"Même en enfer, on ne sait
pas ce que c'est que la vengeance d'une mère".
La vengeance est-elle œuvre de
justice ? Certes pas, nous répondront les êtres civilisés, membres d'une
société policée. Nul n'a le droit de faire justice soi-même. Mais peut-on
parler d'êtres civilisés quand ces derniers se livrent au génocide rétorqueront
leurs victimes. Peut-on parler de société policée quand de nouveaux venus sur
la terre ancestrale des premiers occupants se livrent à l'appropriation, se recommandant
d'un dieu qui dans sa grande bonté accorde aux uns ce qu'ils volent aux autres,
et les exterminent quand ils protestent ?
Faire souffrir l'autre plus qu'on
a souffert n'est pas une réponse rationnelle à la douleur supportée. Mais il
n'est plus question de raison quand la guerre méprise l'innocence. Quand elle
massacre les enfants. C'en est déjà assez de voir leurs hommes périrent à
défendre leurs familles et leurs biens, quand les enfants meurent dans leurs
bras, le cœur débordant d'amour des mères devient cœur de pierre. La vengeance
devient la seule réponse logique à la détresse. Elles ne connaissent alors plus
aucune loi, plus aucune morale.
Aveuglées par la douleur, les
mères n'ont plus qu'une perspective. Celui qui a touché à l'innocence de doit
endurer plus qu'il n'a commis. La vengeance ne console pas. Elles le savent
pertinemment. La vengeance est privilège de l'espèce humaine. C'est une honte
qui réplique à une autre. Elle est affaire intime, sans autre bénéfice que la
jouissance douloureuse. Elle est nécessaire. Un point c'est tout.
Les mères convaincues de
vengeance deviennent alors plus féroces que quiconque. Plus rien ne les
retient. Surtout pas l'idée de la mort. D'autrui comme de la leur. C'est la
seule issue envisageable. La seule perspective de libération.
Dans cette suite à Mille
femmes blanches, Jim Fergus prend
le parti des mères. La chaîne de la vie a été brisée par l'envahisseur
blanc. Jim
Fergus appartient aux descendants de ces hommes qui se disent
civilisés quand ils anéantissent les autres qu'ils qualifient de sauvages. Ils
nous proposent alors une nouvelle définition des termes. le sauvage est celui
qui vit en harmonie avec la nature quand le civilisé sera celui qui est
perverti par le pouvoir de l'argent.
Roman humaniste, célébration de
la nature, repentir de ceux qui tuent aveuglément pour des biens
matériels, Jim
Fergus se livre au mea culpa d'une race à laquelle il appartient et
qui a bâti sa prospérité sur le sacrifice de peuplades vivant en harmonie avec
leur milieu naturel.
Pour écrire un roman choral, il
est parti sur le principe de le faire à partir de journaux qu'auraient tenus
ses protagonistes. On a un peu de mal à envisager pareille œuvre de solitude
dans le contexte de promiscuité du mode de vie des tribus indiennes, dont elles
se plaignent, et plus encore dans le contexte de guerre à laquelle les femmes
blanches acquises à la cause cheyenne participent activement, puisque résolues
à la vengeance. Mais acceptons-en l'augure. le genre romanesque autorise tous
les artifices. C'est le genre de la liberté. La crédibilité se retrouve dans
l'habileté à faire passer un message. Message que l'on perçoit bien dans la
gêne de l'auteur à comptabiliser le gâchis humain sur lequel sa race a bâti sa
prospérité. Pour quelle perspective ? La nature maltraitée prendra-t-elle le
relai de la
vengeance des mères ?