Pour sans doute prendre le contre-pied de Montaigne
lequel professait que « philosopher c’est apprendre à mourir », Luc
Ferry a intitulé son ouvrage d’initiation à la philosophie Apprendre à vivre. S’adressant
de préférence aux jeunes générations et pour dédramatiser la raison d’être de
la philosophie, laquelle veut en réalité consoler l’homme de sa finitude, il a
décidé de l’aborder par son côté réconfortant et n’évoquer celle-ci qu’après une
préparation pédagogique qualifiée. Avant donc de confronter l’apprenti philosophe
à sa propre fin, il s’agit de lui faire apprivoiser le temps présent.
Parvenu à un âge qui, s’il n’est pas encore canonique,
n’est plus de prime jeunesse, j’ai aimé m’entendre tutoyer par l’éminent
professeur. Je me suis glissé à nouveau sans embarras dans le costume de l’élève.
Si les années m’ont fait accéder à la maturité physique, en matière de
philosophie il me reste ni plus ni moins qu’à naître. Cet ouvrage était donc aussi
fait pour moi.
Il n’en reste pas moins qu’aussi promoteur que se veuille
pareil ouvrage, convenons que les sujets abordés lui redonnent la complexité
qu’il voudrait éluder, la profondeur que voudrait atténuer la familiarité du
propos. Le recours successif inévitable aux références stoïciennes, chrétienne,
puis modernes et post modernes, et finalement contemporaines fait forcément
appel à une littérature dont l’abord est quelque peu difficile d’accès au
profane. Reconnaissons donc que la lecture des grands philosophes dans leur
œuvre nécessite, s’il est difficile de parler de vulgarisation en la matière, plutôt
une dédramatisation préalable. C’est ce à quoi Luc Ferry s’attache dans cet
ouvrage, glissant au gré de sa démonstration à l’adresse du néophyte les
références des textes les plus accessibles à qui voudra approfondir sa
connaissance et forger sa propre réflexion.
Le thème essentiel est celui du salut, ce devenir consolateur
après la mort qui entre croyance et raison fait débat. Néant ou félicité, ou
autre chose encore, la réponse ne sortira pas de l’esprit humain qui devra se
contenter de conviction délibérée ou suggérée. Car comment vivre avec des
questions aussi fondamentales puisqu’aucune vérité prônée par la doctrine
chrétienne, le salut par un autre, ou la philosophie, le salut par soi-même, ne
pourra s’imposer comme exactitude.
Les modèles proposés au fil des siècles par la raison et
la croyance ayant été successivement battus en brèche en partie grâce à l’éclairage
de la science, l’homme moderne devenu imbu de sa personne, doit désormais trouver
en lui-même les ressources pour sortir de l’impasse qu’il a fermée devant lui. Les
ressources pour apprendre à vivre, pour aimer la vie, sa vie, fût-elle vouée à
une fin, en se libérant du regret du passé et de l’espérance en demain,
sempiternelle fuite en avant qui n’est que mort par anticipation.
C’est donc à l’homme auquel il appartient d’introduire du
sens à la vie. La philosophie moderne serait donc orientée vers l’humanisme. Le
salut serait donc dans l’amour. De soi ici et maintenant. Du moi des autres, un
moi déconnecté de toutes les caractéristiques physiques et psychologiques par
lesquelles on a l’habitude de décrire les autres. Un moi désincarné. Le salut
serait dans l’amour absolu, sans attachement, seule source de vie bonne.
Ainsi donc, même s’il me reste à naître à la philosophie,
celle enseignée par tous les éminents depuis que l’intelligence a investi le
corps du mammifère, lui faisant du même coup prendre conscience de sa finitude,
ayant comme tout un chacun réfléchi à ce thème source d’angoisse, je me suis
forgé à la conviction que la mort serait somme toute accéder à ce que la vie ne
permet pas : appréhender enfin et indéfiniment l’instant présent. Il est
donc capital que cet instantané qui deviendra immuable soit un instantané d’amour.