A peine sorti du ventre de sa
mère, Jean-Baptiste Grenouille avait déjà cette faculté d'analyser, de décoder
les senteurs complexes, de les recomposer longtemps après. Il avait le don d'en
créer de sublimes, d'ensorceleuses. En parfait limier, il avait aussi cette
capacité à suivre entre mille à la trace les parcelles moléculaires d'une odeur
et d'aboutir à son porteur.
Qui n'a pas rêvé de s'ennuager de
la fragrance magique propre à faire chavirer les cœurs à la seule apparition de
son porteur, en parfaite revanche d'un penchant narcissique entretenu dans
l'exiguïté d'une naissance misérable. La fin justifiant les moyens,
Jean-Baptiste Grenouille ne recule devant rien pour s'affubler de ce pouvoir
divin, y compris s'il faut prendre la vie de jeunes filles vierges pour
recueillir leurs effluves sensuels. Ce n'est pour lui qu'un acte technique
parmi d'autres de captation d'une aura prodigieuse.
Je viens de réparer une lacune de
jeunesse qui m'avait fait négliger de lire le Parfum. J'en ai encore les
narines frémissantes. Un roman au surréalisme bien dosé, propice à susciter les
émotions les plus ardentes alors que trop de vraisemblable les étoufferait. Un
roman dans lequel les autres sens sont au service de l'odorat pour tenter d'en
divulguer les pouvoirs. Un roman auréolé de vapeurs sibyllines qui nous
envoûtent et nous gagnent à la géniale folie de Jean-Baptiste Grenouille. Un
roman pour lequel je vais manquer d'originalité en exprimant qu'il est
fabuleux.