Par Ecriture du monde il faut entendre le monde tel qu'il
se construit, tel qu'il se grave dans la mémoire du temps, sachant que « Dieu
ne crée que de l'irréparable. La créature est une catastrophe. Et l'existence à
laquelle il nous appelle, le destin de chacun, si humble soit-il, consiste à
tenter de réparer le dégât d'être né. » Voilà pour Celui qui préside à nos
destinées. Il en prend pour son grade avec cette assertion de François
Taillandier.
Auteur que j'avais découvert et célébré l'écriture avec son excellente
biographie d'Edmond Rostang. Découverte qui m'avait au passage imposé le devoir
d'aller visiter la villa Arnaga au pays Basque. Ce que j'ai fait et qui m'avait
transporté de ravissement. Je confirme mon goût pour ce genre d'écriture avec
cet ouvrage.
Une écriture riche que celle de ce phraseur érudit, une écriture qui pondère
des sentences devenues par le fait lourdes de sens, d'une portée invitant à la
réflexion. A l'introspection même, lorsque comme tout un chacun on s'interroge
sur le sens de la vie et le rôle de la religion face à cette question sans
réponse, devenue pour le coup fondamentale. Des religions devrais-je dire
d'ailleurs, car dans le domaine de la croyance, il y a pluralité, il y a
divergence et contre toute attente intolérance. Et donc malheureusement
affrontement.
François Taillandier a choisi deux personnages qui ont laissé leur
cicatrice sur la terre dans cette époque succédant tout juste à la chute de
l'empire romain et nous ouvre aux formidables bouleversements consécutifs et
aux appétits que cela a pu faire naître chez des peuples jusque-là sous domination
: Cassiodore, un homme politique lettré qui a servi sous le nouveau maître de
ce qui n'est pas encore l'Italie du nord, le roi ostrogoth Théodoric. Et
Théolinda qui devint reine des Lombards et jouera un rôle prépondérant dans la
conversion de ces « barbares » à la foi chrétienne.
Ce premier tome d'une trilogie que je me fais l'obligation de compléter dans ma
PAL ouvre ses premières pages en un temps où la religion chrétienne commence
donc à installer ce qu'elle voudrait bien être un monopole sur le vieux
continent. En ce sixième siècle de notre ère, elle commence à prendre le pas
sur le paganisme, l'arianisme et ne s'attend pas encore à voir poindre une
nouvelle concurrente. L'ouvrage se referme sur l'année 630 avec l'entrée de
Mahomet à La Mecque à la tête de quelques milliers d'hommes, bien décidé à
imposer le culte exclusif d'Allah.
Superbe fresque historique d'un temps pour lequel les références écrites sont
rares et sujettes à caution. Tout le talent de l'auteur est dans la précaution
qu'il prend avec ces références et dans la crédibilité du liant qu'il applique
aux faits avérés.
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Ouvrages par genre
samedi 25 février 2023
L'écriture du monde ~~~~ François Taillandier
Il était une fois Lamartine ~~~~ Sylvie Yvert
« Malheureux les hommes qui devancent leur temps, leur temps les écrase. » A. de Lamartine.
Comment définir cet ouvrage : biographie, roman historique ou mémoires d'une
épouse aimante ? le genre qu'on lui attribuera ne changera toutefois pas le
plaisir que j'aie eu à le découvrir, et son auteure par la même occasion. J'ai
beaucoup aimé le jour sous lequel Sylvie Yvert aborde la vie
d'Alphonse de Lamartine.
Epouse fidèle, admiratrice, l'artiste peintre anglaise Mary-Ann Birch devenue
par mariage Elisa de Lamartine intervient en tant que narratrice de cet
ouvrage. Cela confère à ce dernier une chaleur exceptionnelle pour le genre.
C'est un cœur qui parle. L'auteure ne reprenant la main que lorsque l'épouse
quitte ce monde, 6 ans avant son cher époux. Laissant ce dernier dans une
solitude noire. Les Lamartine avaient perdu leurs deux enfants en bas âge.
Lamartine n'était pour moi que poète romantique, certes un peu mélancolique.
Grâce à Sylvie Yvert j'ai redécouvert l'homme politique, même si le
poète n'est jamais absent de ce portrait, favorisant en particulier le talent
d'orateur de l'homme à la tribune. On se remet à l'esprit ou on découvre selon
sa culture avec cet ouvrage le rôle déterminant tenu par Lamartine lors de la
révolution de 1848 laquelle a porté Louis-Napoléon Bonaparte à la
présidence de la République.
L'orientation politique De Lamartine sera l'ambiguïté qui lui vaudra
l'échec de sa carrière. Il la définit en ces termes : « Je trouve que je suis,
au fond, bien plus près de ce que j'étais alors, monarchiste de raison, libéral
de tendance, anti-anarchiste de passion, bourbonien légitime de justice et
d'honnêteté, républicain d'occasion et d'idéal. »
Quinze années de vie politique pour le poète qui font l'ossature de cet
ouvrage. Lamartine qui était issu de petite noblesse a déployé son talent et
son énergie à défendre les intérêts des humbles - doux euphémisme pour
qualifier ceux qui vivaient parfois dans des caves insalubres - rejoignant de
ce point de vue les idées des socialistes qu'il combattaient pourtant. Il
rêvait d'une société juste et équitable et a déployé toute son énergie à agir
en modérateur des extrêmes. Il a fait montre dans son combat politique du plus
grand humanisme. Il a eu avec sa foi religieuse la même valse-hésitation,
reprochant à l'Ordonnateur des choses de ce monde d'avoir perturbé l'ordre de
succession en lui prenant ses enfants.
Avec la crainte de revivre les années noires de la Terreur, à trop vouloir
tempérer les extrêmes, sa carrière politique s'est arrêtée avec son échec à
l'élection de 1848. Et je sais désormais grâce à Sylvie Yvert pourquoi
je n'avais retenu que le poète au détriment du politique, c'est son ami le
député Cormenin qui nous le dit : « Vous vivrez, illustre poète, quand les
maîtres actuels de la parole ne vivront plus… et quand deux ou trois noms seuls
surnageront dans le vaste naufrage de nos gouvernants éphémères. »
Par la voix de son épouse, Sylvie Yvert nous fait pénétrer l'intimité
de ce couple solidaire, accablé par le malheur de la perte de ses enfants et en
proie aux incessantes difficultés financières, lesquelles ne lui ont pourtant
jamais fait perdre sa dignité. Allant jusqu'à refuser la pension que le Prince-président
voulait lui allouer pour faire face à ses charges.
J'ai beaucoup apprécié le parti pris par Sylvie Yvert pour aborder la
vie d'Alphonse de Lamartine, celui de donner la parole à celle qui a été son
soutien indéfectible dans les épreuves qu'ils ont endurées sur les plans
familial et professionnel. Couple modèle, uni, généreux, aimant, qui a été le
ferment de l'inspiration du poète. Heureusement que les succès d'édition du
poète de son vivant sont venus contrebalancer ces déboires, même s'ils ne
permettaient pas de couvrir les dettes. Son épouse a toujours été son premier
lecteur et correcteur.
A défaut d'écouter l'orateur politique, fût-il brillant mais sans doute pas
assez convainquant, écoutons le poète retrouver en rêve la fille aimée :
Mes lèvres ne savaient d'amour où se poser ;
Elle les appelait comme un enfant qui joue,
et les faisait flotter de sa bouche à sa joue,
qu'elle dérobait au baiser!
….
« Julia! Julia! D'où vient que tu pâlis ?
Pourquoi ce front mouillé, cette couleur qui change ?
Parle-moi, souris-moi ! Pas de ces jeux, mon ange !
Rouvre-moi ces yeux où je lis ! »
…
Eh bien ! Prends, assouvis, implacable justice,
d'agonie et de mort ce besoin immortel;
moi-même je l'étends sur ton funèbre autel.
Si je l'ai tout vidé, brise enfin mon calice !
Ma fille, mon enfant, mon souffle ! La voilà !
La voilà ! J'ai coupé seulement ces deux tresses
dont elle m'enchaînait hier dans ses caresses,
et je n'ai gardé que cela! ».
La chambre des diablesses ~~~~ Isabelle Duquesnoy
lundi 23 janvier 2023
Belle Green ~~~~ Alexandra Lapierre
🌕 🌕 🌕 🌕 🌗
« Dieu a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités ». Cette assertion que j'emprunte à Tahar Ben Jelloun trouve tout son sens chaque fois qu'il est question de race chez notre espèce dite humaine. Et c'est bien le fonds du sujet de cette très belle biographie écrite par Alexandra Lapierre. Elle parvient, avec cet ouvrage, à dénoncer la haine qui peut naître du fait de la différence abaissée au rang d'inégalité. Elle a exploité cet écueil chez un personnage que l'histoire a un quelque peu occulté et qui a pourtant joué un rôle significatif dans une page de l'histoire de son pays.
Belle n'était pas le qualificatif que lui aurait valu son apparence physique,
car elle était effectivement belle, Belle était son prénom, son vrai prénom.
Parce que pour ce qui était de son nom, elle avait dû le travestir, autant que
ses origines, certes en forme de reniement, pour se donner une chance de
promotion sociale dans l'Amérique raciste de la première moitié du 20ème
siècle.
Belle a commencé par être subsidiairement la bibliothécaire de J. P. Morgan, un
des hommes les plus riches et plus influents de son temps aux Etats-Unis. Elle
est devenue par son charisme, son intelligence et à force de volonté la
personne de confiance de ce personnage richissime au point de se voir donner
carte blanche, avec les fonds qui correspondaient, pour négocier et faire
l'acquisition des œuvres littéraires anciennes, rares et précieuses et autres œuvres
d'art sur lesquels le magnat de la finance avait jeté son dévolu. Belle avait
acquis une compétence saluée si ce n'est jalousée par ses pairs.
Elle a prospéré sous la protection de son bienfaiteur au point de devenir
elle-même reconnue, riche et célèbre. Tous statuts reposant cependant sur un
mensonge. Belle avait en effet monté avec sa famille l'incroyable scenario
destiné à cacher ses origines métissées. La dilution des gênes dans le temps
était telle qu'elle put s'afficher « sans une goutte de sang noir ». La
révélation de cette vérité lui eut valu le rejet cruel de la majorité blanche.
Et c'est pourtant bien ce qui est arrivé.
Car ce n'est pas spolier que de le révéler. Alexandra Lapierre le
cite en prélude de son ouvrage. Les circonstances et la lettre qui dévoilèrent
son subterfuge sont d'une cruauté inouïe, à l'encontre d'une personne qui
s'était hissée dans la société à force de travail, d'abnégation, de volonté,
mais aussi de fidélité intéressée, disons-le tout net, auprès de son
protecteur. La complicité manifestée entre eux fut un véritable jeu de chat et
de la souris, mais non dénuée d'une certaine tendresse.
Cette biographie est remarquable. Fort bien écrite, documentée et construite,
elle est autant une dénonciation de la haine raciste que l'histoire d'un
personnage. Un personnage fascinant, habile et brillant, rattrapé sur la fin de
sa vie par le mensonge qui lui avait permis son ascension sociale. Mensonge
poussé à son extrême, jusqu'à s'interdire toute descendance au risque que le
gêne de la négritude resurgisse dans sa progéniture. Belle Greene est
un ouvrage historique poignant sans être larmoyant, et son sujet un personnage
attachant du fait de l'opiniâtreté qu'il met à tenter de se défaire d'une
différence devenue inégalité.
Croc-Blanc ~~~~ Jack London
🌕 🌕 🌕 🌕 🌗
On peut lire dans l'édition commentée de 2018 chez Folio à la page 221 cette
classification clairement explicitée : « C'est à Fort Yukon que Croc-Blanc vit
ses premiers hommes blancs. Comparés aux Indiens qu'il connaissait déjà, ils
représentaient pour lui une autre race d'êtres humains, une race de dieux
supérieurs. Ils lui firent l'impression de posséder une puissance plus grande
encore, et c'est sur la puissance que repose la divinité. » Voilà qui ôte de la
puérilité au conte pour enfant que d'aucuns ont pu attacher à cet ouvrage.
Puérilité savamment cultivée par la Metro-Goldwing-Mayor et autres firmes
cinématographiques dans la seconde moitié du 20ème siècle avec leurs fameux
westerns faisant la part belle aux Tuniques-bleues dans leur lutte contre les
méchants Peaux-Rouges. Messages que des auteurs courageux à l'instar des Jim Harrison et
autre Jim Fergus se
sont attachés à contredire en forme de mea culpa, le temps de la sagesse et de
la lucidité revenu. Ouvrant à l'Américain moderne la porte vers la voie de la
reconnaissance d'une histoire douloureuse.
A la page 317 de la même édition, « Croc-Blanc avait
aussi très vite appris à faire la différence entre la famille et les domestiques.
» Evitant l'écueil de donner la parole l'animal, Jack London ne
le prive toutefois nullement de le voir faire la distinction entre les classes
sociales. Autant d'étiquettes qui l'ont lui-même fait souffrir et que le côté
autobiographique de ses ouvrages laisse transpirer selon la lecture que l'on
veut en faire. Son ouvrage Martin Eden est
encore plus mordant et évident dans cette intention satyrique.
Croc-Blanc est
donc un roman moins bon-enfant et manichéen que ses aspects tranchés le
laissent imaginer. Des subtilités qui échappent au jeune regard s'insinuent
entre ses pages et font de cet ouvrage autant un conte pour enfant qu'une
caricature d'une société dans laquelle Jack London nous
détaille les difficultés qu'il a rencontrées pour y faire valoir les idées
humanistes qu'il prônait dans ses engagement politiques. Et accessoirement son
talent d'écrivain. Croc-Blanc pourrait
donc bien avoir la dent dure contre les comportements humains suscités par
l'orgueil et la cupidité et aussi contre une époque où le racisme avait pignon
sur rue. Dent plus dure que contre ses congénères qu'il taillait en pièce
jusqu'à ce qu'il trouve son « maître de l'amour » dans le monde domestique.
Le prince aux deux visages ~~~~ Gilbert Sinoué
🌕 🌕 🌕 🌕 🌚
A qui aurait pu adhérer au mythe qu’ont voulu échafauder les diverses sources littéraires et cinématographiques autour de l’auteur des sept piliers de la sagesse, Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom que lui a attaché le film de Davis Lean, Lawrence d’Arabie, Gilbert Sinoué recommande de considérer la légende avec précaution.
Il y a en effet de son point de vue matière à enquête pour déterminer à quel degré la légende aurait fait d’un personnage illuminé un héros au seul artifice que le décor, l’époque et l’acteur choisi pour sa ressemblance auraient produit un effet supérieur au naturel.
Les décors des mille et une nuits, les chevauchées dans le désert, le regard au bleu insondable de Peter O’Toole, la lutte des tribus arabes pour s’extraire du joug de l’Ottoman, n’y avait-il pas là tous les ingrédients pour forcer le romanesque. Au point de magnifier un mythomane à qui le contexte historique chaotique de la première guerre mondiale aurait quelque peu lâché la bride sur le cou, son pays étant plus préoccupé par les fronts de l’Artois et de la Somme.
Ou bien faut-il y voir de la part de Gilbert Sinoué, dont on connaît les racines égyptiennes, quelque compte à régler avec ces nations, dont l’Angleterre et la France, qui ont tracé des frontières à l’emporte-pièce et sont par-là responsables du malaise faisant du Moyen-Orient, et à n’en pas douter pour longtemps, une poudrière ?
Ce qui est sûr c’est que David Lean, du haut des cieux qui l’abritent désormais, doit bien regretter le ternissement de l’image de son héros devenu dans les mots de Gilbert Sinoué un personnage pathétique, dépourvu de sensualité pour ne pas dire asexué tant il avait la phobie du contact des corps. Une sorte de pantin frustré et nihiliste qui « devint victime de la légende qu’il avait lui-même entretenue. »
Le grand spécialiste du Moyen-Orient qu’est notre auteur franco-égyptien a quelque peu trempé sa plume dans l’acide pour déchoir celui que le cinéma a érigé en héros. Il fut donc à ses yeux la vitrine de ce qui ne restera jamais qu’un symbole de l’impérialisme britannique. Et l’auteur de clore par une citation qu’il tire du film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance, : « Si la légende est plus belle que la réalité, publie la légende. »
Le regard rêveur et énigmatique du héros a pris un voile, troublant encore un peu plus les mirages du désert.
lundi 5 décembre 2022
Divine Jaqueline ~~~~ Dominique Bona
🌕 🌕 🌕 🌗 🌚
Pour avoir déjà pu apprécier l'écriture de Dominique
Bona, je me préparais au plaisir de retrouver son style séduisant rehaussé
d'érudition en portant mon choix sur cet ouvrage. Il me ferait connaître un
personnage dont je n'avais jusqu'à ce jour jamais entendu parler, et pour
cause.
La cause étant que mon univers de vie et mon rayonnement sont à des
années-lumière de celui de cette célébrité qu'est Jaqueline de Ribes. Aussi
puis-je affirmer dès lors, en refermant cet ouvrage, que si un jour quelqu'un
de mal inspiré s'avisait d'écrire ma biographie, à côté de ce que je viens de
lire le rendu aurait la consistance de celle d'un être disparu de la mort
subite du nourrisson.
La qualité de pareil ouvrage doit autant au sujet de cette biographie, qu'à son
auteure. À personne exceptionnelle il fallait un auteur, et en l'occurrence une
auteure, qui soit à la mesure. Dominique Bona était toute désignée
pour cet exercice ô combien périlleux, Jaqueline de Ribes étant encore de ce
monde. La question se pose alors de savoir s'il s'agit d'une biographie ou de
mémoires. La subjectivité change de camp selon le cas.
La joie de retrouver Dominique Bona dans son exercice favori qu'est
la biographie a cette fois été tempérée. Si le style est toujours aussi
brillant, le sujet m'a quelque peu blasé. Des descriptions à n'en plus finir,
de tout ce qui peut mettre en valeur une silhouette de rêve et la mettre en
scène au cours de galas, bals, dîners, réceptions, dans une forme de fuite en
avant vers la séduction. Ce qui fait de cet ouvrage un véritable défilé de mode
sous les yeux ébahis, si ce n'est envieux, des spectateurs de l'élégance faite
femme et superbement retranscrite par Dominique Bona. Une fuite en avant,
mais pourquoi pas aussi une forme de revanche sur le désamour dans lequel l'a
abandonnée une mère dédaigneuse de sa descendance.
L'ouvrage devient plus intéressant lorsque Jaqueline de Ribes se lance
elle-même dans l'aventure de la création en fondant sa propre marque. Sous l'œil
pour le moins avisé, excusez du peu, mais néanmoins attendri des déjà grands de
la profession : Dior, Saint-Laurent, et consorts. Entreprise dans laquelle elle
se voit couronnée de succès artistique, mais pas financier.
Sujet et mise en forme font de cette biographie un ouvrage d'une esthétique
rare, certes empesé d'un narcissisme exacerbé, mais qui réconcilie avec l'a
priori défavorable que peut laisser planer une naissance favorisée par le
milieu et la beauté, tant Jaqueline de Ribes s'est investie pour sublimer et
faire rayonner au travers de sa personne, au-delà de la femme, la féminité.
La prouesse de l'auteure étant de ne pas faire assaut de superlatifs comme en
déploie trop souvent les discours au vocabulaire indigent mais de mettre en œuvre
dans son propos le même luxe que celui qui fait briller son sujet de mille feux
à la face du monde. Car l'univers de Jaqueline de Ribes est tout sauf étriqué,
sauf commun, sauf modeste. Ce qui la qualifie le mieux dans ce que j'ai compris
de son personnage est sans doute cette phrase que Dominique Bona a
extraite des nombreux entretiens qu'elle a eus avec la Divine Jaqueline : « Je
suis née un 14 juillet, j'ai mis évidemment un peu de révolution dans la
maison, j'espère avoir mis aussi un peu de feux d'artifice. »
dimanche 4 décembre 2022
La vallée ~~~~ Bernard Minier
A trop explorer les vices de l'espèce humaine, il faut
aujourd'hui avoir beaucoup d'imagination pour troubler l'amateur de polar. Avec
tout ce que la littérature du genre a pu lui mettre sous les yeux, la barre est
haute pour le faire frissonner. Les auto-tamponneuses ne suffisent plus, il
faut des grands huit vertigineux. Il faut lui couper le souffle à ce lecteur
blasé. Il ne faut plus seulement le surprendre, il faut le choquer, le
décontenancer, avec des mises en scène de crime sordides, des coupables improbables.
C'est le défi de l'auteur de polar moderne qui voudra ne pas décevoir les
inconditionnels du genre.
Le flic quant à lui doit rester un être doué de sensibilité. Un être avec ses
peurs et ses faiblesses. Un homme qui a une vie sentimentale, ou qui essaie en
tout cas. le métier ne lui facilite pas la tâche dans ce domaine. Aimer, être
aimé, quand on a une vie de famille en pointillé, qu'on est confronté
quotidiennement à la haine, la folie, la détresse, le chantage, c'est une
gageure. Comment ne pas faillir quand on laisse un enfant à la maison dans les
bras d'une femme qui elle-même tremble pour son compagnon dès qu'il franchit la
porte de la maison. Et peut-être même avant. Auquel s'ajoute la pression d'une
hiérarchie et de politiques qui veulent des résultats rapides et surtout pas de
vague. Les médias sont à l'affût.
Tout cela Bernard
Minier le maîtrise. Il a bien appréhendé ce contexte d'une vie de flic
de nos jours. Un funambule sur un filin au-dessus de la cage aux fauves. Un
autre défi est aussi pour l'auteur de polar celui de mettre en échec le lecteur
perspicace qui aura résolu l'enquête avant tout le monde. La surenchère dans
l'obscur est donc obligatoire. Au risque de prendre ses distances avec le
vraisemblable. Mais le crime ne relève-t-il pas toujours de l'invraisemblable ?
Pour remplir ces conditions, Bernard Minier fait
de cet ouvrage un huis-clos dans une vallée, coincé entre un éboulement qui
bloque la route d'accès et des habitants excédés, apeurés, prêts à en découdre
avec les autorités, sur fonds de réminiscence de lutte des classes. Des
meurtres y sont commis dans des conditions qui font froid dans le dos. Selon un
rituel qui met la police au défi d'en résoudre l'énigme. Cela donne un roman au
rythme soutenu qui n'offre pas de pause à ce commandant de police lequel sort
d'une affaire lui ayant valu la mise à pied. Difficile de ne pas sortir des
clous quand on est livré à des êtres qui ne connaissent quant à eux ni loi ni
barrière. Martin Servaz est donc dans cet ouvrage le spectateur averti de
l'action de ses confrères. Il piaffe de les voir patauger dans le bourbier
d'une affaire pour le moins alambiquée. Mais, même empêché par une procédure
qui traîne en longueur, il ne peut se retenir de s'impliquer. Quand on est
Martin Servaz, le récurrent de Bernard Minier,
on n'est pas habitué à rester sur la touche.
Depuis que j'ai découvert cet auteur je m'attache à scruter sa capacité à
dresser la fresque d'une société qui donne libre cours à ce que l'espèce
humaine a de plus vil. Une société dans laquelle les troubles psychologiques, la
déconnexion de la réalité rivalisent avec l'appât du gain, toute forme de
déviance y compris et surtout sexuelle pour susciter le crime. Cet ouvrage est
autant un tableau de notre société contemporaine qu'un polar. le trait est
certes un peu forcé, mais ne faut-il répondre à l'attente du toujours plus en
matière d'effroi. Il faut surprendre encore et toujours et surtout ne pas se
laisser doubler par le lecteur avant de lui livrer le coupable les menottes aux
mains. Encore un polar de bonne facture de la part de Minier.
vendredi 18 novembre 2022
La colline aux corbeaux (Les dents noires tome 1) ~~~~ Heliane Bernard et Christian-Alexandre Faure
🌕 🌕 🌕 🌗 🌚
Ce premier opus de la trilogie Les dents noires me
donne-il le goût de lire les autres ? A cette question je réponds d'emblée que
je viens de faire l'acquisition du second. Je complète ce préambule en
précisant que j'ai des affinités avec l'histoire. Avec un grand H quand elle
relate les faits communément admis par les spécialistes. Avec un petit h quand
elle comble les lacunes de l'historiographie par une intrigue plausible. Le
talent résidant en la faculté d'inclure cette intrigue dans les faits avérés.
Cet ouvrage peut se lire comme une roman tout court mais, pour fixer les
esprits, s'il est une date que le plus grand nombre a retenu, c'est bien 1515.
Avec Les dents noires nous remontons en effet en ce début du règne de François
1er qui connaît la naissance de l'imprimerie. De tout temps les inventions ont
eu leurs détracteurs. Des nostalgiques bien sûr de voir la machine remplacer la
main de l'homme. Plus souvent des craintifs de voir leur propre commerce
construit sur les méthodes ancestrales s'effondrer avec la survenance des
techniques nouvelles. Mais pas seulement.
L'invention de l'imprimerie c'est aussi l'accession d'un plus grand nombre à la
connaissance. C'est l'assurance de voir s'éclaircir l'obscurantisme savamment
entretenus par ceux, au premier rang desquels les membres du clergé, dont le
pouvoir reposait sur l'ignorance des masses. Les auteurs de cette trilogie font
bien ressortir cet aspect.
Mais un roman historique, c'est avant tout un roman de la vie des hommes et des
femmes dans le contexte d'une période choisie. Vie des hommes avec leurs joies,
si peu nombreuses, et leurs peines d'autant plus abondantes que les temps
étaient rudes. Heliane Bernard et Christian-Alexandre
Faure nous adressent un ouvrage bien écrit et bien construit, avec des
chapitres nommés et numérotés dont les titres et sous-titres nous avertissent
des faits à venir. Un ouvrage dont la pédagogie ne nuit pas à l'intrigue. On y
apprend par exemple, entre autres nombreuses notions historiques ou
étymologiques, l'origine du mot ghetto, celle du nom de colline aux corbeaux
attribuée par ses fondateurs à la ville de Lyon. Le texte est augmenté de
représentations cartographiques de l'époque qui ne manqueront pas de parler aux
Lyonnais.
Bel ouvrage qui repose sur un travail de documentation sérieux et sur un talent
certain pour y inclure une intrigue n'ôtant rien de leur sensibilité aux
personnages de ce drame. Car c'en est un. On ne bravait pas impunément les
puissants en ces temps entre bas Moyen-âge et Renaissance.
mardi 1 novembre 2022
Le cimeterre et l'épée ~~~~ Simon Scarrow
🌕 🌕 🌕 🌗 🌚
Quelle est la vraie foi ? Celle des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou celle des Turcs de Soliman le magnifique. La question se pose de nos jours avec autant d'acuité puisque d'aucuns sont encore portés à entrer en guerre, dite sainte, pour imposer leur réponse. On n'a aujourd'hui pas beaucoup progressé sur le sujet, même si les luttes auxquels il donne prétexte sont moins ouvertes, plus insidieuses, mais parfois toujours aussi fatales. La croyance échappe à la raison comme le rappelle Simon Scarrow dans cet ouvrage en citant le paradoxe d'Epicure :
Ou
bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut
Et il n'est pas tout puissant.
Ou bien il le peut et ne le veut pas,
Et il est malveillant.
Ou bien il le veut et le peut,
Et d'où vient donc le mal en ce monde.
Ou bien il ne le veut ni ne le peut,
Et pourquoi l'appeler Dieu.
L'épisode qui illustre ce mal que sont les guerres de religion, évoqué par
Simon Sarrow dans son ouvrage, est celui de la tentative de prise de l'île de
Malte en 1565 par les troupes turques de Soliman. Île de Malte en laquelle
s'étaient réfugiés les Hospitaliers en 1530 après avoir été chassés
successivement de Jérusalem, de Chypre puis de Rhodes, à chaque fois bousculés
par la conquête ottomane. A Malte, ils résistèrent tant et si bien sous le
commandement de Jean de la Valette - lequel laissa son nom à l'actuelle
capitale de Malte - que les Ottomans abandonnèrent leur projet d'anéantir
L'Ordre. Ce n'est finalement que notre empereur Napoléon qui en vint à bout en
1798.
Les récits de guerre comme celui-là rebutent très vite leur lectorat, surtout
lorsque l'issue du combat est connue d'avance par le féru d'histoire. C'est à
n'en pas douter ce qui pousse les auteurs de ce genre, Simon Scarrow n'échappe
pas à la règle, à rehausser leur récit d'une intrigue, qu'elle soit amoureuse,
politique, d'un quelconque secret de filiation ou d'un autre registre. Mais si
dans les guerres comme dans la vie de ce temps foi et honneur commandaient au
comportement, ce savoir être n'avait d'égal que la sauvagerie des combats. Ces
derniers se faisant au corps à corps, avec le
cimeterre et l'épée les amateurs de corps taillés en pièces y
trouveront leur compte.
L'intrigue qui rehausse dans le
cimeterre et l'épée fait la part belle à la coïncidence et à la
persistance des sentiments. La première, artifice de construction, nuit quelque
peu à la crédibilité de l'intrigue. Quant à la persistance des sentiments
par-delà les décennies, j'ai bien peur que notre mode de vie moderne
confortable ait eu raison de toute réminiscence d'esprit chevaleresque. Pour le
reste, l'amateur d'histoire appréciera le talent et le travail de documentation
de Simon
Scarrow.