S'il on en croit Salman Rushdie dans le grand entretien du
dernier numéro du Magazine littéraire, il est "difficile d'écrire un livre
qui dure dans un monde qui change".
Qui contesterait que les livres de Jane Austen aient franchi les siècles et que
le monde ait pu changer depuis leur première parution ?
Force serait donc de conclure à la prééminence du grand talent de cette auteure
pour perdurer au travers de ses écrits. N'est-ce pas le rêve inavoué de tout
écrivain que de survivre à soi-même en ayant l'audace d'imaginer ses propres
lignes courir sous les yeux des générations futures ?
Pour ce qui est des romans de Jane Austen, ce n'est pourtant ni les intrigues
qui les échafaudent ni le modèle de société dans lequel elles se développent
qui les distinguent à mes yeux. L'intrigue, se résumerait-elle toujours à la
même question qui appellerait toujours la même réponse quand deux cœurs
cherchent leur connivence ? Quant au modèle de société, celui qui hiérarchise
les personnes du seul fait de leur naissance, il a bien fait de disparaître. Au
diable "ceux qui comptent", ceux qui ordonnancent la "bonne
société", ceux qui savent "tenir leur rang" contre vent et
marées et à l'écart les autres, "de plus basse extraction",
"sans patronyme prestigieux". Au diable la "respectabilité"
quand elle est due au seul fait de la "condition", au seul fait
d'être "bien né".
Et pourtant avec de tels handicaps dans ses ouvrages, Jane Austen a su faire de
moi, autodidacte à la maigre culture, en ce 21ème siècle ultra connecté, un
récidiviste parmi ses innombrables lecteurs depuis son lointain 18ème siècle.
Je viens de terminer mon 3ème ouvrage de sa main, Persuasion, son dernier
roman, dont on dit qu'il serait le plus abouti.
Outre l'intérêt historique de ces œuvres avec leur représentation de la
société anglaise du 18ème siècle, c'est à n'en pas douter la qualité de la
langue qui m'a fait revenir vers Jane Austen après Orgueil et préjugés puis
Northanger Abbey. Comme un retour aux sources de la bonne formulation, de la
signification originelle des mots, du savoir dire des sentiments.
Je conçois fort bien revenir de temps à autre vers cette écriture si parfaite,
en alternance avec une écriture plus moderne dans laquelle je trouve aussi mon
contentement.
Lire, encore et toujours, et puis Jane Austen parfois, pour le plaisir de la
langue.