J'avais la tentation d'écrire. Puis j'ai lu Romain Gary. Je me suis laissé emporter par le flot impétueux des phrases longues et ardentes de La promesse de l'aube. J'ai alors mesuré le gouffre qu'il y a entre la limpidité du talent et la turbidité de mon intention prétentieuse. Je me suis donc ravisé. Merci maître de m'avoir rendu quelque modestie et calmé ainsi mes ardeurs brouillonnes. Je me contenterai donc d'essayer de traduire mon enthousiasme pour les belles pages de littérature moderne que je viens d'ingurgiter goulûment.
Voilà un ouvrage auto
biographique qui, de la première à la dernière page, fait l'apologie d'un amour
particulier, inaltérable. Celui que partagent une mère et son fils.
Romain Gary a toutefois bien
imaginé l'embarras qui pourrait s'installer dans l'esprit de son lecteur avec
une telle confidence. Il se sent alors obligé d'anticiper sur les suspicions
que cette relation pourrait faire naître chez les " frétillants parasites
suceurs de l'âme" et se défend de toute connotation incestueuse quant à
cet élan partagé : "Je ne crois donc avoir éprouvé à l'égard de ma mère,
que je n'ai jamais connue vraiment jeune, que des sentiments platoniques et
affectueux".
Etonnante la soif de célébrité pour son fils qui obsède cette mère. Peu importe
la voie ou le moyen d'y parvenir. Rien ne la rebute, ni ne la décourage. Le
destin lui donnera raison. A notre plus grand bénéfice, nous, lecteurs d'un
temps où ce magicien du verbe n'est plus.
Mais l'amour confère des devoirs
envers son objet. Même s'il faut se mettre en danger pour le manifester et le
préserver. Cela vaudra à Romain Gary, alors adolescent, de recevoir la plus
belle paire de gifles de sa vie de la part de sa mère. Sans rancune. Une leçon
d'amour. C'est tout.
Il en sera pour son pays
d'adoption comme pour sa mère. Un amour absolu et inconditionnel. Même loin des
yeux. "De toute mon existence, je n'ai entendu que deux êtres parler de la
France avec le même accent : ma mère et le général de Gaulle".
Romain Gary a été un combattant
de la France libre de la première heure. Dès la défaite de juin 1940 il a
compris que son devoir lui commandait de ne pas accepter la défaite. Mais il
n'en veut à personne, ni aux ennemis de la France, ni à ceux qui leur serrent
la main. Il n'est pas avec eux c'est tout. C'est un humaniste convaincu. En
dépit des épreuves qui jalonnent sa vie, il conserve foi en l'espèce humaine.
En l'être vivant devrait-on dire, car il respecte tout ce qui naît et croît sur
terre. Il va jusqu'à regretter de faire du mal à ses semblables en participant
à des actions de guerre. Son amour pour ce pays d'adoption en fait un Eden
patriotique. Il lui dicte un devoir sans arrière-pensée.
Romain Gary a un regard lucide sur l'existence. C'est un spectateur de sa
propre vie. "Je ne triche pas avec moi-même et je sais que, pour l'essentiel,
j'ai été et ne serai plus jamais".
A plusieurs reprises, dans cet
ouvrage publié en 1960, avec une lecture avisée - car il est facile de refaire
l'histoire quand on en connaît la fin - on perçoit la germination de ce qu'il
qualifie "d'intention sublime". Celle qui lui fera écourter sa vie 20
ans plus tard. Tant pis pour nous. Mais peut-être avait-il alors la conviction
d'avoir été au bout de ses écrits. Peut-être avait-il perçu les limites de son
humanisme. Ou peut-être cet homme, qui avait besoin d'être materné, ne
supportait-il pas l'idée que l'élue de son cœur ait choisi de le confier à la
plus fidèle amie de l'écrivain : la solitude.
Aussi, entre deux œuvres de
solitude, préférera-t-il la mort. A le lire, on comprend que cette échéance ne
le rebute pas. Cette prédestination n'est que l'ultime chance de débarrasser
l'âme d'un corps devenu fardeau. Rien de plus normal lorsqu'il fait le décompte
précis de ceux de ses amis que la guerre a gommés du monde. En avait-il des
amis d'ailleurs ? Il n'en exprime pas le moindre regret. Il a de toute façon la
certitude de les retrouver un jour.
Fabuleux créateur de beaux
textes, au langage alternant humour et froideur, toujours pudique. Il a
vis-à-vis du destin le détachement de ceux qu'habite le fatalisme. Avec l'air
de vous dire: voilà les choses comme elles sont. Je vous l'aurai dit. Faites-en
ce que vous voulez.
Quel sentiment m'anime en fermant
cet ouvrage, si ce n'est une admiration inconditionnelle ? Et bien sûr un peu
de jalousie ! Mais je partage son approche quant à la destinée.