« On arrive parfois, partiellement (j'insiste sur « parfois » et « partiellement ») à communiquer par l'écriture des choses qu'il serait impossible à communiquer autrement ; et ce qu'on écrit n'est souvent qu'un faible écho de ce qu'on avait imaginé d'écrire. »
Interventions - Michel
Houellebecq - éditions J'ai Lu page 458.
Cet ouvrage se présente comme un recueil de réflexions que l'auteur a eu
l'occasion de se faire, d'entretiens qu'il a tenus avec untel ou un autre sur
la période allant du début des années 90 au confinement du covid en 2020. Il a
le grand mérite de faire parler son auteur non plus par personnage interposé –
comme dans ses romans - mais par lui-même. le « Je » est bien celui de MH.
Cela fait de cet ouvrage un éclairage très intéressant quant à son auteur pour
celui qui, comme j'ai pu le faire, a lu nombre d'ouvrages (exceptées les œuvres poétiques)
de sa main. Auteur qui ne laisse pas son lectorat indifférent, c'est sa marque
de fabrique. MH a su se faire des adeptes, dont je suis et pas seulement pour
les allusions à connotation sexuelle qui foisonnent dans ses pages, mais aussi
des ennemis. Mais n'est-il pas vrai que celui qui n'a pas d'ennemis, n'a rien
fait dans sa vie.
Car pour se faire des ennemis il suffit de bannir du discours hypocrisie et
faux semblant ; en un mot de bannir ce que MH exècre par-dessus tout : le
politiquement correct (page 213). Tendance de l'époque qui fait que plus
personne ne parle de sincérité et préfère se couler dans un moule formaté par
des codes de convenance consensuels et creux.
« Je n'ai pas envie de me laisser emmerder par les humanistes » clame MH (page
320). En particulier ceux qui formatent l'opinion et font que plus aucun
discours n'est de vérité, mais lissé, standardisé, un peu comme les images
qu'on nous déverse désormais à flot continu, lesquelles sont tellement
nettoyées par la crème anti âge numérique qu'elles n'ont plus grand-chose à
voir avec la réalité.
On avait compris, et il le scande dans cet ouvrage, que son combat est celui de
la liberté d'expression qu'il défend bec et ongles. Dût-il pour attirer
l'attention parler crument des choses que d'aucuns n'osent même évoquer à voix
basse en prenant garde d'être entendu. La provocation est aussi un moyen de
réveiller les esprits anesthésiés par ledit langage politiquement correct. Car
si le discours de convenance est une belle vitrine il cache au chaland le
contenu de l'arrière-boutique : un monde gouverné par « l'attractivité érotique
et l'argent » au credo de chacun pour soi. Et Dieu pour personne désormais,
depuis que Nietzsche a
annoncé Sa mort et que Sa créature, bien qu'elle soit « un animal social de
type religieux » se divertit de sa condition de mortel par la fête.
Notre monde, notre société, notre temps, ils ne les aiment pas. Pas plus que
lui-même d'ailleurs. (Page 217) Mais il aime la littérature qu'il consomme sans
modération. Ses envolées et ses références philosophiques nous font comprendre
que sa culture n'est pas comme la confiture qu'on étale d'autant plus qu'on en
a peu, sa culture à lui est bien consistante. Cet ouvrage le confirme au point
que l'hermétique à toute philosophie s'en trouvera à la peine.
MH aime aussi se savoir lu. Quel écrivain dirait le contraire ? Aimé ou détesté
peu importe. Il y a toujours un message qui passe et lui survivra quand il sera
entré dans l'histoire. Avec cette ambiguïté de ne pas avoir d'estime de soi et
vouloir en même temps marquer la postérité.
Il est un autre combat que la personnalité et les écrits de MH confirment dans cet ouvrage, c'est celui du respect de la vie, de la personne humaine, fût-elle réduite au sommeil profond végétatif. La société qui prône la jouissance de la vie doit aussi en assumer les déficiences. Jusqu'au bout du bout et ne laisser qu'au Mystère (puisque Dieu est mort) qui préside à nos destinées le droit d'y mettre un terme.
Et de plaider quand même parfois pour son prochain – et pourquoi pas son lecteur : « L'homme est un être de raison – si on veut, cela arrive de temps en temps. Mais il est avant tout un être de chair et d'émotion : Il serait bon de ne pas l'oublier. » (Page 441).
De religion, de toutes les religions il est forcément beaucoup question dans cet ouvrage. Quand on parle de philosophie, la religion n'est jamais très loin pour tenter de lui reprendre la vedette. Aussi parmi les interventions sur le sujet, j'ai eu un faible pour la citation des Frères Karamazov qui n'a pas échappée à MH lorsque « Dostoïevski s'en prend à l'Église catholique, en particulier au pape et aux jésuites. Revenant sur terre, le Christ est aussitôt emprisonné par les autorités ecclésiastiques. Le grand inquisiteur, venant lui rendre visite dans sa cellule, lui explique que l'Église s'est très bien organisée sans lui, qu'ils n'ont plus besoin de lui – et que, même, il les dérange. Il n'a donc d'autre choix que de le faire exécuter à nouveau. » (Page 422).
L'adepte de MH sera, avec cet ouvrage confirmé dans son inclination. Son détracteur pourra moduler sa répugnance avec ces Interventions qui si elles nous confirment que l'auteur aime bien bousculer son monde, n'en restent pas moins au-dessus de la ceinture.