Voilà une biographie qui n'est pas seulement une
énumération de faits chronologiques entre la naissance et la mort de son sujet.
J'ai été passionné tant par la personnalité de Malraux que
par la façon qu'a eue Sophie
Doudet de me faire faire connaissance avec lui. Elle s'est livrée à
une analyse psychologique périlleuse du personnage, très réussie à mon goût,
pour un homme qui écrasait son entourage, sans aucun mépris, de sa formidable
culture, toutes disciplines confondues.
De Malraux j'avais
gardé en mémoire quelques souvenirs inconsistants. Ce n'était pour moi qu'un
ministre de de Gaulle. Mon esprit avait aussi curieusement imprimé ce célèbre
"entre ici Jean
Moulin", extrait du discours théâtral, grandiloquent, vibrant, que
j'avais entendu incidemment, prononcé à l'occasion de l'accueil de la dépouille
de l'héroïque résistant au Panthéon. J'étais bien entendu passé à côté de
l'essentiel. Sophie
Doudet me l'a fait percevoir avec grand talent.
Avec son ouvrage, j'ai fait la connaissance d'un personnage inclassable, si ce
n'est comme porte étendard de la culture dans ce qu'elle a d'universel. Il est
difficile d'évoquer le personnage sans paraphraser l'auteure, aussi ne le
ferai-je pas plus, mais il est des personnes dont on se demande comment elles
ont pu faire autant de choses majeures dans une seule vie. Malraux est
désormais de ceux-là à mes yeux.
De passage à Sarlat-la-Canéda durant ce mois de septembre, j'ai été content d'y
trouver, à peine cet ouvrage refermé, une plaque saluant le résistant, l'auteur
de la loi sur la restauration des villes historiques. Un clin d'œil dans la
vie, s'additionnant à d'autres en strates cumulatives, pour sédimenter ce
que Malraux a
passé sa vie à promouvoir en tant qu'instigateur des maisons de la culture.
Mais s'il ne fallait retenir qu'une leçon de ce personnage, ce serait pour moi
son rapport à l'art. Cet "aristocrate de la pensée et de l'action"
n'avait ni dieu, ni maître, sauf peut-être l'art. Il retrouvait chaque œuvre
d'art "un fragment de la noblesse du monde". Lui qui avait franchi la
frontière de la légalité, en tentant de s'approprier de statuettes de l'art
khmer, voyait dans les œuvres d'art la signification du geste créateur. Ce
personnage si complexe, si haut, parfois empêtré dans ses contradictions
lorsque livré à l'exercice du pouvoir, avait identifié dans l'art quelque chose
de plus fort que la vie, qui restait pour lui la seule survivance possible
alors que rien ne résiste à l'oubli.
"L'art est un anti destin"