Ce roman nous entraîne dans l'entourage de Charles VII, un monarque à la personnalité peu avenante. Un être faible que l'histoire a pourtant retenu sous le qualificatif de « victorieux ». Il est vrai que sous son règne se termine la guerre de cent ans contre l'Angleterre. Mais Charles VII est un roi victorieux malgré lui. Aussi le second vocable que l'histoire a retenu lui convient-il mieux : Charles VII, le bien servi. A commencer par Jeanne d'Arc pour motiver ses armées, puis par Jacques Cœur pour remplir les caisses du royaume.
Le héros principal de ce roman historique est de la même
façon célèbre malgré lui. Tout autant qu'Agnès Sorel, placée dans le lit du roi
contre son gré, et qui finira par s'émouvoir de se voir supplantée dans ses
faveurs. Il faut dire qu'elle a pris goût à côtoyer le pouvoir.
Cet ouvrage nous laisse l'impression d'un Jacques Coeur
devenu la plus grande fortune de l'époque, en même temps que le grand argentier
de Charles VII, sans l'avoir vraiment voulu. le succès dans les affaires
collait à ses pas, les précédait même souvent, sublimé par une forme d'ironie
du sort. Celle qui veut auréoler de gloire un personnage qui ne le cherche pas
vraiment.
C'est l'époque ou l'on comprend que la Chevalerie a vécu.
L'esprit chevaleresque avec son sens du panache et sacrifice n'est plus
suffisant pour conduire la politique et combattre les ennemis du royaume. Il
faut de l'argent, beaucoup d'argent, que les princes n'ont plus. La guerre se
modernise avec l'apparition de l'artillerie, le courage des chevaliers n'est
plus suffisant pour emporter la décision. La guerre coûte cher.
La bourgeoisie émerge comme nouvelle classe sociale. Elle
est celle qui ne rechigne pas à s'abaisser à faire du commerce. Elle va bientôt
tenir les princes désargentés à sa merci, en ayant la capacité de leur prêter
de l'argent, et en venant au secours d'un pouvoir royal essoufflé par des
décennies de guerre. Mais il est des travers qui franchissent les époques sans
s'éroder à la modernisation. La jalousie en est un et Jacques Cœur y perdra sa
liberté et au final sa vie.
Ce détachement de la gloire et de la fortune qui lui collent
à la peau sans l'enfiévrer rend ce personnage sympathique. Sa connivence avec
Agnès Sorel, dont l'Histoire ne dit pas jusqu'où elle est allée, a contrario
de Jean-Christophe
Ruffin, lui confère une dimension affective charnelle.
Jacques Coeur, qui avait une prédisposition à l'enrichissement, qui a côtoyé les grands de son siècle sans feindre son désamour pour les intrigues, était un homme au grand cœur. C'est la conviction de Jean-Christophe Ruffin. Il la communique aisément à son lecteur par la richesse de son verbe.