Inventez une énigme improbable impliquant un personnage
historique célèbre. Brodez autour de celle-ci quelques événements mettant en
scène des super héros au pistolet greffé et échappant à la pesanteur.
Saupoudrez de mots magiques : trésor, secret, services spéciaux. Confiez cela à
un nègre-scénariste scotché à son clavier et payé avec un lance-pierre. Mettez-lui
la pression et vous obtiendrez un de ces fameux scenario pour série TV dont les
productions américaines ont le secret. En prime, il vous servira le compte à
rebours fatal, le Malone Cotton qui saute d’un hélicoptère sur un avion en
plein vol et un bouquet final en forme de fusillade dans la pénombre d’une
crypte, à portée de main du trésor.
A l’instar de leur nourriture riche en sucre et en graisse, qui flatte les
papilles mais masque les saveurs, le produit de nos scénaristes américains sera
bourré d’effets spéciaux dont le seul but est de faire oublier sa pauvreté en
émotions.
Mais nous sommes dans un roman, oublions réalisme et vraisemblance. Apprécions
imagination et habileté à intégrer la fiction dans la réalité historique.
Et là, patatras, deuxième déconvenue. L’auteur nous sert des rappels à
l’histoire de France façon cours de fac passés au travers du filtre de la
psychologie américaine. Ça gratouille le citoyen franchouillard qui se défend
de brader sa culture millénaire. S’il ne s’enorgueillit certes pas des
incursions napoléoniennes chez nos voisins européens, il ne veut pas non plus
lui faire assumer tous les maux du 20ème siècle. Car lorsque l’histoire de
France est revisitée par un auteur en vogue version Oncle Sam, vous aurez la
délicieuse déconvenue de lui voir attribuer à Napoléon la responsabilité
directe des deux dernières guerres mondiales. Le raccourci est saisissant. En
cherchant bien d’ailleurs, il a certainement raison. Charlemagne, Clovis et
consorts sont aussi dans le coup.
Steeve Berry a bien compris que tout événement remarquable trouve ses germes
dans le passé, ça s’appelle l’Histoire, la grande. De là à faire des raccourcis
du style Bonaparte-fou-sanguinaire-inspirateur-d’Hitler, c’est se faire prendre
de vitesse par son processeur. L’histoire, c’est ce qui manque à nos amis
américains. Mais cette frustration, si elle a le mérite de leur conférer un
sentiment patriotique farouche qu’on peut leur envier, ne doit pas non plus les
placer en donneur de leçon et leur faire oublier que la leur d'histoire
commence par un génocide. Il n’y a pas si longtemps que ça.
Restons alliés. Ne devenons pas aliénés.
Nous voilà donc devant un scenario à la cohérence aussi incertaine que sa géo
localisation est dispersée, servi par des personnages froids, bâtis sur des
stéréotypes racoleurs. C’est fumeux, ça somme faux comme une cloche fêlée. Le
prétendu trésor de Napoléon sert plus de prétexte occasionnel que de fil
conducteur. Et je ne parle pas du final grotesque.
L’accumulation des événements tente de compenser la pauvreté des analyses
psychologiques. Les personnages restent falots et inconsistants. Ils sont tout
sauf attachants.
Le traducteur s’est donné du mal pour humaniser la langue des onomatopées, mais
le style descriptif reste heurté, lapidaire et dépourvu de sensualité. On y
perçoit ces images aux couleurs éclatantes mais sans chaleur, dépoussiérées,
version haute définition plus vraies que nature. Du numérique pur jus. Les
décors prestigieux de notre belle capitale sont choisis pour flatter l’image -
la fusillade dans le musée de Cluny - ou les effets spéciaux - l’avion qui
fonce sur la tour Eiffel - mais certainement pas pour ce qu’ils apportent à
l’intrigue. On navigue entre subterfuges et incongruités.
C’est artificiel et indigeste au possible. Je n’aurais pas été surpris de voir
surgir des pages de pub entre deux chapitres de cet ouvrage.
Mais la littérature conserve quand même une supériorité sur le cinéma. A
déconfiture culturelle égale, elle nous épargne les horripilants fonds sonores
qui accompagnent désormais les changements de plan séquence et veulent susciter
la peur ou l’excitation.
On comprend désormais que lorsqu’on a abusé de la naïveté du gogo qui avale
tout cru ces soi-disant super productions, il ne lui reste plus que les
psychotropes pour trouver un peu de rêve et d’évasion.
Bon voilà, ça fait du bien, ça défoule. J’embrasse ma petite sœur qui m’a
offert ce livre. Cela faisait longtemps que je voulais me révolter contre cette
culture du toujours plus qui happe les jeunes cerveaux fragiles de notre époque
et les fait passer à côté des vraies émotions. J’ai bien conscience de marcher
à contre-courant. Je n’arrive pas à me faire à l’idée d’appartenir à une
culture sur le déclin, bradée sur l’autel de l’audience, la grande flatterie
des bas instincts. Mais il vaut mieux aller seul vers la vérité qu’accompagner
les autres dans l’erreur. Steeve Berry m’a fourni une bonne occasion. Tant pis
pour lui.
Cependant, peut-être ai-je eu tort de lire Romain Gary dans la même semaine ?