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dimanche 12 juillet 2015

Les racines du ciel ~~~~ Romain Gary

 



"C'était une allemande et sa présence dans cette affaire prouvait bien qu'il ne fallait pas désespérer de ce peuple. C'était bien leur tour de faire quelque chose pour les éléphants. Il était temps, après Auschwitz, qu'ils puissent manifester eux aussi leur amour de la nature, se porter à leur tour au secours de la marge humaine… qui doit nous contenir tous, par-delà les races, les nations et les idéologies."

Tout Romain Gary est dans cette phrase. L'humaniste forcené. Le déraciné. Le compagnon de la libération. L'avocat de toute forme de vie. L'adorateur de la nature. Celui qui n'a jamais tergiversé pour choisir sa voie. Celui qui, en dépit des horreurs inqualifiables commises par l'espèce humaine, a voulu lui conserver "une confiance absurde" en son coeur. Morel, c'est Romain Gary.

Dans Les racines du ciel, il se donne corps et âme à la mission d'instruire, à charge et à décharge, pas seulement comme il se doit mais surtout comme il se l'impose, la cause de l'espèce humaine. Car c'est bien de cela dont il s'agit dans cet ouvrage. Opposer une philanthropie chevillée au corps et au coeur à la misanthropie de "la marge humaine", cette part de la création qui revendique l'intelligence. Suprême orgueil d'une espèce qui prouve sa bassesse au quotidien par des actes ignobles contre un symbole de noblesse : l'éléphant.

Qui peut envisager qu'une espèce ne puisse exister qu'en en éliminant une autre de la surface de la terre, en se glorifiant d'un "beau coup de fusil" ? Qui peut imaginer qu'en imposant son exclusivité avide et arrogante au reste de la nature, l'humanité ne courre pas elle-même à sa propre perte ? Surtout pas Romain Gary. Lui qui se réjouit de redresser le hanneton tombé sur le dos et le rendre ainsi à la liberté, à la vie.

Précurseur et visionnaire, Romain Gary a imaginé tous les maux qui conduiront, cinquante ans plus tard, nos contemporains à mettre sur pied un ministère de l'écologie. Mais ce sera seulement pour se donner bonne conscience. Pas pour sauver l'éléphant. Aussi imposant, aussi noble soit-il, il n'est pas de taille à lutter contre l'orgueil et la cupidité de l'espèce qui a inventé la poudre.

Je salue en toi, Romain Gary, le génie issu d'un humanisme sans concession, l'auteur d'une oeuvre monumentale qui te fait survivre à ta propre disparition.

Toi qui as " bu à la source empoisonnée : celle de l'espoir", tu n'as pas supporté de voir cette "marge humaine" rester sourde à tes cris d'alarme maintes fois réitérés, tout au long d'une oeuvre éclatante d'un talent transcendant, et décidé finalement de verser dans ce "malentendu physiologique qu'on appelle la mort", plutôt que de persévérer en spectateur engourdi devant un "paysage de persécution universelle".

Je t'ai imaginé devant ta page blanche, aux prémices de ce qui est devenu un roman philosophique sans dérive sectaire, un roman psychologique sans prétention intellectuelle, un roman physiologique sans déviation charnelle. Je contemple ce résultat que tu as laissé entre mes mains, sous mes yeux, à la merci de ma sensibilité et de mon entendement. Je reste ébahi devant le fruit de cette intelligence inspirée, que l'académie Goncourt n'a pu que consacrer au rang de chef d'oeuvre.

Comment aurait-il pu en être autrement ?


vendredi 1 mai 2015

Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable ~~~~ Romain Gary

 



Voilà un ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains. Des mains de femmes en particulier. Il décrit trop bien ce sur quoi les hommes bâtissent souvent leur ascendant sur leur entourage, féminin en particulier : le concept illusoire de la virilité. Et comme de juste, lorsque le fondement de ce pouvoir fallacieux vacille, ce n'est pas un pan de ce monde qui s'écroule, mais le monde tout entier.

Sur un thème comme celui-ci, abordé de manière très crue par Romain Gary, quel que soit le dénouement qu'il pourra apporter à son sujet, avec peut-être un rebondissement heureux, on sait qu'il ne sera que provisoire ou compensatoire. Faut-il donc irrémédiablement verser dans la philosophie et abandonner tout de go le principe souverain sur lequel l'homme fonde instinctivement sa position dominante ? Difficile à faire admettre à celui dont la vigueur du corps autorise des espoirs de conquête. La nature est ainsi faite.

Romain Gary place tous les êtres que cette Nature a conçus sur un pied d'égalité. Il déteste l'idée que le seul hasard de la naissance puisse autoriser l'un ou l'autre de s'arroger des prétentions de supériorité. Démonter le mécanisme qui organise la déchéance d'une telle ambition lui a paru approprié pour faire valoir ce point de vue. C'est ainsi que Jacques, le soixantenaire enamouré d'une jeunette, vit l'enfer de celui perd sa légitimité de mâle dominant en déplorant l'impuissance qui le gagne.

Quand on est, comme je le suis, représentant de la communauté des lecteurs, que j'oppose ici à lectrices, ce roman a quelque chose de déstabilisant. Nos tentations narcissiques en prennent un coup. Mais ce n'est que justice. Cela ouvre les yeux sur le caractère dérisoire et éphémère de toute tendance à faire prévaloir les aspirations corporelles aux dépens de celles de l'esprit.
“Vivre est une prière que seul l'amour d'une femme permet d'exaucer”. Voilà qui coupe court à toute velléité de contester la vénération que Romain Gary voue aux femmes. Sa mère en tête de liste. Relisons La promesse de l'aube.

Dans les infidélités qu'il fait au souvenir de cette dernière, en s'abandonnant dans les bras d'autres femmes, il ne conçoit de relation amoureuse que dans le partage. A parts égales. Aussi quand le déséquilibre s'installe, son humanisme est malmené. C'est le thème sous tendu par la mésaventure de Jacques, son héros.

Cet ouvrage est à mes yeux en retrait par rapport au reste de son oeuvre, assez inégal dans ses chapitres, mais cela reste du Romain Gary et constitue un éclairage supplémentaire dans la connaissance de cet auteur fabuleux.


jeudi 16 avril 2015

La promesse de l'aube ~~~~ Romain Gary

 



J'avais la tentation d'écrire. Puis j'ai lu Romain Gary. Je me suis laissé emporter par le flot impétueux des phrases longues et ardentes de La promesse de l'aube. J'ai alors mesuré le gouffre qu'il y a entre la limpidité du talent et la turbidité de mon intention prétentieuse. Je me suis donc ravisé. Merci maître de m'avoir rendu quelque modestie et calmé ainsi mes ardeurs brouillonnes. Je me contenterai donc d'essayer de traduire mon enthousiasme pour les belles pages de littérature moderne que je viens d'ingurgiter goulûment.

Voilà un ouvrage auto biographique qui, de la première à la dernière page, fait l'apologie d'un amour particulier, inaltérable. Celui que partagent une mère et son fils.

Romain Gary a toutefois bien imaginé l'embarras qui pourrait s'installer dans l'esprit de son lecteur avec une telle confidence. Il se sent alors obligé d'anticiper sur les suspicions que cette relation pourrait faire naître chez les " frétillants parasites suceurs de l'âme" et se défend de toute connotation incestueuse quant à cet élan partagé : "Je ne crois donc avoir éprouvé à l'égard de ma mère, que je n'ai jamais connue vraiment jeune, que des sentiments platoniques et affectueux".
Etonnante la soif de célébrité pour son fils qui obsède cette mère. Peu importe la voie ou le moyen d'y parvenir. Rien ne la rebute, ni ne la décourage. Le destin lui donnera raison. A notre plus grand bénéfice, nous, lecteurs d'un temps où ce magicien du verbe n'est plus.

Mais l'amour confère des devoirs envers son objet. Même s'il faut se mettre en danger pour le manifester et le préserver. Cela vaudra à Romain Gary, alors adolescent, de recevoir la plus belle paire de gifles de sa vie de la part de sa mère. Sans rancune. Une leçon d'amour. C'est tout.

Il en sera pour son pays d'adoption comme pour sa mère. Un amour absolu et inconditionnel. Même loin des yeux. "De toute mon existence, je n'ai entendu que deux êtres parler de la France avec le même accent : ma mère et le général de Gaulle".

Romain Gary a été un combattant de la France libre de la première heure. Dès la défaite de juin 1940 il a compris que son devoir lui commandait de ne pas accepter la défaite. Mais il n'en veut à personne, ni aux ennemis de la France, ni à ceux qui leur serrent la main. Il n'est pas avec eux c'est tout. C'est un humaniste convaincu. En dépit des épreuves qui jalonnent sa vie, il conserve foi en l'espèce humaine. En l'être vivant devrait-on dire, car il respecte tout ce qui naît et croît sur terre. Il va jusqu'à regretter de faire du mal à ses semblables en participant à des actions de guerre. Son amour pour ce pays d'adoption en fait un Eden patriotique. Il lui dicte un devoir sans arrière-pensée.

Romain Gary a un regard lucide sur l'existence. C'est un spectateur de sa propre vie. "Je ne triche pas avec moi-même et je sais que, pour l'essentiel, j'ai été et ne serai plus jamais".

A plusieurs reprises, dans cet ouvrage publié en 1960, avec une lecture avisée - car il est facile de refaire l'histoire quand on en connaît la fin - on perçoit la germination de ce qu'il qualifie "d'intention sublime". Celle qui lui fera écourter sa vie 20 ans plus tard. Tant pis pour nous. Mais peut-être avait-il alors la conviction d'avoir été au bout de ses écrits. Peut-être avait-il perçu les limites de son humanisme. Ou peut-être cet homme, qui avait besoin d'être materné, ne supportait-il pas l'idée que l'élue de son cœur ait choisi de le confier à la plus fidèle amie de l'écrivain : la solitude.

Aussi, entre deux œuvres de solitude, préférera-t-il la mort. A le lire, on comprend que cette échéance ne le rebute pas. Cette prédestination n'est que l'ultime chance de débarrasser l'âme d'un corps devenu fardeau. Rien de plus normal lorsqu'il fait le décompte précis de ceux de ses amis que la guerre a gommés du monde. En avait-il des amis d'ailleurs ? Il n'en exprime pas le moindre regret. Il a de toute façon la certitude de les retrouver un jour.

Fabuleux créateur de beaux textes, au langage alternant humour et froideur, toujours pudique. Il a vis-à-vis du destin le détachement de ceux qu'habite le fatalisme. Avec l'air de vous dire: voilà les choses comme elles sont. Je vous l'aurai dit. Faites-en ce que vous voulez.

Quel sentiment m'anime en fermant cet ouvrage, si ce n'est une admiration inconditionnelle ? Et bien sûr un peu de jalousie ! Mais je partage son approche quant à la destinée.


samedi 31 janvier 2015

La vie devant soi ~~~~ Romain Gary

 


C'est un roman d'amour porté par des mots d'enfant. C'est un roman d'humour qui colporte une histoire triste. C'est Splendide.

La supercherie du pseudonyme a valu à Romain Gary un second prix Goncourt, ce que le règlement de la prestigieuse récompense n'autorise pas. Fallait-il qu'il se sache convaincu de la prouesse littéraire pour oser un tel pied de nez à la profession. Ô combien a-t-il eu raison !
Sans cet artifice, il aurait alors fallu inventer un autre prix. Un super prix, comme on dit de nos jours quand on est parvenu aux confins des possibilités de son pauvre vocabulaire. Un super oscar, pour ne pas laisser pareil ouvrage s'enfouir dans le grand fourre-tout des œuvres non primées.
C'est une performance que celle de tenir des propos d'enfant, de traduire une conception mentale naissante, l'ouverture au monde des adultes, sans trahir sa maturité, sa propre expérience de la vie.

La première moitié de cet ouvrage est un peu longue. La seconde nous la fait percevoir comme une nécessité pour bien amener et transmettre la teneur philosophique de cette œuvre. le bonheur, la religion, les différences, la vie et sa fin inéluctable, la quête de ses racines. Autant de thèmes qui se télescopent dans l'esprit de Momo. Fils de pute (sic), de père inconnu, il se raccroche à sa bouée, Madame Rosa. Il s'interroge sur la vie. Pourquoi ci ? Pourquoi ça ? Et déjà des certitudes sur la cruauté de l'existence.

Les différences. Des inventions d'adultes qui ont conduit madame Rosa dans les camps de déportation et qui font que Momo se refuse à sa condition d'enfant abandonné, de confession musulmane. Il a pourtant remarqué que quelques preuves d'amour, de la part de qui on ne les attendait pas, peuvent gommer beaucoup de différences justement. Mais voilà Madame Rosa ne va pas bien. Momo a bien perçu que son avenir affectif en dépend. Il sent bien que cet esquif qui le maintient à flot est en train de prendre l'eau.

Les confidences de Momo abordent des sujets graves avec une légèreté qui ne nuit pas au message, bien au contraire. L'humour naïf est le plus beau vecteur de vérité pour qui sait l'engendrer. Romain Gary nous en fait une démonstration éclatante dans cet ouvrage. Car l'humour est bien le ton général d'un bout à l'autre de ce récit. L'échange entre madame Rosa et Kadir Youssef venu récupérer son fils est une des plus belles pépites de cet exercice ô combien périlleux. Un chef d'oeuvre du genre.
C'est un livre que j'ai avalé dans un TGV qui avalait quant à lui les kilomètres vers Paris. Mes voisins de voiture ont vite compris que peine perdue était de me faire partager leur conversation. Cette merveille m'a souvent imprimé un sourire sur les lèvres et toujours inspiré de vraies émotions. J'espère trouver encore beaucoup de livres comme celui-là pour me voler le paysage vers …

Peu importe d'ailleurs, ce sera vers de belles lectures.