Ce qui devrait être le haut-lieu de la conscience mondiale, le siège des Nations Unies, est investi par un illuminé qui, à grand renfort de symboles foulés au pied, offre prétexte à Romain Gary pour crier son désespoir. Celui de voir son idéal d'enjoliver le monde sacrifié sur l'autel d'un matérialisme forcené.
Diplomate en poste auprès des Nations Unies au moment où il écrit cette satire
féroce, il est à la fois bien placé pour déplorer ce que deviennent les grandes
et belles idées qu'il pouvait nourrir en son for intérieur quant à cette haute
instance humanitaire, et mal placé pour le dénoncer. Il publie donc son ouvrage
sous ce pseudonyme de Folco Sinibaldi et se taille ainsi sur mesure un grand
défouloir duquel suinte toute l'aigreur du désenchantement.
Avec ce monument d'ironie il est
question de la douleur d'appartenir à une espèce qui cultive son
autodestruction. Romain Gary, sans doute désespéré du "pourrissement d'un
grand rêve humain", applique tout son talent à le tourner en ridicule. Les
Nations Unies, d'où devrait jaillir "l'étincelle sacrée de la conscience
mondiale", ne sont donc rien qu'une machine à dissoudre dans l'abstraction
ce qu'elles ne peuvent maîtriser. Tel en sera symboliquement du derrière de ce
pauvre cow boy qui ne pourra désormais plus chevaucher son fier étalon. C'était
lui l'homme à la colombe. Il l'avait bien cherché à cultiver bêtement un idéal
d'intelligence collective chez une espèce gangrenée par l'individualisme.
C'est à la fois savoureux, fort talentueux, et malgré tout l'oeuvre d'un cœur
meurtri.