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Ouvrages par genre
mardi 27 juin 2023
Hôtel Castellana ~~~~ Ruta Sepetys
La main de Dieu ~~~~ Valerio Varesi
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J’ai fait cette belle découverte dans une boite à livres. Aussi pour me faire pardonner auprès de l’auteur de ne pas avoir apporté ma contribution au soutien de son talent, je me fais le devoir de déclarer ma satisfaction les pages de Babelio.
J’aime en effet ces polars dans lesquels le sang ne colle
pas les pages, dans lesquels le flic se sert de sa jugeote plus que de son
flingue. Pas de mise en scène sordide, de crime rituel, de fou cinglé qui
fracasse des vies au hasard. Et pourtant on ne s’y ennuie pas le moins du monde.
La preuve pour moi qu’on peut faire du polar moderne - car le contexte est actualisé
- sans sombrer dans le glauque racoleur.
Lorsque le torrent impétueux qui dévale la montagne livre un
cadavre sur ses berges, à l’approche de Parme, le commissaire Soneri comprend
vite qu’il va devoir remonter à la source pour trouver l’origine de cette
découverte morbide. Son auteur surtout, car le meurtre ne fait aucun doute.
Il n’a rien d’un super héros au pistolet greffé ce
commissaire. Son style le fait qualifier de Maigret parmesan en quatrième de
couverture par la critique littéraire du Point. Je la rejoins quant à ce
ressenti. Valerio Varesi nous livre un polar d’ambiance dans lequel décor et
psychologie des personnages sont restitués avec soin.
L’omerta sévit aussi en milieu montagnard. Chaque vallée est
un microcosme. Outre son expérience, il faut beaucoup de psychologie à ce flic
de la ville pour conduire son enquête. De sang-froid aussi, pour ne pas se
laisser impressionner par les taiseux au regard agressif ou les viandards exubérants
qui rentrent de la chasse excités par leur course au gibier.
Quelques belles réflexions sur la condition humaine, son
rapport à la religion, qui n’est jamais très loin en Italie, rehaussent les habituelles
procédures du limier parmesan. Ce subtil dosage nous conduit vers un dénouement
qui, bien qu’on le voie venir d’assez loin, ne perd rien de sa valeur grâce à la
teneur de la joute verbale qui le couronne.
La main de Dieu est un très bon polar qui ne se sent pas obligé
de sombrer dans le sensationnel pour entretenir l’attention de son lecteur. La
réalité est assez méprisable comme ça.
Figurez-vous qu’il y en avait un autre polar du même auteur
dans la boite à livres. Je ne vais donc pas me priver de faire plus amplement
connaissance avec ce flic fréquentable. C’est vrai qu’il a un style bien à lui sous
la plume de Valerio Varesi.
vendredi 16 juin 2023
Les philosophes sur le divan ~~~~ Charles Pépin
À se creuser la tête à force de raisonner les philosophes
deviendraient-ils névrosés ?
La confrontation de la psychanalyse avec la philosophie est une situation que
j'avais déjà expérimentée avec un auteur comme Irvin Yalom et
ses excellents ouvrages tels que Et Nietzsche a
pleuré, La méthode Schopenhauer ou
encore le problème Spinoza.
Mais pour le coup avec cet ouvrage, Charles Pépin nous
propose une mise en scène aussi inattendue qu'intéressante. Débarrassée de la
notion de chronologie elle convoque sur le divan du pape de la
psychanalyse, Sigmund
Freud, les philosophes tout aussi éminents dans leur domaine que sont Platon, Kant et Sartre.
Une façon d'éclairer les esprits livrés aux questions existentielles, et leur
corallaire de la quête du salut obsèdant tout un chacun confronté la finitude
de sa vie, avec les théories de trois grands philosophes aujourd'hui disparus.
Ils s'épanchent tous trois bon gré mal gré sur le divan de celui, « qui réduit
les grands délires à Papa Maman », théoricien d'un inconscient auquel il
attribue les manifestations échappant à la rationalité. Inconscient que l'un et
l'autre s'emploient à dénigrer sous le sceau de la morale ou de la contingence.
Platon et le «
ciel des idées ». La vie est ailleurs. Philosopher c'est apprendre à
mourir. Sartre catéchumène
de l'existentialisme. Dieu n'existe pas. Nous ne sommes déterminés par rien.
L'homme n'est que la somme de ses actes. Kant le
moraliste, bien que misogyne, pour qui la raison offrira la liberté et énonce
ses trois grandes questions de la philosophie : que puis-je connaître ? Que dois-je
faire ? Que m'est-il permis d'espérer ?
Charles Pépin a
trouvé avec cet artifice de la psychanalyse sur un divan bien contemporain de
nous autres lecteurs du 21ème siècle l'espace-temps propice à développer sans
autre justification forcément difficile à concevoir l'intemporalité et
l'universalité de la philosophie. C'est une façon de rendre abordable au
profane les grandes théories qui depuis Socrate battent en brèche la croyance
pour trouver un sens à la vie et accessoirement ne faire de la mort qu'une
étape de celle-ci.
Nul ne peut dire qu'il n'a pas réfléchi au sens de la vie. Tout un chacun est
donc philosophe sans le savoir. A son niveau. Approfondir le sujet avec les
grands penseurs est en revanche entreprise ardue qui rebute facilement. Charles Pépin nous
ouvre une fenêtre sur quelques grands thèmes défendus par des éminents de la
discipline en tentant cette libération de la parole salvatrice. Surement pas
pour les sujets sur le divan. Ils ont tant dit et écrit. Et vécu. Mais
peut-être pour le lecteur qui a quant à lui tant à s'entendre dire.
Charles Pépin nous
suggère avec cet ouvrage à « entrer en philosophie pour mieux supporter sa
situation en la peignant comme étant celle de tous les hommes. »
mardi 13 juin 2023
Mon enfant de Berlin ~~~~ Anne Wiazewsky
Un ouvrage autobiographique d'avant naissance si l'on peut dire puisqu'il
évoque l'histoire d'amour de ses parents. Une histoire somme toute assez
banale. Et pauvrement restituée. Sauf à décréter que lorsqu'il s'agit d'amour
banalité et pauvreté ne sont plus de mise. Surtout lorsque le contexte est
celui de Berlin à la toute fin de la seconde guerre mondiale. Une ville en
ruine ou errent des rescapés affamés, pétris de la peur incrustée en chaque
cellule de leur corps par les bombardements alliés puis par l'entrée dans la
ville d'une armée rouge bouffie de vengeance. Claire Mauriac y était alors
membre De
La Croix rouge particulièrement chargée du rapatriement des
prisonniers des camps. Une mention spéciale y est faite au bénéfice des «
malgré-nous », ces Alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht, considérés
comme allemands par les Russes et donc traités comme tels. Yvan Wiazemsky ayant
beaucoup œuvré pour extirper quelques de ces malheureux des griffes de ses ex
concitoyens.
Mon
enfant de Berlin est en fait Anne, l'auteure de cet ouvrage. Le titre
est trompeur, puisque Anne est la narratrice externe de cet ouvrage, ne se
déclarant pas fille de sa mère qu'elle appelle par son prénom. Anne construit
son ouvrage sur la base des correspondances de sa mère avec sa famille. Cela en
fait une trame décousue que ne restructure pas le liant de la narration. Le
style des lettres de sa mère, souvent altéré par les circonstances de leur
rédaction et le caractère précipité et aléatoire du départ des courriers, n'est
corrigé ni par la construction de l'ouvrage ni par le style personnel d'Anne
Wiazemsky quelque peu indigent. L'ouvrage perd en plaisir de lecture.
Mais de toute lecture il faut tirer bénéfice. On le fera dans cet ouvrage avec
la remise en mémoire du sort de tous ceux, les plus humbles comme souvent, qui
ont pâti de l'appétit de pouvoir de leurs dirigeants. « le pouvoir est la
consolation des ratés » nous dit Platon. Une consolation
bien chère payée par les crédules qui se sont laissé ensorceler au discours
nauséabond.
dimanche 11 juin 2023
Présentation de la philosophie ~~~~ André Comte Sponville
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Pour qui réfléchit un peu à sa raison d'être sur terre, au
mystère de la vie, et donc sa finitude, et surtout à la quête du salut qui fait
espérer une plénitude heureuse après la mort, s'offre à celui-là deux voies :
la religion et ses dogmes, selon celle qu'il choisit, ou la raison qui dans ses
développements s'exprime en philosophie. L'amour du savoir, l'amour de la
sagesse.
La religion nous invite à croire. En un dieu, et un seul de nos jours. Car
celles qui ont cours désormais sont monothéistes. En un dieu qui est amour,
même si tous les jours on a des démonstrations du contraire. En un paradis,
même si aucun signe n'est de nature à le confirmer. En devenant croyant, on
règle la question du salut. Il suffit d'écouter les prophètes et leurs
porte-voix. Je crois en Dieu, au paradis. Mon esprit est soulagé de cette
obsession de l'après-vie. Elle ne peut-être que merveilleuse. Dieu est amour et
nous accueille auprès de Lui. Je peux donc vivre ma vie dans la certitude de la
félicité après la mort. Alléluia.
Pour celui qui ne croit pas, la démarche est plus compliquée. Il faut
réfléchir. Il faut raisonner. Il faut philosopher. Philosopher c'est apprendre
à mourir nous dit Montaigne qui
l'a repris de quelqu'un d'autre. Philosopher pour vivre sa vie pleinement,
humainement.
Tout le monde philosophe sans le savoir. À son niveau. Avec ses moyens
intellectuels et sa culture. Mais si l'on veut approfondir le sujet et accéder
à la sagesse, qui seule peut permettre de vivre sa vie d'homme, il faudra
s'investir personnellement. Travailler, lire les ouvrages de tous ces gens qui
sont devenus des philosophes reconnus depuis que l'écriture nous en rapporte
les réflexions. Même celles de ceux qui n'ont rien écrit, tel Socrate. Il avait
pourtant pignon sur rue dans le domaine. Platon a fait ce
travail de laisser la trace écrite de ce que Socrate confiait à l'oreille, à
l'esprit de qui voulait lui prêter attention et crédit.
André
Comte-Sponville qu'on ne présente plus en la matière nous adresse cet
opuscule dans lequel il a rassemblé douze textes de son cru. Des sujets choisis
par lui pour mettre le pied à l'étrier de la
philosophie à qui voudrait s'ouvrir à cette discipline alternative à
la croyance. Nous mettant en garde en disant que l'effort de vulgarisation qu'il
fait n'est pas l'ouverture d'un chemin facile. Philosopher de manière avisée
demande de s'atteler aux écrits des philosophes, les vrais, les anciens et les
modernes, autant d'éminents penseurs qu'il appelle à son argumentation, et là
c'est du sérieux.
Pour les autres, ceux qui ne croient pas et qui ne veulent pas s'investir à
acquérir quelque sagesse, il y a la fête. le divertissement. Divertissement
qu'il faut entendre au sens de détournement de l'esprit : oubli, ou plutôt
mépris de sa condition de mortel. Tous les moyens leur sont bons depuis le
grand huit de la Foire du trône jusqu'aux paradis artificiels de l'alcool et de
la drogue en passant par la discothèque où les décibels martèlent à ce point
les neurones qu'ils en chassent l'idée de la mort.
Alors, disons-le tout net, les temps sont durs pour la croyance et la raison.
L'époque n'est plus à l'ascétisme ou à l'effort. Aussi pour appâter le chaland
faut-il vulgariser. C'est un peu la raison d'être de pareil ouvrage de
l'éminent philosophe. Car il en est, de plus en plus nombreux, pour croire en
une troisième voie : la science. Elle sait déjà nous soulager de la douleur.
Elle saura bien le faire de la mort. Sans compter sur l'intelligence
artificielle. Elle va supplanter celle qui jusqu'à aujourd'hui a différencié
l'homme de l'animal. Elle n'aura pas d'obsessions macabres. L'éternité est
peut-être là ?
jeudi 1 juin 2023
L'appel de la tribu ~~~~ Mario Vargas Llosa
"Le monde romanesque n'est que la correction de ce
monde-ci" nous dit Albert Camus dans L'homme révolté.
A explorer l'œuvre de Mario Vargas
Llosa, voilà une assertion que l'on peut mettre au crédit de l'œuvre de ce
dernier. de la même façon qu'avec cet ouvrage dans lequel le prix Nobel de
littérature convoque sa tribu, ceux-là même qui ont concouru à la genèse de sa
pensée politique, à l'instar d'un Albert Camus il sait revêtir le
costume du philosophe. Philosophie qu'il applique ici à la politique avec
cet ouvrage autobiographique dans lequel il nous décrit l'évolution de sa
pensée en la matière. Comme pour beaucoup, la maturité formant l'homme, elle a
évolué de l'utopique vers le pragmatisme libéral.
Libéralisme dont il nous détaille sa conception. Se défendant de le réduire à
une recette économique des marchés libres, l'orientant vers une « doctrine
fondée sur la tolérance et le respect devant la vie, d'amour de la culture, de
volonté de coexistence avec l'autre et sur une ferme défense de la liberté
comme valeur suprême. » Mais selon lui, le libéralisme ne fonctionnant qu'avec
des convictions morales solides l'intervention de l'Etat peut s'avérer
nécessaire selon un dosage subtil qui devra écarter toute tentative d'hégémonie
du collectif sur l'individu. L'écueil étant cet étirement vers les extrêmes que
le discours populiste tente de faire, à droite comme à gauche.
Evoquant au passage le paysage politique français, qu'il connaît bien pour
avoir séjourné en notre pays, Mario Vargas Llosa met en avant le fait
que les belles intentions affichées au fronton de nos édifices publics peuvent
comporter leur lot de contradiction. « Ainsi pour établir l'égalité, il n'y
aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la
surveillance et l'action toute puissante de l'Etat. Que l'injustice sociale
soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité – et que
fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des
causes plus négatives que positives, comme celui d'une guerre ou d'un
cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est
quelque chose de regrettable et difficile à accepter. » Mais selon lui, ignorer
ces contradictions serait plus grave que de les affronter et c'est sans doute
la raison de son engagement en politique, non seulement dans son œuvre mais
aussi dans ses actes. N'a-t-il pas été candidat, certes malheureux, à
l'élection suprême en son pays en 1990.
Dans l'appel de la tribu, Mario Vargas Llosa invite les penseurs
politiques qui ont concouru à forger sa conviction, depuis le précurseur de la
pensée libérale au 18ème siècle, Adam Smith, jusqu'à
des Raymond
Aron et Jean-François
Revel au 20ème siècle. Intellectuels qu'il situe parmi les derniers
célèbres pour l'originalité de leurs idées et leur indépendance, nos
contemporains du 21ème siècle étant quant à eux plus préoccupés de leur image
et du spectacle qu'ils donnent en apparaissant dans les médias.
Romancier philosophe ou philosophe romancier, quelle que soit l'étiquette que
l'on collera au personnage on ne peut être qu'emporté par l'érudition du
personnage et le talent qu'il met au service d'un humanisme lucide, vertu en
laquelle il voit la sauvegarde de toute société.
L'homme est un animal politique selon Aristote, Mario
Vargas Llosa l'a bien entendu et n'est pas resté spectateur des choses de
ce monde. Avec cet ouvrage il nous offre l'occasion de mieux comprendre
l'univers dans lequel évolue beaucoup de ses personnages romanesques. Sachant
qu'avec lui de chaque roman il faut tirer une philosophie.
L'ouvrage foisonnant de substantifs en « isme » demande un effort
d'implication. Il est révélateur de la puissance conceptionnelle du personnage,
de ses hauteurs de vue lui permettant dans ses romans de disserter sur la
complexité de l'animal social qu'est l'homme. Sa force étant de garder un
discours à la portée de son lecteur le plus humble, sans toutefois amoindrir la
force du message.
vendredi 26 mai 2023
La société royale ~~~~ Robertt J. Lloyd
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L'amateur de roman historique que je suis a été appâté par ce qu'on nous présente comme la premier roman Robert J. Lloyd. Il s'appuie sur l'œuvre de Robert Hooke, un scientifique anglais du XVIIème siècle qui dans cet ouvrage se trouve être le recours du roi Charles II (dynastie Stuart) afin de tenter d'élucider le mystère suscité par la mort de plusieurs jeunes enfants. Ils ont été retrouvés vidés de leur sang dans divers lieux isolés de Londres. C'est donc une forme de polar historique auquel nous convie cet auteur. Robert Hooke de la Société Royale y tient son rôle, quelque part extrapolé pour y devenir à la fois détective et médecin légiste. Il se laisse toutefois voler la vedette par son jeune assistant Henry Hunt lequel s'approprie la conduite de l'enquête. C'est en fait ce dernier qui la sort de l'enlisement.
L'écueil à éviter avec ce genre d'exercice serait celui de sombrer dans
l'anachronisme scientifique en déflorant des techniques d'analyse d'un temps
qui n'était pas le leur. L'impressionnante bibliographie qui a servi de base à
la construction de cet ouvrage nous prouve que Robert J. Llyod, si on ne
l'avait compris à la lecture de l'ouvrage, a étudié son sujet avec une
précision stupéfiante. La documentation est on ne peut plus fouillée.
Reste que la connaissance ne fait pas l'ouvrage, l'écriture doit être à la
hauteur. le style mis en œuvre par l'auteur est descriptif et pédagogique.
L'ouvrage souffre à mon sens pour le coup de quelques longueurs. Elles pourront
blaser les amateurs de rythme plus enlevé, habitués qu'ils sont désormais par
les productions modernes à la surenchère d'artifices, lesquels pallient souvent
un manque de créativité. La contrepartie étant la prise de distance avec la
vraisemblance des faits. Mais y attachons-nous beaucoup de crédit de nos jours
alors que le fantastique et le surréaliste accaparent les suffrages.
On se rend compte à l'avancée dans la lecture que l'atonie de style relève
justement a contrario de la tendance actuelle d'un souci de crédibilité. Elle
se veut le reflet des tâtonnements et atermoiements d'un personnage lui-même
dépassé par l'originalité de la mission qu'il s'est vu confier au seul motif
qu'il était un scientifique reconnu en son époque.
D'aucuns plus ouverts à la fresque historique salueront le souci de la
précision qui anime l'auteur dans la description tant des décors de l'intrigue
que de la psychologie des protagonistes foisonnant dans cet ouvrage. Autant de
personnages historiques qui rattachent l'intrigue à son contexte du moment. Une
intrigue qui est par elle-même bien imaginée et conduite avec justesse vers le
dénouement, lequel s'ébauche par petites touches.
Ce que le souci de vérité historique retire au captivant, les mœurs de l'époque
à l'humanisme aride le lui rendent bien. L'épouvante n'est pas loin quand il
s'agit d'évoquer la mort des enfants, surtout lorsqu'on en découvre le mode
opératoire et la justification.
C'est autant un roman d'imprégnation qu'un thriller qui cherche sa voie. J'ai
apprécié la justesse dans la restitution du contexte des péripéties :
l'indigence de la connaissance scientifique des contemporains de l'époque
choisie, l'influence prépondérante de la religion, les cloisons étanches entre
les couches sociales, le caractère expéditif de la justice dans la main des
puissants. Autant de données historiques fort bien rendues qui soulignent le
souci de l'auteur de ne pas échouer dans son transport dans le temps. Tout cela
fait que le résultat est une forme de polar historique supporté par une
intrigue intéressante mais dont le style manque quelque peu de saveur.
mardi 2 mai 2023
Le seigneur de Lochraven ~~~~ Shannon Drake
Dans l'histoire du Royaume-Uni il est une époque où il ne
l'était pas du tout, uni. Et s'il est un épisode de cette histoire qui est
singulier c'est bien celui qui opposa Marie Stuart, reine d'Ecosse après
avoir été quelques mois reine de France, à sa cousine Elisabeth 1ère
d'Angleterre. Ce cousinage ne sera pas gage d'entente familiale puisque cette
dernière fit décapiter sa cousine, l'accusant de trahison. Laquelle trahison
n'était en fait que la revendication de l'héritage de la couronne d'Angleterre,
qui revenait en fait à Marie Stuart dans l'ordre de succession.
C'est dans ce contexte pour le moins fort en péripéties que Shannon Drake a
décidé de glisser son intrigue amoureuse, puisqu'il s'agit bien de cela, entre
deux personnages évoluant dans le cercle intime de la reine d'Ecosse. C'est
plutôt réussi à mon goût. On n'échappe pas bien entendu à quelques raccourcis
simplificateurs et autres hasards salvateurs mais la romance est habilement
construite et insérée dans cette histoire mouvementée et dramatique sans la
dénaturer outre mesure.
C'est crédible et bien écrit. S'agissant d'une publication en anglais, on sait
que le traducteur a sa part dans cette qualité d'écriture. C'est pour moi un
roman historique de bonne facture. Il respecte les faits en y appliquant une
intrigue recevable, sans anachronisme flagrant tant dans le langage que dans
les modes de vie.
jeudi 20 avril 2023
Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco
J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous
autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces
gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un
attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait
la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils
en espéraient de quoi subsister.
Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous
convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent
de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté
d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à
craindre pour la récolte.
Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie
maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires
sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur
ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à
l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même
un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a
perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.
Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les
états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la
prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant
qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en
ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente
tant son courroux est craint.
Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de
travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand
les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que
part regard à la dérobée et rougeur au visage.
Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour
chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature
sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui
voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que
les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante
ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à
ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des
vivants.
Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur,
l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où
l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes
de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une
écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail
accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.
samedi 15 avril 2023
Marguerite-Marie et moi ~~~~ Clémentine Beauvais
C'est
fortuitement que Clémentine Beauvais apprend avoir eu une lointaine aïeule
religieuse, au XVIIème siècle. Cette dernière a été sanctifiée sur le tard sous
le nom de sainte Marguerite-Marie. Elle avait écrit le journal de sa vie et
c'est contre sa volonté que ce texte fut conservé. Elle avait en effet demandé
sur son lit de mort à son infirmière de procéder à la destruction du manuscrit.
Elle fut désobéie sur ce point.
Au XVIIème siècle on le sait les femmes n'écrivent pas, ou si peu. Encore moins des romans, genre qui n'existe pas encore. Et encore moins imaginent-t-elles être éditées. Il leur manque cette chambre à soi chère à Virginia Woolf dans un monde gouverné par les hommes qui seuls avaient l’espoir d’être édités. Mais peut-être ces intimité et solitude nécessaires à l’écriture, Marguerite-Marie les avait-elle quand même réunies en son couvent des visitandines à Paray-le-Monial, car son journal vit le jour. Alors sommes-nous portés à nous interroger sur son intention dans l’acte d’écrire ce qui relève de l’intime. Peut-être pour se mettre elle-même à l’épreuve de sa foi. Ou bien destinait-elle cet ouvrage à des yeux très hauts. A moins que, comme nous le confie Clémentine Beauvais, écrire c’est peut-être aussi détourner le regard de ce que l’on veut cacher. Y compris et surtout dans l’exercice du journal intime.
Clémentine Beauvais est quant à elle agnostique. Peut-être serait-elle même plus que cela si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne la retenait au bord du gouffre de l'athéisme. Gouffre qui n'en est d'ailleurs surement pas un pour elle, mais seulement un sujet de réflexion. De ceux qui font basculer de la foi vers la philosophie. De la croyance vers la raison.
Aussi lorsqu'une éditrice lui suggère d'écrire un ouvrage sur son aïeule, c'est sans doute par défi à sa foi absente que Clémentine Beauvais, autrice aux multiples ouvrages à succès, se livre à l'exercice. Elle qui ne connaît de l'amour que la version terrestre du sentiment – elle nous le confie - décide de se confronter à sa version céleste. Celle éprouvée par son aïeule pour le Christ, Lequel lui serait apparu à plusieurs reprises, au point de faire d’elle une exaltée. N’avait-elle pas brûlé ses mains au Sacré-Cœur. Et de se mortifier de sévices jusqu’à se voir reprocher, par Celui-là même vers qui était dirigé son adoration, d'une rigueur excessive.
J’ai
trouvé la démarche passionnante : la rencontre par ouvrage interposé
au-delà des siècles d’une agnostique avec une exaltée de Jésus-Christ. Ce qui a
parachevé mon intérêt pour me rendre cette lecture captivante, c’est évidemment
le style adopté par son autrice. Le style résolument moderne, rehaussé d’un
humour un brin caustique, un brin « provoc » mais pas trop. Un style
taillé sur mesure pour plaire au lectorat de notre temps dont on sait qu'il
n'est pas non plus très porté sur le mystique. Un style qui donne à cette
écriture sa fluidité et coupe court à tout ce que le sujet pourrait comporter
de rébarbatif. Il se police toutefois quelque peu au fur et à mesure que la
connaissance avec la lointaine aïeule s’approfondit. En même temps que l'une et
l'autre, par-delà les siècles se fassent connaître l'une à l'autre. Sans
intention de prosélytisme, entendons-nous bien. Juste pour faire admettre que
la tolérance réciproque dans sa conception tant religieuse que civile passe par
la connaissance mutuelle et le respect des consciences de chacun.
Un
style donc, pour insister sur le sujet tant il est influent quant au message à
faire passer, qui soutient l’ouvrage dans sa totalité pour en faire une lecture
vivante, attrayante. Il me fait au passage me demander, puisque c’est le
premier ouvrage que je lis de cette autrice, s’il est une marque de fabrique
chez Clémentine Beauvais ou bien s’il est volontairement adapté au sujet
traité, pour servir d’accroche à un lectorat volatile.
Cet
ouvrage m'a séduit tant il m'a paru particulièrement judicieux, courageux dans
son intention et sa démarche aussi quand on apprend de la main de Clémentine
Beauvais le contexte familial dans lequel elle décide de se livrer à pareille
aventure éditoriale. Un ouvrage qui peut-on dire est une biographie croisée de
deux personnes, l’autrice et son aïeule, avec la confrontation de leurs
opinions respectives sur le sujet de la croyance. Même si le genre de la
biographie n’est pas le plus approprié, au point que les éditions J’ai Lu lui
affecte l’étiquette de récit. Les chausse-trappes ne manquaient pas et c'est
avec brio que Clémentine Beauvais a réussi cet exercice à mes yeux. Même si elle
n'est déjà plus une novice en matière littéraire autant par son érudition que
par ses succès d’édition, je le découvre en faisant sa connaissance avec cet
ouvrage. Il me reste désormais qu'à confirmer mon goût pour pareille écriture
décomplexée avec un autre ouvrage de sa main.