Ce recueil de textes inédits
couvrant la période de la première guerre mondiale est doublement intéressant
pour faire plus ample connaissance avec Stefan Zweig. Appréhender l'évolution
de son style et de ses opinions, l'évolution de l'homme et de l'écrivain.
Le style journalistique enflammé
du témoin des premiers jours de la mobilisation devient très vite plus
emphatique, grandiloquent puis dramatique – comment ne le serait-il pas ? - au
constat des horreurs de la guerre, pour sombrer finalement dans l'exaspération
face à l'impuissance générale à enrayer la machine infernale de la guerre,
broyeuse d'humanité, à mettre un terme à l'inimaginable.
Pour ce qui est des opinions, la
tentation patriotique de 1914 verse rapidement dans le pacifisme, bien avant la
fin de la guerre, dès que Stefan Zweig se sera rendu compte par lui-même de
quelle façon l'esprit fleur au fusil de 1914 s'est transformé en une boucherie
épouvantable. Allant jusqu'à faire l'éloge du défaitisme, à renoncer à toute
victoire tant que ce ne serait pas celle de la fraternité entre les peuples.
A la lecture des ouvrages que
Stefan Zweig publie après la première guerre mondiale, on peut être parfois
blasé de la grandiloquence redondante de son style. On ne s'émeut toutefois pas
de cette emphase lorsqu'il rend hommage dans un chapitre de cet ouvrage à Henri
Barbusse, lequel a publié le Feu - journal d'une escouade, avant même la fin de
la guerre. Cet ouvrage a fait partie, avec Les croix de bois de Roland
Dorgelès, de ceux qui ont forgé ma fascination d'horreur à l'égard de celle
qu'on appelle la Grande guerre. Et Stefan Zweig de répéter en leitmotiv
l'expression de Henri Barbusse qui coupe court à toute dissertation sur la
description de l'horreur :" On ne peut pas se figurer!" Expression
qui a imposé le silence à nombre de rescapés du massacre organisé, lesquels se
sont très vite rendus compte qu'ils ne parviendrait jamais à faire comprendre
ce qu'ils avaient vécu, à ceux de l'arrière, à ceux qui ne l'avaient pas vécu
justement.
A l'occasion d'un séjour qu'il
fait en Galicie, dans laquelle il avait été envoyé en mission en 1915 lorsque
cette région avait été reprise aux Russes, Zweig s'était ému du sort réservé à
ses coreligionnaires juifs. Sans imaginer que vingt ans plus tard il serait
lui-même l'objet de persécution du fait de sa religion.
Autant d'événements qui ont forgé
le pacifisme de l'homme et la volonté farouche de l'écrivain de le faire savoir
et gagner ainsi à sa cause tous ceux qui auront de l'influence en ce monde.
Recueil de textes édifiant pour
comprendre le personnage, l'auteur, l'argumentation de sa pensée d'humaniste
fervent qu'il est devenu, et mesurer son désespoir quand il voit l'Allemagne se
fourvoyer à nouveau dans la tragédie à partir de 1933. Désespoir qui le
conduira au geste fatal que l'on sait en 1942.