je prendre garde de ne pas la vexer.
samedi 16 mai 2020
Et Nietzsche a pleuré ~~~~ Irvin D. Yalom
Pour qu'Irvin Yalom la provoque dans cet ouvrage, la
rencontre n'était donc pas si improbable que cela. Elle aurait même été
envisagée par les amis du philosophe dont le visage n'était que regard et
moustache, tant le premier était insondable et cette dernière lui mangeait le
visage. Confrontation envisagée mais jamais aboutie, de deux hommes certes,
mais au-delà de cela, de deux démarches de réflexion : la philosophie et la
psychanalyse. Si la première avait déjà fait ses armes depuis que l'écriture
nous en rapporte les traits, la deuxième en était à ses balbutiements en cette
fin de XIXème siècle.
Les deux personnages que le roman fait se confronter sont Josef Breuer, l'un
des pionniers de la psychanalyse - Sigmund Freud alors étudiant est son ami -
et Friedrich Nietzsche, qu'on ne présente plus dans son domaine. Encore que la
rencontre se tienne en un temps où ce dernier n'avait pas encore acquis ses
lettres de noblesse dans sa discipline, puisque la limpidité de sa pensée n'a
éclaté aux yeux de ceux qui deviendront ses disciples qu'après que sa maladie
eût raison de ses facultés intellectuelles.
Un prétexte a donc été trouvé par Irvin Yalom pour provoquer la rencontre.
Nietzsche étant réfractaire à tout épanchement, toute confidence, reclus dans
le fortin d'une solitude qu'il cultivait pour ne pas voir la pureté de sa
pensée profanée par celle d'autrui. Les horribles maux de tête qui le
harcelaient régulièrement furent ce prétexte. Un pacte fut conclut entre les
illustres protagonistes pour escompter une guérison réciproque. Le premier de
ses migraines, le second d'un mal qu'il croyait s'inventer : le désespoir.
Les séances de thérapie croisée donnent lieu à de formidables joutes verbales
de haut vol qui permettent à l'un et l'autre de dispenser le fruit de leur
réflexion profonde et user de leur partenaire pour affuter leur thèse. Au point
que progressant dans l'ouvrage on ne discerne plus très bien qui soigne qui,
d'un mal physique ou d'une angoisse. Dernière hypothèse dans laquelle le
docteur Breuer fonde ses espoirs pour trouver à toute pathologie une origine
psychologique.
Les deux forteresses armées de leurs certitudes et de leur théorie tentent de faire tomber le rempart adverse de l'apparence pour mettre au jour la véritable cause de leurs symptômes respectifs
D'un côté le sujet est revêche, hermétique, voire associable, campé sur
l'obsession d'amener à son terme la transcription de sa pensée d'avant-garde
pour les générations futures. Ses contemporains étant jugés par lui inaptes à
assimiler la hauteur de celle-ci diffusée à grand renfort d'aphorismes. De
l'autre, le praticien établi, d'ascendance juive mais athée, ouvert à la
psychanalyse, qui croyait s'inventer un fonds de tourments pour susciter
l'intérêt du philosophe. Les deux forteresses armées de leurs certitudes et de
leur théorie tentent de faire tomber le rempart adverse de l'apparence pour
mettre au jour la véritable cause de leurs symptômes respectifs. Peurs morbides
et histoires de coeur seront tour à tour causes et conséquences des angoisses
qui tenaillent les contradicteurs.
Car l'amour n'est pas absent des débats, aussi longtemps que s'en défendent les
pugilistes du verbe. Mais amour destructeur ou salvateur, créateur d'angoisses
ou remède à celles-ci. Convenons quand même que de la part de nos protagonistes
c'est tenir la femme en cette fin de XIXème en un rôle qui ne lui laisse que
peu de prise sur le débat, cantonnée qu'elle est au confort sentimental de son
soupirant.
"Deviens qui tu es"
Irvin Yalom situe la rencontre périlleuse autant que prodigieuse entre les deux
célébrités à la veille pour Nietzsche de se lancer dans la rédaction de son
ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra dans lequel il fera du leitmotiv qu'il
assène à son médecin-patient, ou patient-médecin selon les alternances
d'ascendance de l'un sur l'autre, une recommandation impérieuse : "Deviens
qui tu es", en suivant ta propre voie.
Magnifique ouvrage qui rend accessible au lecteur peu averti, dont je suis, le
fruit des réflexions et théories afférentes de l'illustre penseur et de la
contradiction du thérapeute. Ouvrage qui se lit comme un roman et dont l'auteur
justifie la raison d'être par une citation d'André Gide : "L'histoire est
un roman qui a été; le roman une histoire qui aurait pu être."
Ouvrage qui me contente accessoirement d'avoir trouvé un auteur passionnant et
m'engage à nourrir ma PAL d'autres de ses oeuvres, dont une qui met en scène un
autre penseur en vogue en ce début de XXIème siècle alors que l'homme ferait bien
de se remettre en question dans sa frénésie consumériste : Spinoza.
lundi 11 mai 2020
Pars vite et reviens tard~~~~Fred vargas
Quel bel épilogue pour ce polar. Chapeau Fred Vargas. Au-delà de la résolution de l'enquête – c'est le moins qu'on en attende de la part du fameux commissaire Adamsberg après tout - ce roman se conclut sur une belle page d'émotion. Superbe parce qu'originale, porteuse d'avenir tout en étant dénuée de la mièvrerie démagogique que l'on nous sert trop souvent de nos jours. On pressent l'ouverture vers d'autres péripéties, en particulier sentimentales. Flics mais pas moins hommes. Belle chute, pour mieux se relever donc.
Le couple Adamsberg-Danglard, est vraiment taillé sur mesure. La
complémentarité des contraires est une recette qui fonctionne à merveille.
Surtout avec ces deux personnages que Fred Vargas a en outre le don de nous
rendre attachants, chacun avec son style. Le vaseux, illogique et dérisoire, en
apparence en tout cas, c'est pour Adamsberg, le cartésien, érudit et raisonné,
c'est pour l'adjoint. Maintenant que je suis entré dans l'univers Vargas, j'ai
l'impression de faire partie de l'équipe, de connaître les défauts et qualités
de chacun. Peut-être plus qu'Adamsberg lui-même d'ailleurs. Un indépendant qui
vit dans son monde comme on dit, et prends des notes pour reconnaître son
personnel. Mais au final un flic auquel ceux qu'il fait embastiller tirent leur
chapeau, parce qu'il a su déjouer leur traquenard à la régulière. Adamsberg est
tout sauf fourbe.
Au-delà de l'attachement aux personnages, je ne m'étonne plus de voir Fred
Vargas, éminente archéologue médiéviste, puiser son inspiration dans l'univers
des mythes et légendes, voire les fléaux de l'histoire. Il est question dans
cet ouvrage de faire se gratter la tête au commissaire, mais pas seulement avec
une énigme, car le voilà confronté aux puces de rat, porteuses du bacille de la
peste comme on le sait désormais depuis que Yersin a identifié la coupable du
fléau et trouvé le vaccin (1894). Le but étant de jouer sur les superstitions
encore tenaces malgré le savoir acquis et provoquer ainsi des démangeaisons
aussi et surtout dans les médias. Friands qu'ils sont d'alarmes, vraies ou
fausses, propres à déclencher un mouvement de panique parmi une population
moderne finalement mal informée parce que sur informée. Le corollaire recherché
étant de perturber le déroulement de l'enquête bien évidemment. Mais la
crédulité n'est pas une caractéristique du commissaire et il en faut plus pour
le déstabiliser. Même sur les charbons ardents, rien ne le dévie de son but.
Il n'en reste pas moins que la vie de flic est difficilement compatible avec une
vie affective harmonieuse. Pars vite et reviens tard est une enquête qui aura
bien pu coûter son idylle au célèbre commissaire. Mais peut-être l'enquête
a-t-elle bon dos. Il n'y a pas que dans le boulot qu'il soit indépendant le
bougre. Ecoutons Danglard fournir quelques éclaircissements à Camille :
- Tu sais, Camille, que le jour où Dieu a créé Adamsberg, Il avait passé une
mauvaise nuit.
- Ah non, dit Camille, en levant les yeux, je ne savais pas.
- Si. Et non seulement Il avait mal dormi, mais il se trouvait à court de
matériel. Si bien que, comme un étourdi, Il alla frapper chez son collègue pour
lui emprunter quelque attirail.
- Tu veux dire…le Collègue d'en bas ?
- Evidemment. Ce dernier se jeta sur l'aubaine et s'empressa de lui procurer
quelques fournitures. Et Dieu, hébété par sa nuit blanche, mélangea le tout
inconsidérément. De cette pâte, Il tira Adamsberg. Ce fut un jour vraiment pas
ordinaire.
Pas étonnant que, comme l'avoue lui-même Adamsberg, il ait du mal à éviter les
collisions. Mais quand on lit les romans de Fred Vargas dans un désordre
chronologique, comme j'ai le tort de le faire, on sait déjà où retrouver
Camille.
dimanche 3 mai 2020
J'ai pas pleuré ~~~~ Ida Grinspan
J'ai pas pleuré est le témoignage d'une femme qui a vécu la Shoah. Avant, pendant et après. Un livre comme il devrait y en avoir autant que de personnes qui ont été victimes de cette entreprise de déshumanisation. Un par voix qui s'est éteinte dans les camps de la mort.
Un livre pour écrire les lendemains dont ils avaient rêvés, et qu'ils n'ont pu vivre jusqu'au terme fixé par la volonté supérieure qui leur avait donné le jour. Parce que des volontés inférieures, si basses, si viles se sont arrogé le droit sur leur vie. Un droit qui ne leur revenait pas. C'est une caractéristique du méprisable que de s'arroger des droits sur les autres. Comme celui d'effacer le sourire d'un enfant et de faire entrer la peur dans ses yeux.
Chaque livre sur la Shoah apporte sa pierre à l'édifice de la mémoire. Cet édifice qui doit s'ériger sans cesse, s'élancer vers le haut, sa flèche se perdre dans les nuages et pointer de son faîte le souvenir de tous ces innocents privés de leur sourire par des imposteurs, des voleurs d'innocence.
Quelle plus grande innocence que celle de cette toute jeune adolescente que les gendarmes viennent chercher avant le lever du jour un matin de janvier 1944 au fond de sa campagne. Seule, ignorante de tout, des affaires des hommes, de ce nuage de haine qui assombrit le ciel de France. Innocente de ne pas savoir que sa seule naissance était un obstacle à la vie. Seule parce juive, accueillie par une famille de paysans qui la préservaient du tumulte du monde. Seule parce que ses parents étaient restés dans la capitale à la merci d'elle ne sait quel danger.
Elle ne pleure pas quand les gendarmes l'emmènent avec son maigre bagage. "Je vais revoir maman." Bien qu'inquiète, elle a la conviction d'aller la retrouver, elle qui avait été emmenée elle ne sait ni où ni pourquoi deux ans auparavant. Elle comprendra plus tard, bien plus tard, après avoir intégré dans la naïveté de ses quatorze ans que dans la montagne de cheveux aperçue à son arrivée à Auschwitz, il y avait à n'en plus douter ceux de sa mère.
Un livre pour ne pas oublier. Car la hantise de tous ceux qui ont vécu ça, Auschwitz et tant d'autres noms devenus tristement célèbres, est que cela ne serve pas de leçon, de vaccin pour l'humanité contre le fléau de la haine. Un livre pour que l'incrédulité ne gagne pas ceux qui n'ont pas vécu ça, quand les témoins auront disparu. Un livre pour que les gens qui nient tout ça ne soient ni écoutés, ni entendus et qu'un jour d'autres innocents ne comprennent ce qui leur arrive qu'à l'entrée de la chambre à gaz, ou de quelque chose qui y ressemble, et leur fasse comprendre qu'ils ne sont plus des hommes mais des lots comptabilisés, nuisibles et dont il faut se débarrasser. Nuisibles parce décrétés comme tels.
Un livre pour combattre la lâcheté de ceux qui savaient et n'ont rien fait pour tout arrêter. Un livre pour ne pas oublier que la haine n'a pas de frontière, pas de nationalité, pas de religion, pas de temporalité. La haine n'est pas morte. Elle est aux aguets, prête à ressurgir tout moment.
J'ai pas pleuré est un livre pour ne plus s'entendre dire "Ici, on entre par la porte, on ressort par la cheminée."
vendredi 1 mai 2020
L'homme à l'envers~~~~Fred Vargas
À histoire atypique, il faut un flic qui le soit tout
autant. Aussi lorsque dans une enquête il est question de loup garou Adamsberg
n'hésite pas à s'y impliquer. Surtout lorsque celle qui vient le chercher, le
connaissant que trop bien, est une de ses anciennes maîtresses. Il faut dire
qu'il n'a pas encore fait le deuil de leur idylle.
N'essayez pas de comprendre le raisonnement d'Adamsberg lorsqu'il se lance dans
une enquête. Il n'y a rien de structuré dans sa démarche. Il marche à la
prémonition. Son esprit engrange alors les informations, ne les trie ni ne les
classe. Il se contente de les accumuler pour le cas où. Elles restent comme les
pièces d'un puzzle dispersées dans les méandres de son cerveau et attendent la
main qui les organisera le moment venu. Sa conviction se forme dans le même
désordre. Peu à peu elle prend forme et vient se substituer à ce qui l'avait
incité à s'intéresser à l'affaire, ce qui n'est même pas encore une intuition,
ce quelque chose d'indéfinissable : une clairvoyance, un présage qui le
contraint à se jeter dedans, quelles que soient les réticences et oppositions.
Drôle d'équipage qui s'est lancé sur les traces d'un présumé loup garou. Il
faut dire que ce dernier ne se contente pas d'égorger les brebis. Des humains
subissent le même sort sous ses crocs. Mais les gendarmes ont tôt fait de
classer l'affaire en accident. Cet équipage qui ne croit pas à l'accident,
c'est d'abord Camille, une belle jeune femme qui, comme d'autres sont boulanger
pâtissier, est musicienne plombier. L'accointance des deux métiers ne saute pas
aux yeux, mais c'est comme ça, c'est Camille. L'autre c'est le Veilleux, vieux
berger solitaire et taiseux qui avec l'aide d'un confrère d'alpage téléphone à
ses brebis lorsqu'il doit s'en éloigner. le troisième c'est Soliman, l'enfant
africain adopté. Sa mère, la Suzanne, à péri sous les crocs du loup.
Mais n'est pas enquêteur qui veut et quand la traque ne fait qu'arriver trop
tard et déplorer les victimes, il est temps de faire intervenir un flic qui
s'intéressera à ce que les autres négligent. Un flic différent. Spécial.
Adamsberg entre en scène. Par la petite porte comme d'habitude, mu par cet
embryon de pressentiment lui insufflant que le mythe du loup garou pourrait
bien avoir l'apparence de quelque chose de plus humain. Qui lui dit aussi que
si Camille est revenue vers lui c'est qu'il faut y voir un signe. Que dans
pressentiment, il y a sentiment.
Les dialogues sont savoureux entre ces personnages qui présentent tous une
originalité propre à les disperser plutôt qu'à les rassembler. Malheureusement
l'intrigue pêche par manque de crédibilité, mais ils deviennent tellement
attachants tous ces indépendants que lorsqu'ils se réunissent pour la même
cause, on ne craint plus d'embarquer avec eux dans la bétaillère. Elle respire
le suint de mouton, mais soit, ils n'avaient rien d'autre sous la main. Et puis
Adamsberg, le suint de mouton ne le dérange pas non plus, alors à Dieu vat sur
la piste du loup garou.