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mercredi 13 juin 2018

Un homme ~~~~ Philip Roth

 



Voilà un ouvrage qui réduit la personne humaine à ce qu'elle serait sans le secours de la philosophie ou de la religion : ni plus ni moins que la locataire d'un corps avec un bail à durée déterminée.

Reste l'amour de son entourage pour supporter les affres de la vieillesse. Encore faut-il que le sujet vieillissant n'ait pas consacré sa vie à creuser le fossé de la discorde. C'est ce qui arrive à cet homme dont on ne connaîtra pas le nom et qui, le grand âge venu, prend la mesure du désert affectif qu'il a cultivé. Séparé de trois épouses, fâché avec ses fils, ne lui reste que l'attachement de sa fille. Il ne lui est toutefois pas du réconfort souhaité. Il le sait plus commandé par le devoir filial que par véritable amour. Aussi quand le corps se rappelle à la personne par ses maux, la solitude est d'autant plus corrosive.

Un homme est un roman peu réjouissant. C'est le style de l'auteur et son analyse des caractères qui entretiennent l'intérêt du lecteur. Cette écriture claire et simple m'encouragera à poursuivre ma découverte de l'auteur récemment disparu. Il faudra toutefois que le prochain ouvrage me plonge dans une atmosphère moins déprimante. J'espère que ce spleen affiché dès les premières pages autour du cercueil de l'homme n'est pas une constante chez cet auteur.

dimanche 4 février 2018

Dalva ~~~~ Jim Harrison

 



"Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça." C'est Dalva qui nous parle en ces mots. Elle n'imagine pas que sa vie puisse intéresser qui que ce soit. Et pourtant !

Dalva maudit ce destin qui lui a fait perdre les trois hommes de sa vie. Son père, trop tôt emporté par la guerre. Duarne, le père de son fils, jeune indien Sioux qui n'a pas trouvé sa place dans le monde des blancs. Et ce fils qu'elle n'a pu aimer que le temps de sa grossesse. Arrivé trop tôt dans sa vie, il a été confié à une famille d'adoption dès son premier cri.

Dalva trompe son désenchantement dans des aventures sans lendemain avec des hommes qui profitent des grâces de son corps sang mêlé, magnifiquement modelé par le lointain métissage d'un de ses aïeuls avec une indienne. Elle a confié à Mickael, l'un de ses amants et narrateur d'un chapitre de ce roman à deux voix, la tâche de reconstituer l'histoire de cette famille à laquelle elle appartient. A un autre celle de retrouver ce fils qu'elle n'a pas pu voir grandir. S'il est encore de ce monde, ce dernier décidera alors lui-même s'il veut ou non connaître sa mère biologique. Personne ne possède jamais un enfant. Il n'appartient qu'à lui-même.

Dans le pays où les distances se mesurent en heures de route ou de vol, les directions se désignent par les points cardinaux, l'histoire se rappelle à ses habitants avec d'autant plus d'acuité que son origine est récente, à peine quatre siècles. Et qu'elle commence par un génocide. La mémoire n'a pas d'effort à faire pour la revivre cette histoire, mais pour qui a le courage de scruter ce passé, l'horizon est tendu d'un voile noir. Jim Harrison est de ceux-là. Il n'a de mots assez durs pour se mortifier de cet héritage : "Si les nazis avaient gagné la guerre, l'holocauste aurait été mis en musique, tout comme notre chemin victorieux et sanglant vers l'Ouest est accompagné au cinéma par mille violons et timbales."

Les origines de Dalva ont croisé celle des indiens Sioux. Cette trace dans ses gènes lui confère une affinité accrue avec le peuple disséminé. Et plus que connaître l'histoire de sa famille, elle veut la comprendre. Comment un ancêtre a-t-il pu prendre le parti d'un peuple martyrisé et en même temps s'enrichir, et plus encore, se rabattre sur le christianisme pour justifier sa cupidité ? Il y a comme "un lest empoisonné qui pèse sur une partie de son coeur."

Jim Harrison rejette les tripatouillages mentaux dont est friande la civilisation moderne à d'autre fin que de détourner les esprits d'une quelconque culpabilité. Il raconte la vie de ses contemporains comme elle est, regrettant toutefois ce qu'ils en font, déplorant l'échec de l'éducation pour éliminer "la loufoquerie fondamentale de l'esprit américain".

Seule la terre perdure, les êtres passent. Jim Harrison est en symbiose parfaite avec la nature. Elle le verse à sa contemplation, fasciné qu'il est devant le spectacle de la terre, écrin de la vie des hommes dont ils font pourtant si peu de cas. Somptueux décor qui le transporte en méditation, inépuisable source d'inspiration dans la compagnie de ceux qui vivent la terre sans l'avilir d'orgueil et de cupidité, les animaux. Il y a toujours des chevaux, des chiens, dans la proximité de ses personnages.

C'est la délivrance brute et spontanée de cœurs qui se confessent plus qu'ils ne se confient

Cet ouvrage est écrit comme se raconte l'histoire dans la conversation. Un fouillis d'idées traversent l'esprit du narrateur et donne lieu à de longues tirades de monologues décousus où s'enchaînent pêle-mêle des événements parfois sans rapport les uns avec les autres. le rythme est tel qu'il n'est point de place pour l'apitoiement. C'est la délivrance brute et spontanée de cœurs qui se confessent plus qu'ils ne se confient. C'est un style pauvre en conjonctions propres à faire rebondir le récit et entretenir le suspens. L'esprit se vide de ses pensées dans un flot que ne retient aucune pudeur.

Les enfants doivent-ils se culpabiliser des méfaits de leurs ascendants ? Dalva veut comprendre qui pleure en elle.

Formidable texte sur les traces que l'histoire grave dans les gènes des générations.

Formidable ode à la nature qui doit en digérer une autre, humaine celle-là, leurrée par ses chimères.


vendredi 5 janvier 2018

La fille du fermier ~~~~ Jim Harrison

 


Une obsession, la vengeance. Et qui veut l'assouvir aux États-Unis n'est pas en peine de disposer d'une arme.

Sarah est une jeune adolescente plutôt sage. Elle n'a pas d'appétence particulière pour la chose sexuelle. Elle est séduisante avec sa beauté naturelle juvénile qu'elle ressent curieusement pourtant plus comme un fardeau que comme atout. La solitude est son refuge depuis qu'elle a perdu le vieux Tim. Son grand âge lui était une sécurité.

Lors d'une soirée de fête locale, elle sera droguée et violentée par le fils d'un riche propriétaire voisin connu pour ses frasques. Sarah ne dira rien de son malheur, de sa souffrance. Bénéficiant de l'indépendance que lui laisse son père, elle a décidé de se venger. Toute seule.

Jim Harisson, le vieil homme au physique cabossé, disgracieux, à la voix d'une gravité rocailleuse parvient à se glisser dans la peau de ce personnage aux antipodes de sa propre personnalité. Il fait preuve d'une empathie inattendue pour adopter l'état d'esprit de cette jeune fille meurtrie. En explorateur de la nature humaine, il envisage dans ce roman très court qu'à seize ans une jeune fille puisse déjà être désenchantée par la vie. Mais peut-être donne-t-il trop de lui, de son expérience à cette adolescente.

La nature sauvage, immense, souveraine, sert d'écrin à cette histoire de la violence des hommes. On le sait contemplatif de ses splendeurs, son chien couché à ses pieds. Il la décrit comme il la voit. Belle, simple, évidente. C'est sa manière de la célébrer.

Avec sa sagesse désabusée, Jim Harrison ne se fait plus d'illusion sur le comportement des hommes dont il connaît trop les mauvais penchants. Il les décrit quant à eux comme ils sont, avec les défauts qu'il leur connaît si bien, dont celui de la violence, surtout quand elle s'en prend à l'innocence.

Avec son écriture pressée comme une folle chevauchée dans les collines, il passe d'une idée à une autre sans transition superflue. C'est sa manière de parler des petites gens, des meurtris par la vie, des laissés pour compte dont il prend le parti. Il y a comme une urgence à leur donner la parole. Ce premier ouvrage que je lis de Jim Harrison m'engage à faire plus ample connaissance de son œuvre. Et de lui au travers de celle-ci.


samedi 21 octobre 2017

Ce que j'ai oublié de te dire ~~~~ Joyce Carol Oates




Quelle force sournoise pousse l'adolescente vers le gouffre sans fond du mal-être. Jusqu'à faire le pas de plus qui l'arrachera à l'affection quelque fois, l'indifférence quelques fois aussi, mais là c'est quelques fois de trop, de ceux de son entourage.

Médusés, ils n'ont rien vu venir. Sauf quand ils y repensent. Elle avait un caractère bien trempé et menait le monde à sa guise. Mais voilà, c'était un rideau de fumée. Ils se sont fait avoir. Elle est partie sans leur dire au revoir.

Passé le choc, la vie reprend son cours. Bien obligé. Tink - c'était le nom qu'elle s'était donné - est devenue celle qui observe depuis l'autre côté de l'abîme. Elle se joue désormais de voir celles de ce qui fut son cercle d'amies se débattre avec la vie, ses frustrations et ses embuches. Ses joies ? Vous y croyez encore vous ?

Tink qu'aurais-tu fait en pareil cas ? Moi la vie ? Les garçons qui ne pensent qu'à ça, ma mère qui ne vit que pour son cinéma, ce père qui n'a pas voulu me connaître, je n'en ai plus rien à faire. J'ai eu le courage, moi ! Ou l'inconscience, peu importe.
Suicide de l'adolescent(e), c'est tabou. Oui, mais ça arrive. Trop souvent. Habile façon d'évoquer le sujet de la part de Joyce Carol Oates.


samedi 17 juin 2017

L'homme à la colombe ~~~~ Romain Gary

 


Ce qui devrait être le haut-lieu de la conscience mondiale, le siège des Nations Unies, est investi par un illuminé qui, à grand renfort de symboles foulés au pied, offre prétexte à Romain Gary pour crier son désespoir. Celui de voir son idéal d'enjoliver le monde sacrifié sur l'autel d'un matérialisme forcené.

Diplomate en poste auprès des Nations Unies au moment où il écrit cette satire féroce, il est à la fois bien placé pour déplorer ce que deviennent les grandes et belles idées qu'il pouvait nourrir en son for intérieur quant à cette haute instance humanitaire, et mal placé pour le dénoncer. Il publie donc son ouvrage sous ce pseudonyme de Folco Sinibaldi et se taille ainsi sur mesure un grand défouloir duquel suinte toute l'aigreur du désenchantement.

Avec ce monument d'ironie il est question de la douleur d'appartenir à une espèce qui cultive son autodestruction. Romain Gary, sans doute désespéré du "pourrissement d'un grand rêve humain", applique tout son talent à le tourner en ridicule. Les Nations Unies, d'où devrait jaillir "l'étincelle sacrée de la conscience mondiale", ne sont donc rien qu'une machine à dissoudre dans l'abstraction ce qu'elles ne peuvent maîtriser. Tel en sera symboliquement du derrière de ce pauvre cow boy qui ne pourra désormais plus chevaucher son fier étalon. C'était lui l'homme à la colombe. Il l'avait bien cherché à cultiver bêtement un idéal d'intelligence collective chez une espèce gangrenée par l'individualisme.

C'est à la fois savoureux, fort talentueux, et malgré tout l'oeuvre d'un cœur meurtri.


vendredi 2 décembre 2016

Chien blanc ~~~~ Romain Gary

 



"Quand je me heurte à quelque chose que je ne puis changer, …, je l'élimine. Je l'évacue dans un livre." Et s'il est bien une chose qui ne changera pas, c'est "la plus grande force spirituelle de tous les temps : la bêtise". Car pour Romain Gary, le racisme c'est de la bêtise, affirme-t-il par euphémisme, et "la bêtise, c'est grand, c'est sacré, c'est notre mère à tous".

Son ouvrage, Chien Blanc, est un cri d'une colère à peine voilé, une colère bien pesée, une colère froide, contre cette bêtise.

Romain Gary nous a habitués à des ouvrages auto biographiques. Celui-ci est très personnel, très intime. Après sa mère dans La Promesse de l'aube, il y implique une autre femme de sa vie, Jean Seberg, son épouse. On y découvre leur convergence de point de vue contre la discrimination, à la fin des années soixante aux Etats-Unis, même s'ils ne partagent pas les moyens de se faire entendre. Martin Luther King vient d'être assassiné, le pays est à feu et à sang dans les luttes raciales que cet événement a suscitées.

Chien blanc est un berger allemand qui a trouvé refuge chez Romain Gary, en son domicile familial de Los Angeles. Particulièrement affectueux avec les Blancs, il est féroce avec les Noirs. Il a été dressé pour l'attaque de ces derniers. Quand tout le monde préconise de faire euthanasier cet animal tordu, irrécupérable, contre vents et marées, Romain et Jean se refusent à s'y résoudre. Ils s'accordent sur l'espoir de prouver que les tares peuvent être corrigées, même les plus détestables. Rien n'est irrémédiable chez qui n'est pas responsable de son état.

Avec ce subterfuge de l'animal dressé pour tuer, Romain Gary choisit de développer le thème de l'innocence pervertie. Frappé d'impuissance devant un contexte qui le bouleverse, il manifeste son aversion pour la bassesse des comportements humains. À cette fin il façonne un ouvrage très personnel dans sa forme narrative. La sensibilité à fleur de peau, il interpelle son lecteur, vient cueillir son oreille attentive en créant une forme de huis clos pour condamner le crime : le racisme. Mais pas son auteur. Il conserve en effet en l'homme tout sa confiance, car "il est moins important de laisser pendant des siècles encore des bêtes haineuses venir s'abreuver à vos dépens à cette source sacrée que de la voir tarie". L'homme n'est que le jouet d'un grand tout qui porte si mal son nom : la civilisation.

Le racisme est une chose. Son exploitation en est une autre. En avocat de tout ce qui vit et croît sur terre, Romain Gary ressent une grande solitude dans son combat. "Minoritaire-né", il ne prend partie ni pour ou contre l'un ou l'autre. Il ne cache en revanche pas son antipathie pour tous ceux qui font commerce de la compassion, s'auto proclament bon samaritains, au premier rang desquels se précipitent tout ce que le show-biz comporte de vedettes en vue. Époux de Jean Seberg alors au sommet de sa gloire, il est bien placé pour observer ce monde qui s'auréole de sainteté. Il ne se trompe pas sur les intentions réelles de ces « égomaniaques » régentés par leur narcissisme. La hantise de l'homme de spectacle, c'est la salle vide.

Mais là où le discours de Romain Gary sonne juste c'est quand il affirme que ni couleur, ni condition, ni statut ne sauraient être motif d'indulgence. Lui ne reconnaît de grâce que dans l'amour de son prochain. Ou en tout cas dans l'absence de haine. Et il n'a pas besoin d'un dieu pour se faire dicter cette conduite.

Pourtant sa "colère ne vise personne", même si elle écorne l'un ou l'autre au passage qu'il ne se prive pas de citer : Marlon Brando, "éternel enfant gâté" qui fait de la charité un business, Hemingway, "créateur d'un mythe ridicule et dangereux : celui de l'arme à feu et de la beauté virile de l'acte de tuer", Barbara Streisand, et d'autres encore, membres d'une société du paraître. Avec leur discours de générosité pré fabriqué, ils imaginent s'absoudre de leur culpabilité de participer à construire cette "société de provocation" en donnant des leçons de philanthropie. Les choses n'ont pas vraiment changé.

Selon Javier Cercas, "la littérature est une défense contre les offenses de la vie". C'est à n'en pas douter ce qui anime Romain Gary lorsqu'il écrit Chien Blanc. Cet écorché vif nous invite une fois de plus à ses humanités, au spectacle d'une civilisation qui n'a de cesse de cultiver les inégalités. Mais, avec la même constance, il se garde bien de juger. Point de condamnation à l'égard de celui dont "l'intelligence est au service d'une aberration congénitale qui s'ignore". de ces humanités on ne se lasse pas. On en connaît la sincérité, le désintéressement.

Persuadé qu'il était de me savoir lire son ouvrage en des temps qui lui survivraient, il prend la précaution de me mettre en garde : "Rien de plus aberrant que de vouloir juger le passé avec les yeux d'aujourd'hui". Il est vrai que lorsque je regarde autour de moi, je sens bien que de ces concepts vertueux gravés sur le fronton de nos édifices publics on n'a retenu que le premier : la liberté. Les choses n'ont pas beaucoup évolué depuis que Romain Gary nous a livré sa colère dans Chien blanc.


mercredi 14 septembre 2016

Des souris et des hommes ~~~~ John Steinbeck

 


Quelle curieuse manie que celle de Lennie d'aimer caresser le duveteux d'un pelage. Celui de la souris morte dans sa poche par exemple ou encore de ce chiot qui vient de naître. Fût-ce au péril de ce dernier. Mais il ne s'en rend pas compte. Lennie est un grand balourd simplet.

Et qu'en serait-il du soyeux de la chevelure d'une femme, un peu aguichante par exemple…?

George le surveille de près. Il l'a pris en affection et lui dicte sa conduite, même s'il l'énerve un peu. Parce que Lennie est un gentil, qui l'écoute et lui obéit. Le problème avec Lennie est qu'il ne connaît pas sa force. George sait surtout que Lennie ne mériterait de toute façon pas la sanction d'une de ses bêtises.

Les souris sont à la fois malicieuses et agaçantes, mais si attendrissantes. Les hommes quant à eux … on ne connaît que trop leurs vices. C'est pour cela qu'il faut protéger Lennie.

Magnifique roman, très court, de Steinbeck dont le titre est si bien choisi.