C'est bien vrai qu'il est difficile de le lâcher ce livre.
Il s'est accroché à mon souvenir chaque fois que je l'ai posé. Gus, son héros,
m'attendait sur la table du salon, du bureau, m'appelait dès que distrait de sa
vie par la mienne. Ne me délaisse pas au hasard de tes occupations. Laisse-moi
te raconter la suite. Je n'ai personne à qui parler. Autant que ce soit toi. Tu
ne sais pas encore pourquoi.Pourquoi quoi ?
Pourquoi, la solitude ! Celle qui me colle à la peau, comme seul le destin sait
la façonner. Gluante et opiniâtre. Son matériau c'est la rancoeur. La rancoeur d'une enfance sans caresse, sans sourire, sans consolation, depuis
que la mémé est partie. Une enfance coincée entre des parents qui ne se
rencontraient que dans la sauvagerie des pulsions du père. Ça lui a coûté la
vie au père, d'ailleurs. Embroché à la fourche, en plein rut. Appelons les
choses par leur nom. Ce n'était rien d'autre.
A la solitude au milieu des adultes a succédé la solitude tout court. Cette
mutation a d'abord été la bienvenue dans ce paysage de ressentiments. Puis à la
longue, Gus a bien tenté de s'en distraire. Il s'est entiché d'Anna, la fille
de la ferme d'à côté. Mais il n'a reçu que mépris pour toute réponse de sa
convoitise. Alors il est resté chez lui et l'amour, il l'a trouvé ailleurs.
Dans le regard de Mars, son chien. Il s'en est satisfait. Car Gus, c'est tout
sauf un tordu. Il aurait pourtant pu le devenir, avec l'enfance sans amour qu'a
été la sienne. Il est seulement désenchanté.
Et passent les jours dans la rude campagne cévenole. Quand de rares visiteurs
s'aventurent vers sa ferme, aux Doges, en quête de son suffrage, fussent-ils
banquier, acheteur de ses terres ou évangéliste, c'est peine perdue s'ils lui
parlent d'avenir.
Lorsque Abel, le voisin, un solitaire lui aussi, s'est manifesté pour nouer des
relations d'entre-aide, soi-disant, Gus y est allé sur la pointe des pieds,
incrédule et maladroit, mais armé de prudence. Il est bizarre ce vieux.
Cet ouvrage n'est pas un roman du terroir. Son credo n'est pas celui de la
nostalgie du bon vieux temps, tableau noir et encre violette. Il ne s'alanguit
pas de la patine qui adoucit les meubles au toucher, les gens au caractère. Ce
n'est pas non plus un roman à suspense. Il ne dévoile pas à la dernière page la
solution de l'énigme qu'il a soulevée à la première. Son intérêt n'est pas dans
son mystère. Son intérêt, c'est le bouillonnement qui perturbe le coeur de Gus.
Car il a un coeur cet ours.
Je me suis plu à relire les citations que les uns et les autres avaient
publiées sur Babelio. Je me suis confirmé dans le fait que cette écriture sans
artifice est de celle qui parle au coeur, sans en avoir l'air. Car des phrases
joliment tournées, il y en a. Elles ont retenu l'attention de nombre de
lecteurs.
Grossir
le ciel est un ouvrage prenant. Il dépeint des personnages épineux,
plus vrais que nature. Des caractères forgés par l'aridité du pays. Il instaure
un climat énigmatique autour d'un personnage attachant. On devient méfiant avec
lui. On craint le tournant de chaque page. Il faut dire que la vie ne lui a pas
fait de cadeau.
Et puis, qu'est ce que ça veut dire ce titre un peu curieux, Grossir le
ciel ? Espoir ou désespoir ?
Faites-vous votre propre idée, vous ne serez pas déçu.