Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 29 novembre 2023

La fabrique des pervers ~~~~ Sophie Chauveau

 


En amateur d'histoire que je suis j'apprécie les œuvres de Sophie Chauveau tant du fait du formidable travail de documentation avec lesquelles elles sont construites que de la qualité d'écriture qui les met en pages. Je suis en train de lire Diderot, le génie débraillé de sa main. J'avoue rester ébahi de la précision avec laquelle elle peut y détailler la vie du père de l'Encyclopédie.

Mais las, depuis que j'ai lu celui pour lequel j'écris ces modestes lignes, La fabrique des pervers, je perçois les œuvres de Sophie Chauveau sous un autre angle. En effet, quand tant d'autres auraient pu sombrer à assumer un passé intime empoisonné, Sophie Chauveau s'est elle réfugiée dans le travail pour produire des œuvres de grande valeur historique et littéraire. Ce passé intime est celui de l'enfance pervertie par l'abus sexuel d'un parent.

Si les autres ouvrages peuvent être imaginés comme ceux de la fuite et de l'oubli par le travail, La fabrique des pervers serait donc pour son auteure celui de la thérapie. Enfin.

Mais aussi et peut-être surtout un livre en forme d'espoir pour les autres victimes de pareille souillure de la part de personnes supposées garantir à l'enfant la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir. Des victimes qui n'ont pas encore pu se libérer par la parole. Un livre pour leur dire que l'on peut en revenir. A condition de bien parvenir à faire reporter la faute sur les vrais coupables : ceux qui commettent le crime d'inceste. Un livre pour ne pas assumer les torts de mauvaise action ou de passivité, fussent-ils ceux de parents.

Mais aussi encore un livre de mise en garde pour des victimes potentielles de ce crime, de leur entourage proche qui se rendrait tout autant condamnable en fermant les yeux. le huis-clos familial est le contexte dans lequel une victime potentielle est la plus vulnérable. Ecartelée qu'elle est entre la part d'amour qu'elle éprouve à l'égard de ses parents et la part de rejet que lui inspire ce qu'elle ne comprend pas encore comme une agression mais bien comme une anormalité dans la relation filiale.

Il faut dire que Sophie Chauveau a de qui porter le poids de l'indignité s'agissant de la famille dont elle est issue, au sein de laquelle des relations coupables se sont entretenues durant des générations. Profitant d'époques où la voix de l'enfant était étouffée par des codes sociaux et moraux qui ne l'instituaient pas en tant que personne. Au grand avantage de pervers qui jouissaient quant à eux de leurs pulsions sans crainte ni retenue et donnaient de la personne une idée déshonorante.

Bravo à Sophie Chauveau pour cette libération et pour l'espoir qu'elle procure à qui n'est pas encore parvenu à émerger d'un passé gangrené par de tels comportements, faisant de l'enfant un objet d'assouvissement et non un adulte en devenir.


mercredi 22 novembre 2023

Olympe de Gouge ~~~~ Benoîte Groult

 


Ce n’est pas seulement une biographie d’Olympe de Gouge que nous propose Benoîte Groult, c’est surtout un recueil de ses idées de femme lucide sur la condition de son sexe. L’autre sexe ainsi que le qualifie Simone de Beauvoir. Celui qui depuis l’aube des temps vit dans l’ombre de la mâle domination. Idées qu’Olympe de Gouge a traduites en d’innombrables textes placardés dans la capitale ou adressés aux tenants du pouvoir dans la frénésie de son combat. Idées qu’elle a aussi mises en scène dans les pièces de théâtre de son cru.

Des idées très avancées sur son temps. En ce sens qu’il n’était pas prêt à les recevoir. Mais de toute façon très en retard sur ces millénaires d’apparition de l’humanité sur terre. On dirait aujourd’hui qu’elles étaient très modernes ces idées. Sans doute pour dire qu’elles nous semblent encore d’actualité.

Son tort a été de les clamer haut et fort ces idées, à la face de ceux qui, bien qu’eux-mêmes initiateurs de procès en crimes contre le peuple devenu souverain, avaient oublié que le peuple est constitué pour moitié de femmes. Ils n’étaient donc pas prêts à faire leur propre procès pour avoir tenu sous le joug celle à qui ils ont imposé leur supériorité, forcément usurpée. Olympe de Gouge a cru pouvoir initier une autre révolution dans la Révolution. Elle ne réclamait ni plus ni moins que le droit de monter à la tribune puisqu’on lui opposait celui de monter à l’échafaud.

Emancipation de la femme, plaidoyer pour le droit au divorce à son initiative et un statut équitable pour les enfants naturels, mais aussi abolition de l’esclavage, création d’une caisse patriotique, forme de sécurité sociale qui ne disait pas encore son nom, d’un théâtre national en contre-poids d’une Comédie Française monopolisant la création, ouverture de maternité offrant de bonnes conditions sanitaires aux femmes en couche, le tout porté par une déclaration universelle des droits de la femme, tels étaient ces idées d’avant-garde étouffées par des millénaires de soumission. Une révolution qui dans sa grande naïveté irait au bout de celle engagée en 1789. Une révolution que les tenants du pouvoir du moment ont travesti en contre-révolution, afin de ne rien perdre des prérogatives qu’ils venaient de s’arroger à grand renfort de têtes coupées. La monarchie était tombée mais pas le patriarcat.

On n’en attendait pas moins de Benoîte Groult dont on connaît la pugnacité en termes de combat pour que non seulement notre siècle connaisse enfin l’équilibre, mais aussi pour que s’établisse la reconnaissance de l’usurpation de statut au bénéfice du seul mâle. Que soient moqués ceux qui se sont rendus illustres aux yeux de leur congénères en proclamant des sentences du style : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme. Et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme. » (Pythagore au 5ème siècle avant notre ère).

Bel hommage de Benoîte Groult à celle dont le courage, poussé à l’inconscience, l’a fait monter à l’échafaud, sans renier ses convictions, convaincue de son bon droit. Ce que Benoîte Groult restitue bien à la lecture de son texte, c’est la solitude de cette femme dans son combat. Abandonnée par son père naturel auprès d’une famille d’adoption, elle forgea elle-même sa propre culture, mena seule son combat pour que soit réservée à la femme une autre condition que celle destinée à élever les enfants de son époux.  Elle n’a pourtant pas trouvé le levier propre à soulever l’enthousiasme de ses contemporaines. Même son propre fils l’abandonna à son rêve d’une société juste et équilibrée.

Les deux premiers ouvrages que j’avais lus de la main de Benoîte Groult avait forgé mon engouement pour cette auteure. J’ai été comblé de pouvoir, grâce à elle, faire la connaissance de cette femme d’autant plus méritante que son combat fut solitaire à une époque où l’on ne risquait rien moins que sa vie pour faire valoir ses idées.


Le bûcher des certitudes ~~~~ Bernadette Pecassou

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vendredi 17 novembre 2023

lundi 30 octobre 2023

L'entreprise des Indes ~~~~ Eric Orsenna

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C’est le frère de Christophe Colomb, Bartolomé, qui mobilise son auditoire sous la plume d’Eric Orsenna. Il nous tient depuis Hispaniola où il est demeuré mille considérations qui ont présidé et ont succédé à l’épopée que l’on sait dans la découverte de l’Amérique par son frère.

Eric Orsenna écrit comme certains s’écoutent parler. C’est la rançon de la notoriété. Il y a dans cette écriture une forme de suffisance qui alourdit la lecture. C’est très ennuyeux.

mardi 24 octobre 2023

L'as de coeur ~~~~ Morgane Moncomble

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L’histoire d’un amour je-t’aime-moi-non-plus. Je t’aime mais je te hais, j’y vais, j’y vais pas. Cette histoire de joueurs de poker, beau mec, belle nana qui n’ont de cesse de s’attirer, se repousser est lourdingue au possible. Roman à l’écriture très moderne, y compris en ce qu’il décrit des scènes de sexe torrides. 


mardi 3 octobre 2023

L'Odyssée de Pénélope ~~~~ Margaret Atwood

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Quand on parle d’Odyssée, on pense immédiatement au périple d’Ulysse de retour de la guerre de Troie. A croire que Margaret Atwood en avait soupé de ce point de vue par trop masculin. Elle nous soumet ce périple mythique avec un autre regard, celui de Pénélope bien sûr. Mais pour que les femmes aient droit à la parole dans cette épopée choisit-elle l’artifice, si ce n’est la précaution, de le faire d’outre-tombe. Qui plus est au 21ème siècle, allant jusqu’à faire tenir un procès en reconnaissance de mérite, recommandant en outre aux magistrats et avocats, bien modernes ceux-là, de se garder de tout anachronisme et tenir compte des données du moment, celles d’il y a trois ou quatre mille ans. Epoque bénie pour la fantasmagorie mythologique au cours de laquelle les dieux régnaient en maître depuis l’Olympe.

Il s’agît-là bien entendu d’une démarche féministe. L’auteure allant jusqu’à faire dire à Pénélope, en guise de mise en garde adressée à son lecteur du 21ème siècle, de ne pas considérer sa théorie comme « un ramassis de foutaises féministe sans fondement. » Ecornant au passage la gent masculine, toutes époques confondues, prévenant son lectorat, fût-il masculin, qu’il « est toujours imprudent de s’interposer entre un homme et l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence. »

Margaret Atwood se garde bien toutefois de faire du point de vue féminin, depuis Ithaque donc dans l’attente du retour du héros, un monde idéal pavé de nobles sentiments. On connaît le stratagème que Pénélope mit en œuvre pour surseoir aux appétits de ses prétendants, briguant en fait le trône on l’aura compris, on découvre la vie domestique du palais. Entre Anticlée, la belle-mère, Euryclée, la nourrice, celle que Laërte considérait comme une seconde mère pour son fils, les douze servantes versatiles quant à leur fidélité, et enfin Télémaque le rejeton indocile, cette vie donc n’avait rien d’une sinécure pour Pénélope, fût-elle reine. Augmentant d’autant son mérite à attendre chastement son époux. Contrarié qu’il fût quant à lui dans son voyage retour par le courroux de Poséidon, les entraves de la nymphe Calypso, et autres égarements fomentés par Circé, le chant des sirènes et consort.

« Dans les Chants on raconte que…, on insiste sur …, si vous croyez pareille chimère » vous serez un lecteur bien naïf nous fait entendre Pénélope depuis les rivages célestes où s’alanguissent les âmes. « Je me sens l’obligation de faire le point sur les calomnies dont je fais l’objet depuis deux ou trois mille ans. Toutes ces histoires sont totalement fausses. » Voilà qui remet les pendules à l’heure. Voilà donc la raison pour laquelle est intenté ce procès, en réparation de tant de siècles de suprématie masculine.

L’idée est originale. La mise en scène au demeurant fort judicieuse ne nous semble nullement incongrue. On l’aura compris, le procédé est inusité et le propos non dénué d’humour pour restituer à qui de droit les mérites du succès de la plus célèbre épopée du monde. Ecrit de main d’homme, à la gloire des seuls hommes, le plus vieux texte du monde qui ne fait de la femme que l’enjeu d’un conflit ou le jouet d’une convoitise méritait sa correction. Voilà qui est fait de la main de Margaret Atwood.

Et toi lecteur du 21ème siècle, ne perçois ni légèreté ni futilité dans cette mise au point. Ce n’est pas Margaret Atwood qui te le dit, c’est Pénélope. De l’expérience de ses trois mille ans d’observation du monde elle s’autorise une recommandation à ton adresse, celle de ne pas regarder avec mépris le monde antique tel qu’il t’est livré par l’histoire car « Je me rends compte que le monde d’aujourd’hui est aussi dangereux que celui que j’ai connu, sauf que la misère et la souffrance sont plus répandues. Quant à la nature humaine, elle est plus vulgaire que jamais. » L’auteure de la Servante écarlate, romancière dystopique, conserve avec cet ouvrage un regard désabusé sur ce que l’homme fait de son passage sur terre.



 

mercredi 20 septembre 2023

Ce qu'ils n'ont pu nous prendre ~~~~ Ruta Sepetys


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L’écriture de Ruta Sepetys, au travers de son formidable Hôtel Castellana, m’avait donné le goût d’approfondir ma connaissance de cette auteure et de son œuvre.

Elle semble s’être focalisée sur les régimes tyranniques. Le second ouvrage de sa main que je viens de refermer traite d’une période qui est chère à son cœur puisqu’il s’agit de la main mise par Staline sur le pays d’origine de sa famille : la Lituanie. Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre est son premier roman.

A la lecture de celui-ci, j’ai éprouvé une légère déception. Je l’ai trouvé en dessous d’Hôtel Castellana en termes d’écriture. Moins abouti dans sa construction, l’inclusion de la fiction dans les événements historiques, bien que l’auteure paraisse néanmoins plus impliquée personnellement. On ressent à cette lecture une grande compassion pour toutes ces personnes sans distinction d’âge, de sexe et de condition qui ont eu à subir les affres de la déportation en Sibérie, et pour cause.

S’il n’y avait pas, comme ce fut le cas pour la solution finale mise en œuvre par les nazis, « d’industrialisation » de la mort, les conditions de détention dans le froid intense, la faim, les maladies évidemment non soignées, l’épuisement par le travail aboutissaient au même résultat. Ruta Sepetys met l’accent sur l’indifférence des gardiens, qui avaient eux leur confort sous les yeux des détenus, quant à la souffrance et la déchéance physique de ces derniers. Aux conditions de vie terribles, l’isolement total dans les immensités sibériennes, le sentiment d’oubli du reste du monde et l’incertitude complète de l’avenir participaient grandement à anéantir psychologiquement les détenus. Ruta Sepetys le rend très bien.

Cet ouvrage est bâti sur la base de témoignages souvent indirects, les rescapés ayant eux aussi presque tous disparu à l’époque où elle met son ouvrage en chantier. Cela reste toutefois un excellent roman de rappel à la mémoire de ces pauvres anonymes broyés par un système totalitaire inhumain. Ce genre d’ouvrage a toujours sa justification et plus encore lorsque la mémoire directe s’efface.