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Ouvrages par genre
mardi 12 décembre 2023
Diderot, le génie débraillé ~~~~ Sophie Chauveau
Renonçant à la publication de certains de ses écrits de son
vivant, Diderot ambitionnait d’écrire pour la postérité. Opportune lucidité que
lui dictait la prudence. Il s’agissait de se protéger lui-même mais aussi sa
famille des foudres que son temps de censure ne manquerait pas d’attirer sur
lui de la part de ceux dont le niveau de tolérance n’allait quand même pas
jusqu’à admettre la critique. Mais Diderot était loin d’imaginer que cette
postérité serait aussi distante de lui qu’elle devrait attendre ce 21ème
siècle pour faire éclater des préceptes de vie en société que l’on peine encore
aujourd’hui à faire nôtres. La tolérance a encore du chemin à faire.
Il a trouvé en Sophie Chauveau une avocate ardente à faire
valoir l’incroyable modernité de ses pensées et l’immense talent qu’il a eu à
les mettre en mots, tant à l’oral de son vivant qu’à l’écrit désormais. Elle
attribue au personnage, quant à la promotion du 18ème siècle en
siècle des lumières, une plus grande part que celle que l’histoire a voulu lui
consentir.
Le baptisant Diderot, le génie débraillé, elle lui consacre ce
magnifique ouvrage. Il lie à merveille la part romancée et celle attestée par
les sources. Je reste admiratif du travail de recherche et de la mise en forme
de ce pavé qui ne dissimule rien de l’admiration qu’elle voue au personnage, à
mettre en avant l’intelligence subtile et la hauteur de vue de ce monstre de
talent, tout autant que l’avance sur son temps. Elle rend l’auteur de l’Encyclopédie
bougrement attachant et sait nous rallier à son engouement.
L’innovation dans le domaine des idées n’avait rien d’une
sinécure en ce siècle ou l’église régnait en maître sur les consciences. Les esprits
dits éclairés étaient confrontés à des institutions sclérosées, tant civiles
que religieuses, bouffies de leur pouvoir exorbitant jusqu’à disposer du droit
de vie et de mort. Monarchie, noblesse et clergé confondus, tous obnubilés
qu’ils étaient par la préservation de leurs privilèges. Aveuglés au point de ne
pas voir surgir la vague de fonds qui allait les engloutir quelques années
seulement après la disparition du philosophe. Sophie Chauveau se fait fort de lui
rendre la place qu’il mérite parmi les promoteurs des idées neuves du 18ème
siècle, déclassé qu’il fut par des Voltaire et autre Rousseau. Ce dernier ayant
à ses yeux fait montre d’une misogynie et d’un mépris de sa progéniture en
complet décalage avec les thèses développées dans ses ouvrages.
Véritable immersion en un 18ème siècle qui entretient
l’utopie de promouvoir l’humain au-dessus de la chape de convoitise et
d’appropriation, laquelle fige à dessein le peuple dans l’ignorance et
l’indigence, cet ouvrage de Sophie Chauveau n’est pas seulement une biographie,
il est un brillant plaidoyer en réhabilitation d’un jouisseur sublime.
« Mes pensées ce sont mes catins » écrit-il en
prologue dans Le neveu de Rameau. Et Sophie Chauveau d’intercéder pour que ses
errances libertines lui apportent un jour, peut-être enfin en ce siècle qui
connaîtra la compilation de ses œuvres, la juste rétribution d’un humanisme
certes hédoniste mais sincère et dépouillé de toute discrimination.
lundi 4 décembre 2023
Le fantôme de Philippe Pétain ~~~~ Philippe Collin
La France de Vichy, sujet
éminemment délicat à évoquer aujourd’hui encore. Il faut du doigté à un auteur
pour aborder avec impartialité cette page sombre de l’histoire de notre pays.
Dans Le fantôme de Philippe Pétain, Philippe Collin fait le point sur ce brûlot
de la mémoire collective de notre pays. Cette période au cours de laquelle
Philippe Pétain fut chef de l’État Français, depuis qu’il s’était vu remettre
les pleins pouvoirs en 1940, jusqu’à la défaite de l’Allemagne nazie, évoquant en
inévitable conclusion les dernières années du maréchal après son procès en 1945.
Il est aussi question comme de juste de la posture du général de Gaulle
vis-à-vis de son ancien chef. Attitude qui lui inspira cette expression comme
de Gaulle en avait le secret : « la vieillesse est un naufrage. »
Pétain avait 84 ans en 1940.
Philippe Collin est parvenu à
dépassionner le sujet en conduisant ce qu’on pourrait appeler une forme d’instruction
à charge et à décharge, interviewant des spécialistes de l’époque parmi les
plus éminents. Il destine à nous autres lecteurs d’un autre temps un recueil de
ces entretiens rendu d’autant plus vivant et passionnant qu’il s’offre à nous
sous forme d’un débat s’affranchissant de la stricte chronologie. Il s’agit d’analyser
comment un personnage, porté haut dans le cœur des Français de l’époque pour
avoir été le vainqueur de Verdun, a pu être conduit à commettre l’impensable.
Une belle réussite que cet ouvrage autorisé par une mémoire encore vive mais
avec déjà un recul suffisant.
mercredi 29 novembre 2023
La fabrique des pervers ~~~~ Sophie Chauveau
En amateur d'histoire que je suis j'apprécie les œuvres de Sophie Chauveau tant
du fait du formidable travail de documentation avec lesquelles elles sont
construites que de la qualité d'écriture qui les met en pages. Je suis en train
de lire Diderot,
le génie débraillé de sa main. J'avoue rester ébahi de la précision avec
laquelle elle peut y détailler la vie du père de l'Encyclopédie.
Mais las, depuis que j'ai lu celui pour lequel j'écris ces modestes
lignes, La
fabrique des pervers, je perçois les œuvres de Sophie Chauveau sous
un autre angle. En effet, quand tant d'autres auraient pu sombrer à assumer un
passé intime empoisonné, Sophie Chauveau s'est
elle réfugiée dans le travail pour produire des œuvres de
grande valeur historique et littéraire. Ce passé intime est celui de l'enfance
pervertie par l'abus sexuel d'un parent.
Si les autres ouvrages peuvent être imaginés comme ceux de la fuite et de
l'oubli par le travail, La
fabrique des pervers serait donc pour son auteure celui de la
thérapie. Enfin.
Mais aussi et peut-être surtout un livre en forme d'espoir pour les autres
victimes de pareille souillure de la part de personnes supposées garantir à
l'enfant la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir. Des victimes qui n'ont
pas encore pu se libérer par la parole. Un livre pour leur dire que l'on peut
en revenir. A condition de bien parvenir à faire reporter la faute sur les
vrais coupables : ceux qui commettent le crime d'inceste. Un livre pour ne pas
assumer les torts de mauvaise action ou de passivité, fussent-ils ceux de
parents.
Mais aussi encore un livre de mise en garde pour des victimes potentielles de
ce crime, de leur entourage proche qui se rendrait tout autant condamnable en
fermant les yeux. le huis-clos familial est le contexte dans lequel une victime
potentielle est la plus vulnérable. Ecartelée qu'elle est entre la part d'amour
qu'elle éprouve à l'égard de ses parents et la part de rejet que lui inspire ce
qu'elle ne comprend pas encore comme une agression mais bien comme une
anormalité dans la relation filiale.
Il faut dire que Sophie Chauveau a
de qui porter le poids de l'indignité s'agissant de la famille dont elle est
issue, au sein de laquelle des relations coupables se sont entretenues durant
des générations. Profitant d'époques où la voix de l'enfant était étouffée par
des codes sociaux et moraux qui ne l'instituaient pas en tant que personne. Au
grand avantage de pervers qui jouissaient quant à eux de leurs pulsions sans
crainte ni retenue et donnaient de la personne une idée déshonorante.
Bravo à Sophie
Chauveau pour cette libération et pour l'espoir qu'elle procure à qui
n'est pas encore parvenu à émerger d'un passé gangrené par de tels
comportements, faisant de l'enfant un objet d'assouvissement et non un adulte
en devenir.
mercredi 22 novembre 2023
Olympe de Gouge ~~~~ Benoîte Groult
Ce n’est pas seulement une biographie d’Olympe de Gouge que
nous propose Benoîte Groult, c’est surtout un recueil de ses idées de femme
lucide sur la condition de son sexe. L’autre sexe ainsi que le qualifie Simone
de Beauvoir. Celui qui depuis l’aube des temps vit dans l’ombre de la mâle
domination. Idées qu’Olympe de Gouge a traduites en d’innombrables textes
placardés dans la capitale ou adressés aux tenants du pouvoir dans la frénésie
de son combat. Idées qu’elle a aussi mises en scène dans les pièces de théâtre de
son cru.
Des idées très avancées sur son temps. En ce sens qu’il n’était
pas prêt à les recevoir. Mais de toute façon très en retard sur ces millénaires
d’apparition de l’humanité sur terre. On dirait aujourd’hui qu’elles étaient
très modernes ces idées. Sans doute pour dire qu’elles nous semblent encore
d’actualité.
Son tort a été de les clamer haut et fort ces idées, à la
face de ceux qui, bien qu’eux-mêmes initiateurs de procès en crimes contre le
peuple devenu souverain, avaient oublié que le peuple est constitué pour moitié
de femmes. Ils n’étaient donc pas prêts à faire leur propre procès pour avoir
tenu sous le joug celle à qui ils ont imposé leur supériorité, forcément
usurpée. Olympe de Gouge a cru pouvoir initier une autre révolution dans la Révolution.
Elle ne réclamait ni plus ni moins que le droit de monter à la tribune
puisqu’on lui opposait celui de monter à l’échafaud.
Emancipation de la femme, plaidoyer pour le droit au divorce
à son initiative et un statut équitable pour les enfants naturels, mais aussi abolition
de l’esclavage, création d’une caisse patriotique, forme de sécurité sociale qui
ne disait pas encore son nom, d’un théâtre national en contre-poids d’une
Comédie Française monopolisant la création, ouverture de maternité offrant de
bonnes conditions sanitaires aux femmes en couche, le tout porté par une
déclaration universelle des droits de la femme, tels étaient ces idées
d’avant-garde étouffées par des millénaires de soumission. Une révolution qui dans
sa grande naïveté irait au bout de celle engagée en 1789. Une révolution que
les tenants du pouvoir du moment ont travesti en contre-révolution, afin de ne
rien perdre des prérogatives qu’ils venaient de s’arroger à grand renfort de
têtes coupées. La monarchie était tombée mais pas le patriarcat.
On n’en attendait pas moins de Benoîte Groult dont on
connaît la pugnacité en termes de combat pour que non seulement notre siècle
connaisse enfin l’équilibre, mais aussi pour que s’établisse la reconnaissance
de l’usurpation de statut au bénéfice du seul mâle. Que soient moqués ceux qui
se sont rendus illustres aux yeux de leur congénères en proclamant des sentences
du style : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et
l’homme. Et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la
femme. » (Pythagore au 5ème siècle avant notre ère).
Bel hommage de Benoîte Groult à celle dont le courage,
poussé à l’inconscience, l’a fait monter à l’échafaud, sans renier ses
convictions, convaincue de son bon droit. Ce que Benoîte Groult restitue bien à
la lecture de son texte, c’est la solitude de cette femme dans son combat.
Abandonnée par son père naturel auprès d’une famille d’adoption, elle forgea elle-même
sa propre culture, mena seule son combat pour que soit réservée à la femme une
autre condition que celle destinée à élever les enfants de son époux. Elle n’a pourtant pas trouvé le levier propre
à soulever l’enthousiasme de ses contemporaines. Même son propre fils
l’abandonna à son rêve d’une société juste et équilibrée.
Les deux premiers ouvrages que j’avais lus de la main de
Benoîte Groult avait forgé mon engouement pour cette auteure. J’ai été comblé de
pouvoir, grâce à elle, faire la connaissance de cette femme d’autant plus
méritante que son combat fut solitaire à une époque où l’on ne risquait rien moins
que sa vie pour faire valoir ses idées.
vendredi 17 novembre 2023
lundi 13 novembre 2023
dimanche 5 novembre 2023
lundi 30 octobre 2023
L'entreprise des Indes ~~~~ Eric Orsenna
🌕🌗🌚🌚🌚
C’est le frère de Christophe Colomb, Bartolomé, qui mobilise
son auditoire sous la plume d’Eric Orsenna. Il nous tient depuis Hispaniola où
il est demeuré mille considérations qui ont présidé et ont succédé à l’épopée
que l’on sait dans la découverte de l’Amérique par son frère.
Eric Orsenna écrit comme certains s’écoutent parler. C’est
la rançon de la notoriété. Il y a dans cette écriture une forme de suffisance
qui alourdit la lecture. C’est très ennuyeux.
mardi 24 octobre 2023
L'as de coeur ~~~~ Morgane Moncomble
🌕🌕🌚🌚🌚
mardi 3 octobre 2023
L'Odyssée de Pénélope ~~~~ Margaret Atwood
Quand on parle d’Odyssée, on pense immédiatement au périple
d’Ulysse de retour de la guerre de Troie. A croire que Margaret Atwood en avait
soupé de ce point de vue par trop masculin. Elle nous soumet ce périple mythique
avec un autre regard, celui de Pénélope bien sûr. Mais pour que les femmes
aient droit à la parole dans cette épopée choisit-elle l’artifice, si ce n’est
la précaution, de le faire d’outre-tombe. Qui plus est au 21ème
siècle, allant jusqu’à faire tenir un procès en reconnaissance de mérite,
recommandant en outre aux magistrats et avocats, bien modernes ceux-là, de se
garder de tout anachronisme et tenir compte des données du moment, celles d’il
y a trois ou quatre mille ans. Epoque bénie pour la fantasmagorie mythologique au
cours de laquelle les dieux régnaient en maître depuis l’Olympe.
Il s’agît-là bien entendu d’une démarche féministe. L’auteure
allant jusqu’à faire dire à Pénélope, en guise de mise en garde adressée à son
lecteur du 21ème siècle, de ne pas considérer sa théorie comme
« un ramassis de foutaises féministe sans fondement. » Ecornant au
passage la gent masculine, toutes époques confondues, prévenant son lectorat,
fût-il masculin, qu’il « est toujours imprudent de s’interposer entre un
homme et l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence. »
Margaret Atwood se garde bien toutefois de faire du point de
vue féminin, depuis Ithaque donc dans l’attente du retour du héros, un monde
idéal pavé de nobles sentiments. On connaît le stratagème que Pénélope mit en
œuvre pour surseoir aux appétits de ses prétendants, briguant en fait le trône
on l’aura compris, on découvre la vie domestique du palais. Entre Anticlée, la
belle-mère, Euryclée, la nourrice, celle que Laërte considérait comme une
seconde mère pour son fils, les douze servantes versatiles quant à leur
fidélité, et enfin Télémaque le rejeton indocile, cette vie donc n’avait rien
d’une sinécure pour Pénélope, fût-elle reine. Augmentant d’autant son mérite à
attendre chastement son époux. Contrarié qu’il fût quant à lui dans son voyage
retour par le courroux de Poséidon, les entraves de la nymphe Calypso, et
autres égarements fomentés par Circé, le chant des sirènes et consort.
« Dans les Chants on raconte que…, on insiste sur
…, si vous croyez pareille chimère » vous serez un lecteur bien naïf
nous fait entendre Pénélope depuis les rivages célestes où s’alanguissent les
âmes. « Je me sens l’obligation de faire le point sur les calomnies dont
je fais l’objet depuis deux ou trois mille ans. Toutes ces histoires sont
totalement fausses. » Voilà qui remet les pendules à l’heure. Voilà donc
la raison pour laquelle est intenté ce procès, en réparation de tant de siècles
de suprématie masculine.
L’idée est originale. La mise en scène au demeurant fort judicieuse
ne nous semble nullement incongrue. On l’aura compris, le procédé est inusité et
le propos non dénué d’humour pour restituer à qui de droit les mérites du
succès de la plus célèbre épopée du monde. Ecrit de main d’homme, à la gloire
des seuls hommes, le plus vieux texte du monde qui ne fait de la femme que l’enjeu
d’un conflit ou le jouet d’une convoitise méritait sa correction. Voilà qui est
fait de la main de Margaret Atwood.
Et toi lecteur du 21ème siècle, ne perçois ni légèreté ni futilité dans cette mise au point. Ce n’est pas Margaret Atwood qui te le dit, c’est Pénélope. De l’expérience de ses trois mille ans d’observation du monde elle s’autorise une recommandation à ton adresse, celle de ne pas regarder avec mépris le monde antique tel qu’il t’est livré par l’histoire car « Je me rends compte que le monde d’aujourd’hui est aussi dangereux que celui que j’ai connu, sauf que la misère et la souffrance sont plus répandues. Quant à la nature humaine, elle est plus vulgaire que jamais. » L’auteure de la Servante écarlate, romancière dystopique, conserve avec cet ouvrage un regard désabusé sur ce que l’homme fait de son passage sur terre.
mercredi 20 septembre 2023
Ce qu'ils n'ont pu nous prendre ~~~~ Ruta Sepetys
🌕🌕🌕🌕🌚
L’écriture de Ruta Sepetys, au travers de son formidable
Hôtel Castellana, m’avait donné le goût d’approfondir ma connaissance de cette
auteure et de son œuvre.
Elle semble s’être focalisée sur les régimes tyranniques. Le
second ouvrage de sa main que je viens de refermer traite d’une période qui est
chère à son cœur puisqu’il s’agit de la main mise par Staline sur le pays
d’origine de sa famille : la Lituanie. Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre
est son premier roman.
A la lecture de celui-ci, j’ai éprouvé une légère déception.
Je l’ai trouvé en dessous d’Hôtel Castellana en termes d’écriture. Moins abouti
dans sa construction, l’inclusion de la fiction dans les événements historiques,
bien que l’auteure paraisse néanmoins plus impliquée personnellement. On
ressent à cette lecture une grande compassion pour toutes ces personnes sans distinction
d’âge, de sexe et de condition qui ont eu à subir les affres de la déportation
en Sibérie, et pour cause.
S’il n’y avait pas, comme ce fut le cas pour la solution
finale mise en œuvre par les nazis, « d’industrialisation » de la
mort, les conditions de détention dans le froid intense, la faim, les maladies évidemment
non soignées, l’épuisement par le travail aboutissaient au même résultat. Ruta
Sepetys met l’accent sur l’indifférence des gardiens, qui avaient eux leur
confort sous les yeux des détenus, quant à la souffrance et la déchéance
physique de ces derniers. Aux conditions de vie terribles, l’isolement total
dans les immensités sibériennes, le sentiment d’oubli du reste du monde et l’incertitude
complète de l’avenir participaient grandement à anéantir psychologiquement les
détenus. Ruta Sepetys le rend très bien.
Cet ouvrage est bâti sur la base de témoignages souvent indirects, les rescapés ayant eux aussi presque tous disparu à l’époque où elle met son ouvrage en chantier. Cela reste toutefois un excellent roman de rappel à la mémoire de ces pauvres anonymes broyés par un système totalitaire inhumain. Ce genre d’ouvrage a toujours sa justification et plus encore lorsque la mémoire directe s’efface.
La croix et le croissant ~~~~ François Taillandier
« L'homme, sitôt sorti de ses routines habituelles et
exposé à la nuit et à la solitude, est peu de chose, ou plutôt n'est
rien. »
Cette citation empruntée à Marguerite Yourcenar dans
Archives du nord exprime avec à-propos ce que des hommes, êtres de chair et de
sang, ont ressenti quand, aux origines de l’édition, il leur a été demandé de
laisser à la postérité la trace écrite du passage sur terre de leurs
commanditaires. Des puissants bien sûr, pas des gueux. Des puissants tellement
imbus d’eux-mêmes qu’ils voulaient que leur mort ne soit pas une mort aux yeux
des générations à venir. Survivre par l’écrit. Leur vie fût-elle couverte
d’opprobre et de sang. François taillandier tient son propos à l’époque des
rois dits fainéants. Epoque qui vit à l’Orient l’émergence de la foi musulmane.
L’histoire des hommes se lirait donc sur ces supports qui deviendront des
livres. Ecrits de main d’homme, bien avant l’imprimerie.
Mais qu’est-ce que l’homme à l’échelle de l’éternité :
rien. Marguerite Yourcenar le scande et répète à l’envi. Encore cet homme ne
sait-il même pas ce qu’il fait sur terre. Ce qu’il était avant. Ce qu’il
devient après. Et il passe sa vie à se vautrer dans le luxe et la luxure, à se
livrer à des bassesses qui de peu le rabaissent encore. A s’entredéchirer avec
ses congénères pour des peccadilles qu’il n’emportera pas au-delà de sa vie,
n’en déplaise aux pharaons. Il passe en fait sa vie à se distraire de l’idée de
la mort.
Alors quoi ?
Alors Dieu ! Oui, Dieu !
L’homme est trop petit à l’échelle de l’univers, à l’échelle
du temps, trop vil à l’échelle du mystère qui préside à cet obscur éclair de
conscience qu’est sa vie. Instant au cours duquel un esprit est venu se
contraindre dans un corps de chair et de sang.
Alors Dieu ?
Oui Dieu ! Hors de toutes échelles de temps et
d’espace. Hors de toute convoitise, de joie, de peine, de naissance et de mort.
Dieu éternel. Être sans substance. Non-être donc. Non-être qui dépasse toute
vie sur terre depuis l’amibe sortie de l’océan jusqu’à cet être vaniteux pétri
de concupiscence en même temps que de peur qui se fait appeler homme. Dieu est
la réponse à l’insignifiance. Alors plutôt que raconter l’homme, fût-il roi sur
terre, autant prôner ce dépassement de tout, cette transcendance : Dieu.
Ecrire ce que des hommes qui se sont dits messagers de Dieu,
récepteurs de la parole divine, prophètes, écrire ce que l’instance supérieure,
mystérieuse, inaccessible, invisible leur a dit. Puisqu’Il s’est rendu audible à
eux. Ce que les hommes, ceux qui se disent grands, voulaient faire transcrire
de leur vulgarité dans autant d’ouvrages du même niveau sera avantageusement
remplacé par la parole divine dans un seul ouvrage. Le LIVRE.
La croix et le croissant de François Taillandier nous dit la
gesticulation de la créature intelligente, et pourtant bouffie de défauts, pour
s’élever, dépasser sa si courte existence, si médiocre existence et trouver le
salut. En Dieu !
Mais même en cette intention les hommes n’ont pas trouvé de
collusion. Le LIVRE est devenu multiple. Et encore en est-il pour clamer que la
parole divine ne peut être écrite. Elle ne peut être entendue que par des élus
et colportée par le Verbe.
Pauvre homme, pris entre la Croix et le Croissant, et peut
être encore d’autres symboles de religions, celles-là moins extraverties. Plus
confidentielles, moins belliqueuses, ne revendiquant pas le monopole. Pauvre
homme qui n’a pas entendu le message d’amour que prêchent toutes ces religions qui
se revendiquent du Livre, en même temps qu’elles le foulent aux pieds.
Formidable ouverture sur ces notions de désarroi de l’homme
en sa condition que celle de François Taillandier. Pauvre homme en quête de
dépassement des bornes de sa vie. Dépassement qu’il a trouvé en Dieu.
Dépassement qu’il a transcrit dans le Livre pour associer sa pauvre existence à
celle de son créateur. Et survivre ainsi avec lui dans l’éternité.
J’ai retrouvé avec délectation la hauteur de vue de cet
auteur sur la condition de l’homme livré au mystère de la vie. Approche que j’avais découverte avec
L’Ecriture du monde et que je m’impose de suivre dans le troisième volet de cette
trilogie tant elle comble mon appétit de cette écriture érudite tout en restant
accessible, sur ces questions que l’on qualifie de fondamentales.
Veiller sur Elle ~~~~ Jean-Baptiste Andréa
🌕🌕🌕🌕🌕
Qui est cette Elle sur qui il faut veiller ? Elle, a poussé
Mimo à se cloîtrer dans un monastère, sans toutefois y prononcer des vœux. Sous
la plume de Jean-Baptiste
Andréa, il nous conte sa vie ses dernières heures venues. Mimo, c'est
Michelangelo Vitaliani. Il a deux handicaps dans la vie. Celui d'être né dans
une famille pauvre, mais surtout celui d'être différent. Il est de si petite
taille qu'on le traite de nain. Mais il a un atout énorme. Celui de son art. Il
est un sculpteur au talent inouï. Au point de rivaliser avec l'autre
Michelangelo, le grand, l'auteur de la Pietà qui trône en la basilique
Saint-Pierre du Vatican à Rome.
Elle, ce pourrait être Viola. Elle est la fille de la grande et richissime
famille Orsini de laquelle sont issus plusieurs papes. Mais comment un nain,
qui plus est de basse extraction, pourrait-il seulement lever les yeux sur
pareille descendance. Aussi fantasque fût-elle ? N'a-t-elle pas l'idée de voler
avec une aile de sa fabrication.
C'est pourtant ce qui arrive. Parlera-t-on d'idylle entre ces deux personnages
? Pareille union abonderait à l'expression du mariage de la carpe et du lapin.
Mais une idylle quand même, oui. En forme d'amitié amoureuse. Parfois orageuse,
mais toujours fidèle. Une de celle qui ne trouve d'assouvissement que dans
l'espoir. Espoir d'on ne sait quoi. Sans cesse relégué, aussi fuyant que la
ligne d'horizon.
A moins que l'assouvissement de cette idylle, ce ne soit cette sculpture, cette
caresse au marbre pur qui a façonné un visage si doux. Le visage de la Vierge,
si parfait qu'il est sacrilège aux yeux de l'Eglise. A la mémoire du
grand Michel-Ange.
La Pietà de Mimo fait de l'ombre à celle du maître. Aussi a-t-elle a été
confinée en un lieu que très peu connaissent.
Mimo, Viola, un amour qui a trouvé son accomplissement, son triomphe dans
l'immobilité d'un visage aux traits divins. Un visage de marbre. Un visage à la
beauté céleste, inaltérable. Comme l'amour quand il n'a pas été corrompu par
les bassesses de la vie terrestre.
Un roman à la puissance romanesque prodigieuse, porté par une écriture aussi
fluide que les traits du visage de la Pietà. Celle de Mimo.
Ramuntcho ~~~~ Pierre Loti
🌕🌕🌕🌕🌚
Pierre
Loti l'écrivain voyageur a jeté l'ancre au Pays Basque. Pays dont il
tombe amoureux, pas seulement pour ses paysages, mais aussi pour ses habitants
dont il apprécie le caractère bien trempé. Il les apprécie au point d'y fonder
une seconde famille avec une femme du cru qui lui donnera quatre garçons dont
un certain Raymond. Qui en basque se dit Ramuntcho.
Au pays basque il y reviendra régulièrement. Il y fit l'acquisition d'une
maison sur les rives de la Bidassoa dans laquelle il a voulu vivre ses derniers
jours. Son engouement pour cette contrée lui a inspiré ce roman, Ramuntcho. Plus
que dans tout autre il dévoile sa sensibilité propre.
L'énergie romanesque de son ouvrage s'en trouve enrichi d'une prose aux élans
poétiques. Sa plume s'alanguit dans des envolées mélancoliques à rendre jaloux
les romantiques. Mais l'amoureux contemplatif reste un être lucide. Il ne perd
de vue que la vie n'a rien d'un tapis de rose. Que les amours et les amitiés
sont souvent contrariées par les événements, les codes moraux, les
intérêts. Ramuntcho,
le contrebandier qui ne craint pas les douaniers, le joueur de pelote qui fait
l'admiration de tous en fera l'amère expérience.
Le regard de Gracieuse – on appréciera le choix du prénom - la belle qui avait
conquis le coeur de Ramuntcho,
s'éteint doucement dans l'ombre d'un couvent dans lequel l'a fait enfermer sa
mère. Jusqu'au dernier chapitre on brûle de savoir si Ramuntcho réveillera
ce regard et attisera à nouveau son bonheur du souffle de l'amour.
Pierre Loti est
un poète éveillé dont le réalisme teinte les oeuvres d'austérité. Son acuité
dans la perception du monde le retient de dresser un tableau idyllique de la
vie. Ses amertumes lui donnent l'occasion de donner quelques coups de griffes à
la religion qui pour le coup est plus une prison qu'un secours.
Chacun de ses personnages dévoile un peu plus son auteur. L'homme d'action
quelque peu fantasque qui s'enflamme pour un lieu, une personne, sans cesse
attiré par des ailleurs espérés plus doux, n'en finit pas de se chercher. le
bonheur lui file entre les doigts comme le sable des plages. Autant que lui a
pu filer sur les mers d'un bout à l'autre du monde, s'attachant à une
japonaise, une turque, une basque, un matelot breton.
Si peu à son épouse légitime. Ramuntcho n'est
pas d'elle. Mais le roman est touchant.
jeudi 7 septembre 2023
Le dernier bain ~~~~ Gwenaële Robert
Charlotte Corday n'était pas la seule à vouloir faire disparaître Marat. Dans l'entonnoir qui filtre les intentions, les hasards et les circonstances pour les focaliser vers un dénouement, la jeune et belle aristocrate fut celle qui y parvint. Il faut dire qu'à ses qualités physiques elle adjoignait détermination et courage.
dimanche 27 août 2023
Fragonard, l'invention du bonheur ~~~~ Sophie Chauveau
On peut reprocher beaucoup de chose à Internet, au rang
desquelles celle de voler des heures de lecture aux surfers impénitents, mais
lorsqu'on lit la biographie d'un artiste peintre comme je viens de le faire
avec celle de Fragonard par Sophie Chauveau,
on bénit cette technologie moderne de nous donner accès à la visualisation des œuvres
de l'artiste.
Les biographies d'artistes ont quelque chose de plus que les autres. Cette même
chose qui fait d'eux des êtres inspirés, capables de capter des ondes destinées
à eux seuls et les rendre accessibles à autrui. Ça s'appelle le talent. A leur
préjudice ils sont souvent des précurseurs dans les courants de leur art et ne
trouvent malheureusement de popularité qu'à titre posthume.
Tel ne fut pas le cas de Fragonard. Il a vécu de son art. Avec d'autant plus
d'intelligence que son époque fut parmi les plus troubles de l'histoire. La
guillotine de la Terreur n'était-elle pas implantée sous ses fenêtres, ou
presque.
Tout cela nous est conté avec luxe de détails par Sophie Chauveau.
Au point d'appesantir son ouvrage de quelques longueurs. Mais l'œuvre
considérable de Fragonard ne pouvait que susciter l'épanchement devant pareil
talent. Elle qui s'est faite spécialiste des biographies d'artistes a voulu
donner corps à son ouvrage et justifier le titre qu'elle lui a conféré :
l'invention du bonheur. Bel ouvrage qui peut nous rendre qu'admiratif du
travail de recherche et documentation de son auteure.
La fille du faiseur de rois ~~~~ Philippa Gregory
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On l’aura compris avec les titres des ouvrages qu’elle a produits, dont celui-ci, la parole est aux femmes sous la plume de Philippa Gregory. Ce n’est que justice, bien tardive se dira-t-on, parvenus que nous sommes au 21eme siècle. Justice rétrospective si l’on peut dire. Bien qu’à y regarder de plus près, et Philippa Gregory nous y aide, si leur pouvoir n’était pas institué elles n’en étaient pas dépourvues pour autant. Il suffit de lire La fille du faiseur de rois pour s’en convaincre. Mais un pouvoir par influence n’est pas un vrai pouvoir, convenons-en.
Philippa Gregory s’est faite spécialiste de cette époque de l’histoire de la Grande Bretagne qui ne nous dit pas grand-chose à nous autres Français, de cette époque que quelques siècles plus tard les historiens se sont plu à désigner sous l’expression de Guerre des deux roses, friands qu’ils sont d’étiquettes lyriques, voire épiques. Période évoquant la lutte entre grandes familles, les Lancastre et les York, qui, bien qu’ayant des liens de parenté se disputaient âprement le pouvoir. Eternelle avidité qui pousse les hommes à se livrer des guerres sans merci, où l’on n’hésite pas à faire alliance avec son ennemi d’hier, dont on vient au passage de tuer la progéniture, quand les intérêts y décèlent une voie d’accès au trône. Période de l’histoire de nos deux pays qui nous confirme s’il en était besoin que nos amis anglais étaient bien nos ennemis héréditaires. Louis XI n’était pas le dernier à jeter de l’huile sur le feu. Mais surtout gardons tout cela à l’imparfait.
Sans revenir sur le contenu de cet ouvrage qui n’intéressera que l’amateur d’histoire, c’est la façon dont elle est traitée par Philippa Gregory qui a nourri ma satisfaction au fil des pages. C’est pour moi une formidable découverte que cette auteure britannique. Elle a une superbe façon d’écrire l’histoire, mais surtout de combler les lacunes que les sources de cette époque nous ont laissées. Sources d’autant plus indigentes quand il s’agit du rôle des femmes avouons-le. La romance se glisse naturellement entre les faits historiques sans les bousculer ni les trahir le moins du monde, au point de faire une parfaite symbiose entre le réel et l’imaginaire. Une touche de poésie chevaleresque rehausse l’intrigue et compense ce que les comportements ont pu injecter de méprisable dans leurs intentions et actions.
L’autre atout de cette écriture est de faire preuve d’objectivité. Dans ce qu’elle imagine de l’influence des femmes sur le cours de l’histoire, Philippa Gregory n’en dresse pas non plus un tableau idyllique. Il suffit pour s’en convaincre de lire à longueur d’ouvrage les manœuvres de la reine Elisabeth, épouse du roi Edouard IV, d’une part, et de la prétendante Anne de Neville, épouse du futur Richard III, pour se convaincre de la cruauté du combat qu’elles se sont livré à seule fin de parvenir à la consécration suprême et mettre en œuvre à leur tour le népotisme propre à installer et gratifier leurs proches.
Superbe façon d’évoquer la condition de la femme en ces
temps reculés. Superbe façon de construire un roman historique et redonner la
parole qui manque à nos livres d’histoire. Ouvrage jouissant d’un style agréable
à lire, parfaitement maîtrisé, sûr de son impact, que la traduction ne semble
pas avoir affaibli.
samedi 26 août 2023
Les mystères de Marseille ~~~~ Emile Zola
Tout ceci nous est expliqué dans les trois préfaces à l’ouvrage que comporte cette édition d’Archi Poche dont il faut saluer l’idée de remettre cet ouvrage sur l’étal des libraires : celle de Roger Martin qui intègre l’ouvrage dans le contexte de l’œuvre de Zola, puis deux de l’auteur lui-même. La première à la sortie de l’ouvrage en 1867. Il y évoque la genèse de l’ouvrage, son travail de recherche. La seconde en 1884 donc, dans laquelle il se montre très critique avec ce qui est devenu à ses yeux un exercice de jeunesse pour le moins perfectible. Il ne cache pas avoir produit un ouvrage alimentaire. A 27 ans Zola vivotait et tirait le diable par la queue. Aussi n’a-t-il pas hésité lorsqu’on lui a demandé d’écrire un feuilleton à paraître dans le Messager de Provence, un journal d’Aix-en-Provence, ce qui deviendra quelques mois plus tard la première édition des Mystères de Marseille.
« Les Mystères de Marseille rentrent pour moi dans cette besogne courante, à laquelle je me trouvais condamné. Pourquoi en rougirais-je ? Ils m’ont donné du pain à un moment les plus désespéré de mon existence. Malgré leur médiocrité irréparable, je leur en ai gardé une gratitude. »
Mais quand Zola fait du médiocre, selon lui bien sûr, cela reste consommable aux yeux du quidam moyen, au rang desquels je me place, me frottant de temps à autre aux grands du monde littéraire. La belle langue est déjà là au bout de la plume. Rendue désuète de nos jours par le seul fait du martyre que nous lui faisons subir au quotidien. Et Zola, en digne représentant du courant naturaliste, donne avec Les mystères de Marseille un avant-goût du talent à venir, de la dimension sociale de son œuvre bien ancrée dans son époque. Les personnages sont là, dans leur rusticité le plus souvent, ballotés par les péripéties de l’histoire, la grande, prêts à faire cette histoire s’il le faut aussi pour émerger de leur maigre condition. Jusqu’à faire tomber les cloisons qui les contiennent dans des classes sociales à l’avenir fermé.
C’est ce que montre déjà cet ouvrage avec les émeutes de Marseille qui ont prolongé en province la révolution de 1848 en la capitale, avec la destitution de Louis-Philippe à la clé. Et quand cette Province c’est Marseille, il y a quelque chose en plus dans ces événements. Quelque chose que Zola connaît pour avoir séjourné tout près, à Aix-en-Provence. Il y a la ferveur du sang chaud des Provençaux que cet observateur de la vie des hommes a su transcrire avec le talent qui fit son succès. C’est déjà une belle fresque de la société de son temps, même si ce maître du réalisme osant déjà quelques pointes d’idéalisme populaire affirme avoir mis quatre fois moins de temps pour écrire une page des Mystères de Marseille qu’une de Thérèse Raquin.
Votre
roman que vous taxez de médiocrité m’a bien plu monsieur Zola. Pour avoir vécu
à Marseille j’ai pu y situer les décors de l’intrigue. J’y ai appris les noms
de rue aujourd’hui rebaptisées, avec moins de bonheur. Je me suis plu dans
cette romance aux noms chantant sur fonds de concert de cigales. Je me suis plu
à lire ce talent qui germe en ces pages et dont le rapport vous a permis d’éclater
à la face du monde avec le reste de votre œuvre.
jeudi 17 août 2023
Mon frère Yves ~~~~ Pierre Loti
Ce qui est le plus insolite avec cet ouvrage, c’est la position que se donne l’auteur par rapport au narrateur. Bien que l’ouvrage soit autobiographique, le « Je » garde ses distances. C’est du Pierre Loti sans l’être. Du Pierre Loti pour la postérité. Quand le souffle de la liberté aura balayé les inhibitions d’une éducation ankylosée par les convenances.
Yves Kermadec dans l’ouvrage n’est en effet autre que Pierre Le Cor avec qui l’auteur a entretenu une amitié pour le moins singulière. Elle a jeté le trouble sur la nature réelle de cette relation entre l’officier de la marine qu’était Pierre Loti et celui qui n’était alors que simple matelot, avant de gagner quelque galon.
À une époque où les classes sociales étaient très cloisonnées, encore plus dans la marine où les officiers ne coudoyaient pas la troupe en dehors des ordres à la manœuvre, on s’étonne de cette familiarité qui a amené Pierre Loti à fréquenter la famille de Pierre Le Cor, Mon frère Yves dans cet ouvrage, jusqu’à devenir le parrain de son fils Julien. Il portait le prénom civil de l’auteur. Il avait même chambre réservée dans la maison que Pierre Le Cor fera fait bâtir plus tard à Rosporden. Ce village du Finistère sud où ce dernier avait décidé de s’éloigner des tentations de Brest : débordements alcooliques et autres débauches dont Pierre Loti peina à le sevrer.
Au gré des expéditions qui les réunissaient ou les éloignaient, cette amitié a perduré au-delà de la disparition de Pierre Loti en 1923, puisque Pierre Le Cor lui survécut quelques années avec la même fidélité de pensée.
Mon frères Yves est un ouvrage qui paraît en 1883. Pierre Loti en fait un ouvrage de fiction en travestissant aussi bien les noms de personnes que de lieux et faisant tenir son intrigue en un village imaginaire. Gageons que cette envie irrépressible de faire passer cette amitié à la postérité a été suscitée par le caractère équivoque de cette relation, laquelle n’aurait pas manqué d’interpeler son lectorat contemporain, au premier rang desquels sa famille de tradition protestante rigoureuse et la hiérarchie militaire.
Mais le caractère fantasque du personnage qui le fit aimer se travestir lui-même et se faire prendre en photos sous divers costumes exotiques inspirés par ses voyages, aménager des pièces de sa maison en mosquée ou palais oriental, fait partie de ce qui lui valut sa célébrité précoce. Pierre Loti c’était l’évasion dans toutes ses acceptions, aussi bien sur les mers du globe que dans des univers interlopes. Pierre Loti c’était du rêve pour ses lecteurs contemporains, alors pourquoi pas au prix d’un dépoussiérage des mentalités dans ce XIXème siècle et sa révolution industrielle qui peinait à s’ancrer dans la république.
Il n’en reste pas moins que la sincérité transpire dans ces pages et que Pierre Loti a été pour beaucoup dans le sauvetage de ce matelot qui comme beaucoup, en désespoir d’améliorer sa condition, était promis à la dérive. Y entrainant du même coup son couple. Combien de foi sa pauvre Marie, son épouse, se morfondit de voir leur maigre revenu partir dans les bouges, attendant la peur au ventre au mieux de voir rentrer son jeune époux ivre au lendemain de nuit passées dans les bas-fonds de Brest, au pire de le ramasser elle-même dans le caniveau. Si Pierre Le Cor a pu par la suite mener une vie rangée de père de famille, il le doit en grande partie à celui qui s’est investi dans le rôle de mentor dont il se fit un devoir. C’est en cela que la relation équivoque entre les deux hommes devient touchante et que s’estompent les hypothèses de seul plaisir charnel dans les arrière-pensées.
Pierre Loti a dans le verbe suffisamment de ressources
pour éluder tout ce qui dévirait du pur sentiment. Il gagne avec pareille
écriture ses galons non plus en hiérarchie militaire mais en littérature pour
entraîner ses lecteurs sur des océans de rêve ceux-ci. Avec parfois quelque
voile de fumée bien opportuniste pour dissiper les doutes dans les esprits mal
tournés. De ceux qui seraient tentés d’inventer une expression du style : Pierre
Loti a commencé sa carrière sur les bateaux à voile, il l’a terminée sur les bateaux
à vapeur, alors … Mais ce sont-là que des esprits bien mal tournés.
Pêcheur d'Islande ~~~~ Pierre Loti
Pêcheur
d'Islande c'est avant tout un œil contemporain sur les personnages et
les scènes que son auteur imagine. le texte est donc dépourvu d'anachronismes
de langage ou de culture dans ce qu'il décrit de la vie des gens. Ces gens, il
les fréquente, il connaît leur mode de vie. On dirait aujourd'hui que leur vie
fut très rude et on aurait tendance à susciter la commisération à leur endroit.
Mais pour l'écrivain contemporain du XIXème siècle, ce mode de vie n'était rien
d'autre que commun.
Pêcheur
d'Islande c'est un aussi un œil d'expert sur le monde de la mer. Pierre Loti a
eu une carrière de plus de quarante années dans la marine, dont vingt passées à
bord des bateaux sur toutes les mers du globe. La mer il la connaît mieux que
quiconque. L'immobilité d'une mer plate dans la brume qui désespère le marin
aussi bien que ses furies qui menacent de l'envoyer par le fond.
Mais Pêcheur
d'Islande c'est aussi l'œil d'un observateur averti. Avant
d'écrire, Pierre
Loti, alors Julien Viaud,
s'est fait connaître de son entourage par ses dessins de paysages et de
personnages. À commencer par son ami Pierre le Cor dont il a peint le corps en
posture de statue grecque. Dessin qui interroge sur la relation que l'auteur a
entretenu avec ce dernier. Relation qui fait l'objet d'un ouvrage que Pierre Loti a
intitulé Mon
frère Yves.
Enfin Pêcheur
d'Islande c'est aussi et surtout l'œil d'un scrutateur des sentiments
humains. Il sait les mettre en mots avec ce talent qui lui a valu un succès
précoce dans sa carrière littéraire. Ce personnage fantasque a tout exploré.
Les océans du globe comme les cœurs de ses contemporains. Ceux qui étaient
aspirés par la ligne d'horizon aussi bien que celles dont le regard se perdait
sur cette ligne quand le retour des campagnes de pêche était annoncé. Elles
languissaient le retour d'un mari ou d'un fils que la mer ne leur rendrait
peut-être pas.
Pierre Loti est
quelque peu passé de mode, c'est dommage. Son écriture est tranquille et
précise à la fois dans ce qu'elle traduit de sa perception des autres. Elle
n'incite pas seulement au voyage, elle incite à la fréquentation de ses
personnages dans leur intimité, dans la simplicité de leurs caractères avares
de paroles. Avec ses mots, peut-être plus qu'avec ses dessins il a su dresser
une très belle fresque de ses contemporains tous horizons et cultures
confondus.
mardi 1 août 2023
mardi 18 juillet 2023
mardi 27 juin 2023
Hôtel Castellana ~~~~ Ruta Sepetys
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