Voilà un ouvrage qui jouit d'une cote exceptionnelle sur
Babelio et pas seulement. Il n'est ni plus ni moins que deuxième des meilleures
ventes en poche après son succès en édition originale. Il ne m'a cependant pas
touché à hauteur de cette cote, sans toutefois me déplaire. de la même façon
que les amitiés ne se transmettent pas, l'engouement inconditionnel ne m'a pas
gagné. Il y a entre un ouvrage et un lecteur une alchimie complexe qui
s'apparente à l'inclination entre les êtres. J'ai bien peur que les lecteurs
aient donné leur satisfécit en forme de soutien à la jeune fille abandonnée et
rejetée par tous, plutôt qu'à la qualité de l'ouvrage proprement dite. Une
forme de compassion orchestrée en rachat du comportement d'une société indigne.
L'intrigue y est à mon goût très artificiellement construite et proche du
naufrage dans le pathétique dégoulinant, en tout cas dans sa première partie.
La phase qui concerne l'enquête sur la mort de Chase Andrews, l'accusation, le
procès et l'épilogue sauvent l'ouvrage du misérabilisme définitif. La chute est
surprenante et a quelque peu racheté l'ouvrage à mes yeux.
C'est le propre du genre romanesque que de s'affranchir du crédible pour se
focaliser sur l'essentiel : la stimulation des émotions. Mais à trop vouloir en
faire on aboutit à l'effet contraire, au risque de perdre en empathie pour un
personnage lequel attire sur lui, il faut bien le reconnaître, tous les
malheurs de la vie terrestre. L'auteure en fait une victime expiatoire de la
forfaiture des autres, sans évidemment la moindre part de responsabilité de
l'infortune qu'elle endosse à son corps défendant.
Mais à trop piétiner l'innocence, faisant de Kya une sauvageonne recluse en sa
cabane avec la sollicitude des seuls animaux du marais, l'auteure s'est rendue
compte à un moment qu'il fallait justifier le mauvais sort qui lui était
réservé. Elle tente alors un rétro pédalage à faire admettre au lecteur qu'une
mère puisse abandonner ses enfants répondant ainsi à une sourde prédisposition
de toute espèce à transmettre ses gènes coûte que coûte, y compris en
sacrifiant une génération. C'est assez indigeste.
La vie de la pauvre Kya est une surenchère d'atteinte à l'intégrité affective
de la toute jeune fille, histoire de bien enfoncer le clou de la commisération
: abandon, solitude, rejet, trahison amoureuse et pour finir, accusation de
meurtre. Acharnement opiniâtre du sort. Heureusement que le bon Jumping est là
pour éclaircir le tableau. Sauf que dans cette Amérique raciste des années 60
il est noir et ma foi fort démuni pour défendre le cas de la jeune Kya auprès
de ses congénères blancs. le tableau resterait désespérément sombre si ce
n'était quelques coups de baguette magique qui promeuvent la sauvageonne en
naturaliste, artiste, auteur de renom.
La deuxième partie est plus crédible parce que moins nécessairement sordide. le
suspense reprend ses droits. La justice suit son cours. L'avocat est vertueux
et compétent. Avec la tenue d'un procès à l'américaine - objection votre
honneur la question est tendancieuse et propre à orienter la réponse du témoin.
Objection rejetée, poursuivez monsieur l'avocat général – le réalisme reprend
ses droits. Anxiété de l'attente du verdict.
Alors bien sûr, il y a l'ode à la nature. Unanimement saluée à juste titre.
C'est le côté terre nourricière savamment dépeint. Joliment dépeint. La poésie
est au rendez-vous. Il contrebalance efficacement la dérive artificielle de
l'intrigue. C'est la vie du marais. Avec Kya on hume les senteurs, on entend
les bruissements animaux, le clapotis de l'eau, on ressent humidité et
fraîcheur de l'aube. On voit le soleil percer les brumes sur le marais. La
faune s'éveille. Les nocturnes se terrent jusqu'à la nuit prochaine. On se perd
dans le marais avec délice, quand on est sûr de passer la nuit à l'abri. On
fait confiance à la jeune Kya pour nous conduire à ses lieux d'intérêt, de
fuite, de dissimulation, d'observation, de communion avec la nature. C'est le
bon aspect du roman. Il est réussi. Il est inspirant.
Un roman de valeur inégale selon moi. Il perd à mes yeux une partie de son âme
à vouloir forcer le trait de l'émouvant. La jeune Kya devient un bouc émissaire
de commisération, elle y perd en humanité. C'est dommage parce que l'aspect
communion avec la nature est plutôt réussi.