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Le
procès de Valerius Asiaticus se déroule selon le temps judiciaire,
dont on sait qu'il est long. Très long. Aussi, en ouvrant cet ouvrage ne
faut-il pas s'attendre à entrer d'emblée en audience. Il y a d'abord comme il
se doit enquête, laquelle établira ou non les chefs d'accusation. Enquête
confiée dans cet ouvrage non pas à un limier mais à un philosophe massaliote
renommé : Charmolaos.
Nous sommes à l'époque de la Gaule romaine. Il n'était alors point trop besoin
de preuves pour faire condamner un citoyen de Rome lorsque l'épouse de
l'empereur, Messaline en l'occurrence, avait décidé de se débarrasser d'un
indocile, fût-il riche et puissant. Valerius Asiaticus, cet indocile, refusant
de satisfaire le caprice de l'impératrice et lui restituer la villa dont elle
appréciait les jardins et pourtant acquise par lui le plus légalement du monde.
Mais il y a une autre raison pour laquelle ce procès tarde à venir dans ce
roman que l'on classera dans la catégorie historique du genre. Cette raison est
que son auteur se donne le temps de dresser le décor. Las de ces ouvrages se
disant historiques et négligeant pourtant non pas les faits, c'est un minimum
pour le genre, mais le contexte, les mœurs de l'époque, la culture, les
traditions, tout ce qui fait la réalité de la vie des hommes à une époque
donnée, il veut imprégner son lecteur du mode de vie de ces temps et lieux dans
lesquels il situe son œuvre. Il veut prémunir son lecteur de toute velléité de
jugement hâtif, déconnecté des fondements, forcément mal documenté à qui n'est
pas suffisamment instruit de l'histoire. Il veut le prémunir de cette tendance
moderne d'une littérature trop vite écrite laquelle fait la part belle au
sensationnel en étant déconnectée du contexte de vie contemporain des faits par
insuffisance culturelle de leurs auteurs.
Il suffit aujourd'hui d'évoquer par exemple le mot esclave pour susciter des
haut-le-coeurs. Alors que le patricien vivant sous l'époque de Caligula, Claude
et autre Néron avait naturellement droit de vie et de mort sur ses esclaves
sans avoir à en répondre à qui que ce soit dans la mesure où il avait fait
l'acquisition de ces derniers sur les marchés dédiés. Il avait aussi au passage
le droit de les affranchir. Juger de ce droit avec la culture d'aujourd'hui est
forcément une altération de l'histoire. Aussi inhumain que cela nous semble
aujourd'hui.
Il suffit de progresser de quelques pages dans cet ouvrage pour se rendre
compte que l'on n'a pas à faire à un producteur de romans en série, animé
d'intention mercantile, mais bel et bien à l'érudition pure. Celle d'un auteur
qui veut instruire son lecteur plutôt que le séduire, lui donner les bases pour
apprécier en connaissance du contexte, au lieu de juger à l'aveugle. La contrepartie
pour le lecteur étant de faire œuvre de curiosité, peut-être d'approfondir,
l'auteur lui en donne le goût, en tout cas de s'impliquer.
Aussi, cet ouvrage l'ai-je pris pour ce qu'il restera à mes yeux : un ouvrage
exigeant, une formidable téléportation, une immersion en une époque qui ne nous
a par la force des choses pas légué beaucoup de sources écrites et qu'il faut
avoir longuement et profondément étudiée avant que d'en parler, et mieux encore
avant que de faire parler des personnages dans un roman que l'on veut
historique. Soit un ouvrage dans lequel la part romancée constituera le liant
crédible des faits avérés.
Dans cet ouvrage, Christian
Goudineau a adopté un style d'écriture moderne. Une façon de ne pas
désorienter l'amateur de romans historiques contemporain, accoutumé qu'il est à
une écriture certes anachronique au regard des faits rapportés mais accessible
à son entendement. Entendement élaboré par le mode de vie superficiel qu'est
devenu le nôtre.