Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 24 juillet 2022

Cathares 1198 ~~~~ Olivier taveau

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Hérétique : qui professe ou soutient des opinions contraires à celles qui sont généralement considérées comme vraies ou justes dans un groupe déterminé, nous dit le dictionnaire. Pour ce qui est de l'histoire des Cathares, le groupe déterminé c'est celui de l'église catholique apostolique et romaine. Cette dernière fondant sa légitimité sur le service d'un dieu qui brille par son absence de manifestations. La porte est alors grande ouverte pour parler à sa place et dire en Son nom ce qui est juste et vrai. Et il y a grande chance pour que ce juste et ce vrai servent les intérêts de qui le décrète. En Son nom bien entendu. Alibi suprême.

Aussi lorsque les Cathares se rendent compte que les dignitaires de cette église ne s'appliquent pas à eux-mêmes les valeurs de pauvreté et de chasteté dont ils ont la bouche pleine, qu'ils foulent au pied le fondement de leur religion, les fameux dix commandements, alors ces pauvres Bonshommes tels qu'ils se qualifient et leurs prêcheurs les Parfaits se mettent à contester ce juste et ce vrai dictés par une église à la corruption tellement sure de son fait qu'elle ne se dissimule pas. Église corrompue mais toute puissante. Elle mettra alors sa puissance et sa détermination à réduire au silence avec une cruauté inouïe ceux qui veulent faire valoir ses écarts avec la vraie parole du Christ, dont elle se légitime justement. Elle fera de même avec les Vaudois trois siècles plus tard en Provence.

Lire l'histoire des Cathares est toujours saisissant. Saisissement d'effroi avant tout à l'égard du sort réservé aux pauvres bougres qui avaient trouvé en leur nouvelle église la sincérité du discours et le secours spirituel attendu face à la rudesse de leur vie. Dans la quête du salut puisque tout est là. Ils ne voulaient ni plus ni moins que revenir à la parole première du Christ et appliquer Ses préceptes, que l'église Rome avait pervertis à son profit. Mais saisissement d'indignation aussi vis-à-vis de cette église, devenue l'officielle de Rome, au constat du comportement de ceux qui s'en était approprié les postes, arrogé le pouvoir, prêchant une chose et faisant son contraire, défendant ses privilèges avec une férocité assassine qui dépasse l'imagination. Dans l'amour de son prochain bien entendu. Au nom d'un dieu à qui elle fait dire ce qu'elle veut puisque la seule chose incontestable qu'on puisse attribuer au grand ordonnateur des choses de ce monde depuis qu'on l'invoque en tout et pour tout, c'est bien son silence.

L'ouvrage d'Olivier Taveau a comblé mes attentes en cela qu'il se réfère à des faits historiques objectivement admis et qu'en note finale de remerciement il y associe avec une ironie mordante cette église catholique apostolique et romaine, dénonçant ce qu'elle a sur la conscience depuis qu'elle détient le monopole dans la gouvernance des consciences, jusqu'à nos jours avec la protection consentie aux prêtres pédophiles. Monopole qu'elle aurait bien voulu voir perdurer si l'ouverture des esprits n'était pas venue lui apporter la contradiction et dénoncer tous ses crimes perpétrés au nom d'une foi, fondant une croyance à partir de laquelle s'est construite une religion exploitant le fabuleux commerce ouvert par la faiblesse de l'homme confronté à sa finitude.

Si toutes les religions se revendiquant d'un seul dieu, servies ou non par une église, ont une caractéristique commune c'est bien celle de l'intolérance vis-à-vis de toute velléité de concurrence. Se contredisant elles-mêmes en ce qu'elles prêchent l'amour de son prochain. J'espère qu'Olivier Taveau qui nous dresse, sur le modèle de la triste histoire des Cathares, une juste et violente diatribe contre l'église apostolique et romaine en a autant pour les autres religions se prévalant comme il se doit d'amour et de paix, et qui de tous temps ont été les premières à promouvoir la guerre.

Ce n'est pas Metin Arditi qui le contredira lorsqu'il fait dire à L'homme qui peignait les âmes : « On lui avait appris à respecter la Loi des Juifs et à se méfier de toutes les autres. Alors il lui répondit du mieux qu'il put, essayant de lui faire entrevoir les beautés qu'à ce jour on lui avait interdites :
- Notre religion dit la Loi. J'ai beau l'avoir abandonnée, sa rigueur et sa majesté m'impressionnent. La vie du Christ m'enseigne la charité, et l'Islam me rappelle l'importance de l'humilité et de la soumission. Pourquoi devrais-je refuser l'hospitalité de l'une de ces Maisons en faveur d'une autre ? Ce serait dédaigner chaque fois une grande richesse. Là serait la vraie folie. »


samedi 16 juillet 2022

Les enfants de la terre - tome1 ~~~~ Jean M. Auel

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Les paléoanthropologues ont établi que l'homme de Neandertal pouvait parler. Jean M. Auel évoque la particularité qui donne cette capacité vocale : un os rattaché à aucun autre et que les scientifiques appellent l'os hyoïde.

Mais si le scientifique peut se prononcer sur les caractéristiques physiques de la fonction vocale, peut-il le faire sur le niveau de discours, de conception et d'expression des sentiments que pouvaient mettre en œuvre les représentants de l'espèce à l'époque où Jean M. Auel situe son intrigue, il y a 35 000 ans ?

L'auteure franchit le pas. Elle attribue à ses personnages une capacité à émouvoir par la parole et par le geste. Une capacité qui semble cependant plus proche de la psychologie contemporaine que celle du chasseur-cueilleur, locataire des cavernes, dont on sait que le sang ne lui faisait pas peur tant il faisait partie de son quotidien. On n'oubliera que pour crocs et griffes acérés qui abondaient dans son environnement il était autant gibier que le bœuf musqué, l'antilope saïga et autre mégacéros.

Jean-Philippe Rigaud, Directeur du centre national de préhistoire à l'époque de la parution de la saga Les enfants de la terre, affirme en préface du premier tome avoir été favorablement impressionné par le réalisme archéologique de cet ouvrage et par voie de cause à effet des connaissances de son auteure. Il cautionne donc la parution et le contenu de cette ouvre qu'on ne présente plus au point de surfer sur le succès de la saga et écrire lui-même le monde des enfants de la terre, sous-titré Comment vivaient les héros de la saga de Jean M. Auel.

La grande question évoquée par Jean M. Auel, à laquelle les paléoanthropologues s'accordent désormais à donner une réponse positive étant de savoir si l'homme de Neandertal et Homo Sapiens se sont croisés. Jean M. Auel fonde son intrigue sur cette certitude. Son héroïne, de la dernière espèce, Ayla, isolée de son clan à la suite d'un tremblement de terre est recueillie et adoptée par un clan néanderthalien. Elle y est jugée d'une grande laideur du fait de sa différence physique, en particulier son front plat, la blondeur de ses cheveux, la finesse de ses traits, autant de critères qui nous sont aujourd'hui de beauté. Les néanderthaliens ayant quant à eux des traits forcément plus frustes.

Michael Chapman a tiré un film de cette saga en 1986. le rôle de Ayla est tenu par Daryl Christine Hannah dont le caractère préhistorique des traits du visage réside uniquement en un savant désordre de la chevelure. Son personnage destiné à remplir les salles obscures nous ferait croire qu'il y a 35 000 ans les salons d'esthétique et de manucure existaient déjà. J'ai bien peur que cet anachronisme d'apparence soit la logique mise en image du même décalage dans le temps de ce qu'on peut lire chez Jean M. Auel au point de vue des comportements, que la psychologie américaine l'ait entaché des prémices d'un féminisme et de cette mièvrerie qu'on lui connaît bien lorsqu'elle veut tirer la larme à son auditoire. « Maamaan, Maamaan » criait le petit Durc qui voyait sa mère l'abandonner, chassée qu'elle était du clan néandertalien par le nouveau chef lequel n'avait jamais admis sa différence, jamais admis qu'elle puise le surpasser à la chasse à la fronde.

Je sais que dans les nombreux tomes qui vont donner suite à cette entrée en matière que je viens de lire elle va trouver l'amour avec le beau Jondalar. Même si j'ai confiance en la capacité de Jean M. Auel à restituer les savoir-faire techniques et le mode de vie en vigueur à l'époque, j'avoue ne pas avoir le goût de me frotter aux milliers de pages que comporte cette fiction préhistorique édulcorée à la sauce anglo-saxonne dont on n'oubliera pas qu'elle doit plaire à un lectorat formaté par les séries dégoulinantes de sentimentalisme. J'en resterai donc au premier tome.


dimanche 3 juillet 2022

L'air était tout en feu ~~~~ Camille Pascal

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Les férus d'histoire sauront que la succession de Louis XIV, si elle revenait à un autre Louis, quinzième du nom, a franchi plusieurs générations pour incrémenter le nom d'une unité. Louis XV était en effet l'arrière-petit-fils de celui qui détiendra pour toujours le record de longévité sur le trône de France. Cette longévité, si elle a été une bénédiction pour le roi que l'histoire a attaché à l'astre solaire l'a aussi affublé de la malédiction de voir disparaître avant lui ses fils et petits-fils. Autant de prétendants à sa succession selon la règle de légitimité se réclamant de droit divin.

Le Très-Haut accordant ce droit n'ayant cure de bon ordre et de logique en matière de succession, l'arrière-petit-fils en question n'ayant pas atteint la majorité requise de 13 ans, le sort du royaume fut remis entre les mains d'un régent, Philippe d'Orléans, neveu de Louis XIV. Intérim disputé par des convoitises arguant de plus directe lignée. Il y avait donc matière à ourdir quelque complot pour contester le testament du grand roi. C'est de cette période de trouble dont nous entretient Camille Pascal dans cet ouvrage. L'artisan de la conjuration étant le prince de Cellamare, l'ambassadeur en France du roi d'Espagne Philippe V, lequel n'était autre que petit-fils de Louis XIV.

On peut avoir en détestation l'idée que le seul hasard de la naissance soit source de privilèges, qui plus est se réclamant de droit divin, et pour autant apprécier la relation qui en est faite par cet auteur à la plume si subtile. Une chose à ne pas retirer à cette classe auto proclamée de droit divin, est la qualité de la langue qu'elle met en oeuvre pour faire valoir ses arguments, certes fallacieux, d'appropriation du pouvoir. Se réclamant d'un dieu que l'église, grande bénéficiaire des avantages et privilèges de l'obscurantisme prévalant, se garde bien de contester.

Le grand profit de pareil ouvrage se trouve dans la qualité de la langue mise en oeuvre par son auteur. Restituant avec le plus grand bonheur la préciosité et souvent aussi la causticité de ce langage de cour qu'affectionnait la classe se réclamant de la plus haute naissance, de sang royal. Fût-il corrompu par les alliances consanguines. La qualité de la grammaire mise au service du discours diplomatique, surtout lorsque ce dernier est rehaussé des précautions du contexte de la conjuration, laisse la bride sur le coup à un auteur tel que Camille Pascal, avec l'habileté qui est la sienne dans les subtilités de ce langage, pour nous soumettre un chef d'oeuvre de sophistication stylistique bien au fait de l'étiquette.L'auteur nous fait par ailleurs la brillante démonstration de la conviction de son bon droit de cette élite auto proclamée. Sa maîtrise des faits historiques et de la langue pour les restituer est une formidable projection dans ce cercle restreint convaincu de légitimité au point de ne pas voir venir la lame de fonds qui l'emportera quelques décennies plus tard. C'est une transposition historique, certains diront en langage plus moderne une téléportation, que nous offre ce talent d'auteur avec la restitution des péripéties de cette succession qui, comme souvent, a aiguisé les appétits voraces des prétendants au festin royal. L'écriture de Camille Pascal est un régal à qui apprécie l'histoire quand elle est rapportée avec toutes les tournures, nuances, subtilités et sonorités qu'autorise notre belle langue. 


jeudi 23 juin 2022

Le soldat Ulysse ~~~~ Antoine Billot

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J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.

Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de l'horreur.

Dans Au revoir là-hautPierre Lemaître a magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre : il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre personne.

Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection, élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment reconnaître leur cher disparu.

Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse, un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.

Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.

dimanche 5 juin 2022

Bretzel & beurre salé ~~~~ Margot et Jean Le Moal




Cathie Wald n'est pas seulement une étrangère venue s'installer dans le village, elle a acquis la belle demeure de la pointe de Kerbrat au nez et à la barbe d'un notable local qui la briguait. Voilà deux bonnes raisons de lui déclarer une guerre qui comme toutes divisera acteurs et spectateurs et ajoutera aux querelles de clocher d'un Locmaria, fictif celui-là, en pays de Cornouaille.

La flammekueche vient faire concurrence à la galette au sarrazin avec l'arrivée de cette continentale décidée à ouvrir un restaurant. Les rancœurs y verront un théâtre tout désigné pour faire plier celle qui a osé s'implanter de la manière la plus convaincante, avec ses moyens financiers. Un client parmi les plus en vue du village trouvera la mort par empoisonnement lors d'une soirée choucroute.

Les enquêteurs les plus perspicaces ne seront pas les officiels bien connus. Ce qui paraît-il est une caractéristique de ce sous-genre du polar que je découvre : le cosy crime. Dont on nous dit dans la célèbre encyclopédie en ligne que « le sexe et la violence se produisent hors scène, le détective est un détective amateur, et le crime et la détection ont lieu dans une petite communauté socialement intime. »

Ouvrage qui fait du bien pour distraire son lecteur. Une lecture légère qui le fait se prendre d'empathie pour le héros d'autant plus facilement qu'il ne se fait pas trop de souci quant à son sort à l'épilogue. Lecture détente pour la torpeur de l'été, quand on veut faire une pause dans la morosité ambiante qu'entretiennent avec opiniâtreté nos médias désormais omniprésents dans notre vie.

C'est crédible et respire l'authentique régional. Il paraît qu'il y aura une suite. C'est comme ça que naissent les séries. Après le succès d'un coup d'essai.


mercredi 1 juin 2022

Les oubliés ~~~~ John Grisham


 

Dans les couloirs de la mort aux USA, il est des condamnés qui sont victimes d'erreur judiciaire. Cullen Post, avocat et ancien pasteur de l'église épiscopale, a décidé de vouer sa vie à ces oubliés. Oubliés parce que la justice n'aime pas se renier. Une fois le verdict rendu, il est plus confortable pour l'institution d'attendre que les recours s'épuisent et que la sentence s'exécute. Lui faire reconnaître ses fourvoiements est un chemin semé d'embuches, souvent lourd de menace.

Lorsque Cullen Post s'est convaincu de l'innocence de Quincy Miller condamné pour le meurtre d'un avocat en vue. Avec la petite association qu'il dirige il déploiera toute son énergie à faire admettre l'erreur judiciaire. Dût-il se mettre en danger face à ceux qu'il dérangera tant dans la police corrompue que dans les cartels de la drogue.

Avec l'excellente traduction de Dominique Defert, grâce à qui les idiômes américains ont trouvé leur juste transposition dans notre langue, je découvre l'écriture de John Grisham. Elle est accessible et agréable pour traiter de ce sujet si lourd. Un roman aux confins du polar qui nous fait découvrir les arcanes du système judiciaire américain, les écueils de la corruption et le chemin chaotique et incertain qu'est la sauvegarde d'un innocent. Ce roman est passionnant. Je n'hésiterai pas à lire un autre Grisham.


mardi 31 mai 2022

L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ~~~~ Nicholas Evans



J'ai longtemps hésité à lire cet ouvrage. J'avais trop peur de me rendre spectateur de séances de thérapie douce entre l'homme et l'animal. Mais je me suis rendu compte à la lecture de cet ouvrage qu'il est aussi et surtout une histoire d'amour et que l'homme qui murmure à l'oreille des chevaux sait aussi le faire à celle des dames. Et que la sauvegarde de l'animal blessé pourrait bien mettre en péril celle d'un ménage jusque-là harmonieux.

La morale de l'Amérique puritaine saura-t-elle faire valoir ses droits ? Je connais désormais le dénouement de ce roman que j'ai apprécié dans toutes ses pages. J'ai désormais hâte de rattraper mon retard et voir ce que le cinéma a fait de son adaptation avec Robert Redford, séducteur s'il en est.

 

L'amour au temps du choléra ~~~~ Gabriel Garcia Marquez


L'amour au temps du choléra aurait pu s'intituler l'amour à l'épreuve du temps. Car c'est bien longueur de temps que nous fait vivre Gabriel Garcia Marquez avec ce roman d'une incroyable densité romanesque. L'amour serait-il lui aussi une maladie, comme le choléra, une menace sur la vie des gens.

Amour à l'épreuve du temps, mais aussi du qu'en-dira-t-on. Quand d'aucuns voudraient prétendre qu'à partir d'un certain âge l'amour devient indécent. Amour à l'épreuve de l'assiduité du lecteur aussi, de la part d'un auteur qui veut le faire s'imprégner de l'alanguissement du soupirant éconduit. Il faudra au lecteur à la fois affronter la vie d'un couple légitime livré à son quotidien dont on sait combien il est un tue-l'amour et endurer l'attente résignée d'un amoureux qui ronge son frein.

Mais le style est là pour soutenir l'intérêt quand les événements se font désirer pour relancer l'intrigue. L'écriture de l'auteur nobelisé est là avec toute sa puissance au service de l'oeuvre romanesque. Une écriture sûre de son fait, érudite tout en restant accessible. Une écriture d'une remarquable précision qui dissèque les caractères, analyse les émotions et livre au lecteur l'intimité de ses personnages ainsi mise à nue. Véritable effeuillage psychique qui dévoile leur palette sentimentale à l'épreuve des codes moraux d'une société dans son époque. Comme un écorché de psychologie humaine pour nous faire endurer une vie d'asservissement à la passion.

Avec L'amour au temps du choléra on n'est pas aux confins du fantastique comme dans Cent ans de solitude, on est au plus profond de l'être, à tenter de palper ce secret qui fait qu'une personne s'éprend d'une autre. Amour indifférent à l'érosion du temps. Attendant son heure, même si dans la bonne société en ce début de XXème siècle il fait détourner le regard lorsqu'il s'expose dans la grande maturité. L'alanguissement ne décourage pas son lecteur lorsqu'il est soutenu par la formidable écriture de Gabriel Garcia Marquez.


mercredi 11 mai 2022

Apprendre à vivre ~~~~ Luc Ferry

 

Pour sans doute prendre le contre-pied de Montaigne lequel professait que « philosopher c’est apprendre à mourir », Luc Ferry a intitulé son ouvrage d’initiation à la philosophie Apprendre à vivre. S’adressant de préférence aux jeunes générations et pour dédramatiser la raison d’être de la philosophie, laquelle veut en réalité consoler l’homme de sa finitude, il a décidé de l’aborder par son côté réconfortant et n’évoquer celle-ci qu’après une préparation pédagogique qualifiée. Avant donc de confronter l’apprenti philosophe à sa propre fin, il s’agit de lui faire apprivoiser le temps présent.

Parvenu à un âge qui, s’il n’est pas encore canonique, n’est plus de prime jeunesse, j’ai aimé m’entendre tutoyer par l’éminent professeur. Je me suis glissé à nouveau sans embarras dans le costume de l’élève. Si les années m’ont fait accéder à la maturité physique, en matière de philosophie il me reste ni plus ni moins qu’à naître. Cet ouvrage était donc aussi fait pour moi.

Il n’en reste pas moins qu’aussi promoteur que se veuille pareil ouvrage, convenons que les sujets abordés lui redonnent la complexité qu’il voudrait éluder, la profondeur que voudrait atténuer la familiarité du propos. Le recours successif inévitable aux références stoïciennes, chrétienne, puis modernes et post modernes, et finalement contemporaines fait forcément appel à une littérature dont l’abord est quelque peu difficile d’accès au profane. Reconnaissons donc que la lecture des grands philosophes dans leur œuvre nécessite, s’il est difficile de parler de vulgarisation en la matière, plutôt une dédramatisation préalable. C’est ce à quoi Luc Ferry s’attache dans cet ouvrage, glissant au gré de sa démonstration à l’adresse du néophyte les références des textes les plus accessibles à qui voudra approfondir sa connaissance et forger sa propre réflexion.

Le thème essentiel est celui du salut, ce devenir consolateur après la mort qui entre croyance et raison fait débat. Néant ou félicité, ou autre chose encore, la réponse ne sortira pas de l’esprit humain qui devra se contenter de conviction délibérée ou suggérée. Car comment vivre avec des questions aussi fondamentales puisqu’aucune vérité prônée par la doctrine chrétienne, le salut par un autre, ou la philosophie, le salut par soi-même, ne pourra s’imposer comme exactitude.

Les modèles proposés au fil des siècles par la raison et la croyance ayant été successivement battus en brèche en partie grâce à l’éclairage de la science, l’homme moderne devenu imbu de sa personne, doit désormais trouver en lui-même les ressources pour sortir de l’impasse qu’il a fermée devant lui. Les ressources pour apprendre à vivre, pour aimer la vie, sa vie, fût-elle vouée à une fin, en se libérant du regret du passé et de l’espérance en demain, sempiternelle fuite en avant qui n’est que mort par anticipation.

C’est donc à l’homme auquel il appartient d’introduire du sens à la vie. La philosophie moderne serait donc orientée vers l’humanisme. Le salut serait donc dans l’amour. De soi ici et maintenant. Du moi des autres, un moi déconnecté de toutes les caractéristiques physiques et psychologiques par lesquelles on a l’habitude de décrire les autres. Un moi désincarné. Le salut serait dans l’amour absolu, sans attachement, seule source de vie bonne.

Ainsi donc, même s’il me reste à naître à la philosophie, celle enseignée par tous les éminents depuis que l’intelligence a investi le corps du mammifère, lui faisant du même coup prendre conscience de sa finitude, ayant comme tout un chacun réfléchi à ce thème source d’angoisse, je me suis forgé à la conviction que la mort serait somme toute accéder à ce que la vie ne permet pas : appréhender enfin et indéfiniment l’instant présent. Il est donc capital que cet instantané qui deviendra immuable soit un instantané d’amour.

mardi 3 mai 2022

Alexandre le Grand ~~~~ Joël Schmitt


 

Douze ans de règne seulement. Et pourtant une trace indélébile dans l'histoire. Au point d'inspirer tout ce que la terre a compté d'affamés de pouvoir après lui, à vouloir eux-aussi graver leur nom dans l'histoire.

Certes, il n'y est pas allé de main morte. Douze ans de règne qui ont été douze ans de conquêtes. Loin vers l'orient qu'aucune carte ne répertoriait alors. Connaissant pourtant l'existence de l'Inde qu'il convoitait, avec sa côte sur l'Océan indien et l'ouverture sur un autre monde. Mais une certaine forme d'intelligence stratégique lui a fait comprendre que c'était trop. En tout cas trop tôt. Son sens supérieur de maîtrise des peuples lui a fait entendre qu'il fallait consolider son pouvoir sur les contrées conquises à marche forcée et rabattre les prétentions de ceux laissés derrière lui à la gouvernance de provinces et montrant déjà quelques signes d'indépendance.

Alexandre (356 - 323 av. J.-C), fils de Philippe II de Macédoine est devenu Alexandre le grand et le restera tant que l’Histoire colportera aux hommes les épopées de leurs ancêtres. Tant qu'il y aura des historiens tel Joël Schmidt pour nous en faire bénéficier. Avec la précision avec laquelle il le fait. C'est ce qui m'a interpelé dans cet ouvrage.

J'ai le souvenir récent de la biographie de Théodora par Virginie Girod laquelle ne comptait pratiquement que sur un auteur contemporain, Procope de Césarée, pour témoigner de la vie de cette femme politique devenue à cause de ce manque de témoins fiables autant légendaire qu'historiquement attestée. Elle vécut pourtant quelques huit siècles après Alexandre de Macédoine. Et comparativement, la vie d'Alexandre le grand est relatée dans un détail foisonnant par pléthore de témoignages que Joël Schmidt a rassemblés dans cet ouvrage des plus complet.

Encore que, en parlant de témoignages, faut-il préciser que les originaux ayant disparu pour la plupart, ceux-ci sont relatés par des propos et rapports décalés, de ceux-là même qui sont de nature à forger des mythes. Il n'en reste pas moins que nombre de contemporains d'Alexandre – Ptolémée 1er, l'un de ses principaux généraux, Aristobule de Cassandreias, historien, Callisthène son historiographe officiel, Clitarque d'Alexandrie, historien et rhéteur – pour ne citer qu'eux, ont écrit sur celui qu'ils portaient aux nues. On peut donc affirmer que s'agissant d'un conquérant exceptionnel, non seulement de bravoure guerrière mais aussi d'intelligence politique, Alexandre le Grand a certainement été mieux servi par ses contemporains en termes de réputation que Théodora. Elle avait en effet le double tort d'être de basse extraction et femme se mêlant de politique en une époque où son sexe ne l'eut prédestiné qu'à la perpétuation d'une lignée monarchique et au plaisir des yeux, si ce n'est aux plaisirs tout courts.

C'est un ouvrage étonnamment précis et complet que nous adresse Joël Schmidt sur la vie de ce monarque qui n'aura pas usé sa culotte sur son trône macédonien, tant il fut à poursuivre et finalement déchoir Darius III, le dernier roi de l'empire perse, et à maîtriser ses peuplades affiliées. Alexandre le grand doit son qualificatif mythique aussi bien à son érudition, son sens stratégique et politique qu'à sa grandeur d'âme et sa qualité de meneur d'hommes et parfois aussi sa cruauté de despote. Bien convaincu qu'il était que toute bonne gestion des affaires humaines sait faire usage de la carotte autant que du bâton. C'est ce que nous laisse bien comprendre Joël Schmidt. La question étant de savoir quelle longévité eut pu être celle d'un empire aussi vaste sous la férule d'un homme à l'ambition hypertrophiée si la maladie ne l'avait emporté à trente trois ans. Une biographie qui est une véritable cavalcade dans le grand orient dont on à peine à imaginer qu'elle pût se faire au pas du fantassin.

Ceux qui l'ont voulu pour modèle ont pu se rendre compte que n'est pas Alexandre qui veut. A jouer sur la partition qui va de la plus grande rigueur à la plus intelligente magnanimité. Chef de guerre incarné, à se battre au premier rang et galvaniser ses troupes puis régenter les pays conquis et fonder nombre de cités dont la plus célèbre, Alexandrie, abritera la grande bibliothèque de l'Antiquité à l'initiative de son fidèle Ptolémée, récompensé et devenu roi d'Egypte. Belle façon de rendre hommage à conquérant mentor qui était aussi un érudit.