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Ouvrages par genre
vendredi 22 janvier 2021
1984 ~~~~ George Orwell
lundi 18 janvier 2021
Mes vies secrètes ~~~~ Dominique Bona
Le roman, univers de l'imagination sans frontière, du rêve, de la chimère, genre majeur de la littérature quand la biographie doit se cantonner à la vérité, si ce n'est à l'exactitude. Quelle grandeur dans la restitution d'un parcours de vie, semble l'interroger François Nourissier ?
C'est à cette question que Dominique Bona tente de répondre dans ce très bel ouvrage : Mes vies secrètes. Une partie de la réponse est selon elle dans le choix des personnages qu'elle a fait pour en dresser la biographie. Car, nous fait-elle comprendre, il en est dont la vie est un véritable roman tant la réalité de ce monde semblait ne pas s'imposer à eux. Qu'ils aient été acteurs ou victimes de cette réalité, ils rayonnaient par leur talent à contrer la fatalité ou à composer avec elle. Laissant derrière eux l'illusion d'avoir leurré "les forces de la nuit."
Mes vies Secrètes c'est tout sauf une justification, c'est une biographie des biographies, une biographie de la séduction pour un personnage qui a présidé à chacune de ses entreprises. Avec à chaque fois, selon Dominique Bona, l'espoir d'identifier les ressorts qui ont animé la personne choisie pour qu'il devienne aux yeux du monde un personnage. L'espoir de détecter "ce qui est mystérieux dans une existence, ce qui est en dehors des champs du raisonnement, de la logique." Si "le roman cultive le mentir-vrai … la biographie ne peut pas mentir. Elle repose tout entière sur le vrai ou tente de s'en approcher … ce vrai est le diamant brut du genre, son trésor, son orgueil."
Rédiger une biographie s'apparente à l'art de la sculpture qui à partir du monolithe brut le débarrasse de ses scories, dégrossit, arrache les éclats, affine, polit les formes pour finalement offrir à la lumière les traits du personnage qui se cache au creux du bloc, et restituer ce que le temps à tendance à enrober de la gangue de l'oubli. Sachant bien qu'aussi figurative soit l'œuvre, le sujet conservera toujours cette part d'ombre que chacun emporte avec lui dans l'au-delà.
Si j'en juge par la qualité de cet ouvrage intimiste de Dominique Bona, j'augure que les biographies de son cru, qu'il m'engage à découvrir, savent restituer plus que l'apparence des sujets qu'elle a choisis pour en dresser le portrait. J'augure qu'à l'instar des œuvres d'une Camille Claudel - laquelle a fait partie de ses sujets, les biographies de Dominique Bona, plus que restituer le portrait de ses modèles, savent suggérer au lecteur une part de ce mystère qui habite tout un chacun, un mystère d'autant plus ensorcelant que le personnage a fait lui-même de sa vie une œuvre.
Mais au final, s'intéresser à la vie des autres n'est-ce pas se chercher soi-même dans le miroir de leur destinée ?
Jardins secrets de Lisbonne ~~~~~ Manuela Gonzaga
Cette pérégrination dans la Lisbonne des initiés est organisée en neuf chapitres titrés jardins secrets et numérotés. A la lecture des deux premiers, j'en étais à me demander si je n'allais pas faire valoir mon droit de retrait. En le refermant, je déclare cet ouvrage en coup de coeur de cette année. Je n'en reviens pas moi-même.
Pareille construction est à l'évidence délibérée de la part de l'auteur. Une
façon de mettre son lecteur à l'épreuve, de tester sa capacité à aborder un
développement empreint de psychologie humaine. Un ouvrage qui enfièvre les
sentiments aux antipodes de la frivolité. Des sentiments exacerbés par l'attente
anxieuse d'un dénouement triomphal. Des sentiments qui commandent à la raison,
échappent à la condition terrestre de qui les éprouve.
Entrer dans pareil ouvrage n'est pas de première évidence. Il faut dire que
pour faire connaissance avec ses personnages, Manuela Gonsaga ne ménage pas son
lecteur. Elle ne fait pas les présentations. Qui sont ces "je",
'il" ou "elle" qui font mystère de leur personnalité. Il faut
traverser les premiers jardins secrets, l'esprit sur le qui-vive, pour se
familiariser avec ceux dont on découvre la complexion par petites touches. Mais
lorsque l'on a été admis dans l'intimité des caractères, qu'on est devenu un
familier d'Alice,
d'Amalia, de Brigite ou encore de Jorge, le
séducteur malgré lui, on se trouve compromis dans des intrigues amoureuses qui
exaltent le noble sentiment. Pour une plus grande désillusion ? L'Amour
majuscule serait-il inaccessible à la pauvre nature humaine ? Inaccessible au
coeur assoiffé de plénitude de la femme en butte à l'autre, homme ou femme,
quand il est lâche, arrogant ou dédaigneux.
"Fuis le serpent, mais garde sa semence". C'est ce que retient Alice de
l'amour qu'elle voue à Jorge. Un être
dont la nature est toute de répulsion mais dont l'absence lui est
insupportable. Alice ne
comprend pas elle-même cette force qui la dirige vers Jorge, un homme
qui n'a pourtant rien pour plaire : banal d'apparence, alcoolique, brutal en
parole, mais toutefois jamais en acte, qui en outre est marié. Un homme sans
attrait et pourtant indispensable. Un génie de la séduction qui parvient à
l'entraîner dans tout ce qui peut terrifier une femme : les toiles d'araignée
dans les cheveux, les rats entre les pieds dans les souterrains de Lisbonne,
comme dans les dédales de l'âme humaine, entre attirance et répulsion. Les confins
de la folie. Incompréhensible penchant. Il le déclare lui-même : "Alice, qu'est-ce
que tu fais avec moi ? Je ne fais de bien à personne. Je n'apporte de bonheur à
personne. de moi tu n'obtiendras rien de bon." C'est le mystère, le grand
paradoxe de l'amour. Celui qui fait fi de l'apparence, du comportement et
pourtant crée entre deux êtres une attraction souveraine. Amour divin et nocif
à la fois.
Amalia connaît aussi son déboire sentimental. Amalia est d'une beauté rare.
Elle reste pourtant dans l'attente inassouvie d'un geste, d'un simple mot,
puisque de déclaration il ne peut être question, de la part de celui qu'elle
aime. Pourtant elle s'est dénudée devant lui. Il a fait des photos d'elle. Des
photos qui ne témoigneront cependant pas de la sensualité qui brûle son corps,
ardent du désir de voir une main se poser sur sa peau. Meurtrie d'indifférence,
Amalia laissera Brigite, la mère maquerelle qui a pour Amalia une attention
toute maternelle, vendre sa virginité au plus offrant et faire commerce de son
corps avec la même indifférence que celle qui avait été la seule réponse à son
attente fébrile.
Là encore, le théâtre de ces mélodrames est autant personnage du roman que
celles et ceux dont le coeur palpite sous les coups de boutoir de l'amour. Un
ouvrage qui m'a fait regretter de ne pas connaître Lisbonne. La langue aussi.
J'ai dû avoir recours à une portugaise de naissance pour me faire traduire un
terme auquel notre langue n'offre pas d'équivalent. Un terme essentiel pour
traduire le sentiment complexe qui anime ces femmes en proie au désarroi du
coeur. Ce terme c'est la "saudade". Il pourrait être un autre titre à
cet ouvrage pour exprimer cette oppression faite de mélancolie, de nostalgie en
même temps que d'espoir.
Un coup de coeur qui au point final vous fait revenir vers le début de
l'ouvrage, revisiter les premiers jardins
secrets de Lisbonne avec un regard averti. Encore plus curieux. Encore
plus avide de s'imprégner de la "saudade" qui répand son voile sur le
coeur d'Alice et
d'Amalia.
"Fuis le serpent, mais garde sa semence". Beau, beau, bel
ouvrage que les Jardins
secrets de Lisbonne. Vraie performance d'auteur à mon goût.
Je remercie Babelio et les éditions le poisson volant de m'avoir gratifié de
pareil moment de lecture.
jeudi 14 janvier 2021
L'adversaire ~~~~ Emmanuel Carrère
Ma chérie, mes chers enfants, il faut que je vous parle.
Depuis que vous êtes entrés dans ma vie, je n'ai cessé de vous mentir. Je ne
suis pas médecin, je ne travaille pas à l'OMS, je ne travaille pas du tout
d'ailleurs. L'argent qui fait vivre notre belle famille harmonieuse depuis
toutes ces années est le fruit d'escroqueries. A commencer par celle des
membres de nos familles. J'ai une maîtresse que je retrouve dans un palace parisien
et à qui je fais de beaux cadeaux.
Si je vous dis tout ça aujourd'hui, c'est que je suis parvenu au bout des
ressources financières que j'ai extorquées à gauche et à droite et que mes
impostures vont éclater au grand jour. Notre famille va être éclaboussée,
couverte d'opprobre. Pour ne pas vous faire supporter toute cette honte, compte
tenu de l'amour sincère que je vous porte, je ne vois qu'une solution qui est
de disparaître définitivement. Je vais donc vous tuer et me suicider par la
suite.
C'est le raisonnement que s'est fait en lui-même Jean-Claude Romand. Et qu'il a
mis à exécution. La seule chose qui varie avec ce qui précède, c'est bien sûr
qu'il n'a prévenu personne de l'impasse dans laquelle il était parvenu et a mis
son plan à exécution. Il a tué sa femme avec un rouleau à pâtisserie, ses
enfants avec une carabine. Et pour concerner la totalité des personnes qui
seraient susceptibles de souffrir de ses ignominies, il a tué son père et sa
mère avec la même froideur calculée. Tout ceci dans le but charitable de leur
épargner le déshonneur, cela va sans dire.
Ces faits, qu'on a du mal à qualifier de divers, se sont réellement déroulés
dans les premiers jours de janvier 1993. On en découvre le détail dans ce livre
qu'Emmanuel
Carrère a consacré à l'affaire sous le titre de L'Adversaire.
Il a écrit cet ouvrage en accord avec l'intéressé et enquête auprès des
personnes ayant gravité autour de cette famille dont le malheur aura été d'être
celle d'un homme qui toute sa vie n'aura fait que mentir. A lui-même et aux
autres.
On pourrait s'étonner du titre appliqué par Emmanuel Carrère à
son Ouvrage et penser qu'il est un vocable propre à glorifier l'auteur de la
tuerie en accordant du crédit à son raisonnement. L'Adversaire plutôt
que le monstre ou l'assassin, lesquels auraient condamné sans jugement l'auteur
de l'abomination et sans doute aussi la parution de l'ouvrage. Il justifie
l'intitulé de l'ouvrage en ces termes :" le père avait été abattu dans le
dos, la mère en pleine poitrine. Elle à coup sûr et peut-être les deux avaient
su qu'ils mouraient par la main de leur fils, en sorte qu'au même instant ils
avaient vu leur mort … et l'anéantissement de tout ce qui avait donné sens,
joie et dignité à leur vie… Cette vision qui aurait dû avoir pour les vieux
Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et
du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, prenant les
traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan,
c'est-à-dire l'Adversaire."
A la date où je lis cet ouvrage, Jean-Claude Romand a purgé la peine qui lui a
été infligée en conclusion de son procès. Procès au cours duquel l'avocat
général n'a pas manqué de souligner que le suicide organisé par Romand n'avait
été que simulacre. Si bien qu'à 66 ans un homme qu'il faut qualifier d'autre
homme recouvre la liberté. La perpétuité s'est resserrée sur 26 années de
détention. Conserve-t-il le livre d'Emmanuel Carrère à
portée de main pour en relire quelques séquences à l'occasion et se rappeler
cet autre homme qui a commis le pire.
Exercice périlleux auquel s'est livré Emmanuel Carrère qui
a eu des fortunes diverses avec le mystique et qui sur un fait divers
particulièrement atroce s'interroge sur la responsabilité de la personne au
regard d'un chemin tracé – d'avance ? - par une puissance souveraine obscure.
La position du narrateur a longtemps posé problème dans l'esprit de l'auteur et
retardé la finalisation de l'ouvrage. C'est ainsi que Jean-Claude Romand qui
selon ce qu'on apprend s'est prêté à l'entretien avec l'auteur n'intervient
jamais à la première personne dans l'ouvrage. La relation des faits n'apparaît
donc pas sous le sceau de la confidence, mais plutôt comme le résultat d'un
enquête minutieuse et compte rendu d'un procès au cours duquel le tueur n'a pas
persisté longtemps dans sa version initilale d'un mystérieux criminel étranger
à la famille.
Récit plus que roman donc pour cet ouvrage dans lequel on retrouve l'écriture précise
et efficace d'un auteur qui a de l'éclectisme dans son répertoire et de
l'affinité avec le vécu pour en décrypter la psychologie. Il ne s'agit pas pour
le coup d'uchronie. Emmanuel Carrère a
certainement été intrigué par le mécanisme qui chemin faisant dans la vie d'un
homme tisse inéluctablement le canevas d'un drame particulièrement horrible. Au
fur et mesure que l'homme s'enferre dans le mensonge jusqu'à être acculé et ne
concevoir que le pire pour issue. En toute logique pour le sain d'esprit qu'il
était.
mardi 12 janvier 2021
Le tatoueur d'Auschwitz ~~~~ Heather Morris
"Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons."
Associons-nous à cette sentence de Paul Eluard et félicitons-nous qu'il y ait encore au 21ème siècle des auteurs qui écrivent sur la déportation. Des auteurs qui captent les derniers témoignages avant que ne s'éteigne leur voix.
Félicitons Heather Morris d'avoir convaincu Lale Sokolov de sortir du silence qui l'avait écrasé durant plusieurs décennies pour publier le tatoueur d'Auschwitz. Pour que l'écho de la voix de ceux qui ont été broyés par la barbarie nazie résonne encore en nos esprits, et raisonne celui qui négligerait la menace. Car la menace existe encore. Elle existera aussi longtemps que l'être capable d'amour le sera autant que de haine.
Une chose est sûre, de tous les ouvrages qui relatent le cauchemar d'Auschwitz, fort peu à ma connaissance font émerger une histoire d'amour de cet océan de violence et de mort. S'agissant de cette page de honte de l'histoire de l'humanité, on ose à peine se réjouir de lire l'histoire de Lale et Gita. Ils se sont connus, aimés à Auschwitz et s'en sont sortis. Mais puisque cette histoire est vraie, on la recevra comme le signe du sort qui sur le cloaque fait prospérer une fleur.
Avec pareil ouvrage, lorsqu'il ne s'inscrit pas dans le genre de la fiction mais du témoignage, on est tenté de lui accorder le plus haut degré de satisfecit littéraire. C'eut été le cas pour ce qui me concerne vis-à-vis de celui-ci si mon élan n'avait pas été quelque peu retenu par le style. Je l'ai trouvé détaché du drame, un peu trop journalistique, amoindri par rapport à la portée dramatique des écrits d'un Primo Levi ou d'un George Semprun. Est-ce parce que de l'abjecte il fait émerger le sublime ? Mais c'est à n'en pas douté dû au fait que le témoignage s'exprime par propos rapportés, par une auteure dont je salue toutefois encore avec conviction et l'initiative et la performance. Celles d'avoir su donné corps à un témoignage nécessaire, comme ils le sont tous sur ce thème des camps de la mort, d'une histoire singulière et finalement belle. L'histoire d'un déporté qui avait la tâche de tatouer les détenus à leur arrivée au camp et qui grâce à sa fonction, son courage est parvenu à en aider beaucoup d'autres au leitmotiv de "qui sauve une vie sauve le monde entier". Mais surtout l'histoire d'un déporté qui a trouvé l'amour à Auschwitz.
Et ce n'est pas déflorer l'épilogue de dire que le mutisme de l'horreur a été entretenu tant que les amoureux d'Auschwitz s'encourageaient mutuellement au silence. Quand l'une est partie avant l'autre, le temps était venu de dire la force de l'amour face à la haine.
lundi 11 janvier 2021
Le vieux qui lisait des romans d'amour
Excellente entrée en matière que
celle de cet ouvrage qui me permet de faire la connaissance de l'auteur chilien
Luis Sepulveda récemment disparu. Cette découverte est d'autant plus singulière
que nous ne sommes pas habitués à applaudir la prose d'un ancien footballeur.
Convenons que la dextérité de la balle au pied va rarement de pair avec celle
de l'écriture.
Il faut dire que Sepulveda a une
expérience de vie riche en péripéties, jusqu'à lui faire connaître les geôles
de Pinochet et l'exil. Les pérégrinations qui ont émaillé cet éloignement de sa
terre natale l'ont conduit dans la forêt amazonienne où il a partagé pendant un
an la vie des amérindiens Shuars, plus connus en nos contrées européennes sous
le vocable de Jivaros. C'est la source de l'inspiration de ce petit ouvrage
dans lequel on découvre en l'auteur un militant de la cause des minorités
ethniques qui ont vu leur terres ancestrales envahies par des colons assoiffés
de richesses. Et le pillage continue au grand mépris de faune et flore locales.
C'est le combat de la sagesse
contre celui de l'avidité que nous propose Luis Sepulveda avec l'aventure dans
laquelle le vieux Antonio José Bolivar se trouve embarqué à contre coeur. Parce
que lui ce qu'il aime c'est les romans d'amour qu'il a découverts depuis qu'il
sait lire. Sans doute ces livres qu'il se fait prêter, lit et relit, sont-ils
pour lui une diversion au mauvais côté de la vie des hommes dont il a le
spectacle pitoyable sous les yeux.
Une forme de conte qui permet à
l'auteur d'aborder un thème qui lui est cher, et à moi de découvrir une belle
écriture. Avec comme souvent derrière un texte qui paraît anodin une réalité
lourde de sens quant à la nature humaine et son avenir.
vendredi 8 janvier 2021
Les trésors de la mer rouge ~~~~ Romain Gary
En 1971, aux lendemains de la
perte de l'Indochine et de l'Algérie, Romain Gary est
le témoin avisé de la fin des empires occidentaux. Dans ce soleil qui descend
sur l'horizon, il voit aussi la fin " de l'égoïsme, du mépris et de la
rapine."
Pour trouver des raisons
d'espérer en l'homme, il est capable d'aller au bout du monde, se confronter à
l'un des climats le plus hostile de la planète : la corne de l'Afrique,
Djibouti, l'Ethiopie, et de l'autre côté du golfe le Yémen. Cette région parmi
plus chaudes du globe, qui a vu naître l'homme selon Yves Coppens, et
où Romain Gary -
en visionnaire ? - y voit "le lieu de la fin de l'histoire."
Il sait que les héros de
l'humanité ne se trouvent pas dans la salons parisiens ni sous le feu des
caméras. Ce sont ceux qui sont capables de faire "la révolution. La vraie.
Pas celle des putes verbales à la Cohn-Bendit". On comprend avec cette
virulence de l'écrit inhabituelle chez Romain Gary, dans ce
recueil de reportages qu'il avait écrits pour le Journal le Monde, que la vraie
révolution selon Gary est celle qui porte haut des valeurs humaines :
abnégation, désintéressement, dévouement au profit de ceux qui ont la vie dure
sur cette terre. Et Dieu sait si sur les rives de la mer rouge la vie est dure
pour ceux qui n'ont pas l'eau au robinet, pour qui la terre est avare de ses
bienfaits et les médecins loin d'un soleil accablant.
Les
trésors de la mer rouge sont pour lui immatériels. Il nous le dit
lui-même. Ils sont à trouver dans l'action de ceux qui ont cru naïvement au
rôle généreux qu'aurait pu être celui d'une civilisation qui s'ouvre aux
autres. Leur apportant ce qui a fait sa grandeur plutôt que la laideur de
l'appropriation. Tel cet infirmier qui soulage les populations indigènes de la
douleur et de la faim sans autre contrepartie que de les voir repartir sur
leurs deux jambes, l'estomac amadoué pour un temps. Et de façon plus symbolique
ces yeux d'enfant qui lui ont dit la richesse d'une culture ancestrale dans
leur vérité sans fard.
Une écriture toujours aussi
imaginative, haute en couleur, au service d'un idéal qui coure le monde pour
croire encore en l'homme, quand tant de pérégrinations en société lui en ont
montré le mauvais visage.
jeudi 7 janvier 2021
La ferme des animaux ~~~~ George Orwell
On ne s'étonnera pas, sous la plume d'un auteur de sa gracieuse majesté, de voir le dictateur de la ferme des animaux affublé du nom de Napoléon. Pas plus qu'on ne sera surpris de le savoir dépeint sous les traits d'un cochon.
En tout homme sommeille un cochon, se plaisent à dire celles qui ont été
épargnées de l'attribut du genre. George Orwell nous
prouve que la réciproque se confirme. L'espèce porcine, aussitôt aux commandes
de la société des animaux, s'empresse de chausser les bottes des
"Deuxpattes" avec tout ce que le travestissement peut comporter de
blâmable. Ce qui avait été vendu par le discours comme modèle de société
animale, antithèse de société humaine, tombe très vite dans les travers de
cette dernière dès que l'intelligence y fait des progrès.
Car derrière l'intelligence, l'ego est en embuscade. Avec son cortège de vices
qui ramènent tout à lui : orgueil, cupidité, paresse, égoïsme et consorts. Et
notre Napoléon devenu roi de la ferme
des animaux de faire sien le proverbe selon lequel on n'engraisse pas
un cochon à l'eau claire, transgressant sans plus de formalités, et à son
bénéfice il va de soi, les sept commandements qui devaient faire de la société
animale un exemple de société altruiste, pour en faire une société bien
humaine. Cochon qui s'en dédit.
C'est ainsi que sous la férule porcine, George Orwell nous
décrit le processus qui fait glisser le rêve de démocratie vers le cauchemar de
l'autocratie. Discours flatteur, manipulation, boucs émissaires, lavage de
cerveau, justice partiale et expéditive sont au menu pour que notre cochon de
Napoléon, ayant pris soin de s'entourer d'un ministre de la propagande, au nom
bien calibré de Brille-Babil, et de mâchoires vindicatives, règne en maître
absolu sur la ferme
des animaux. Et du bien à autrui se satisfera du bien aux truies quand
elles feront son plaisir.
On ne s'y trompera pas, ce qui se présente à nous sous une forme d'un conte
pour enfants a une réelle portée philosophique. Tant que la société sera faite
d'une réunion d'egos les commandements philanthropiques supposés la régir dans
le discours flatteur seront tôt remplacés par le seul et unique qui prévaudra jusqu'à
la fin des temps : tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux
que d'autres. Cela vaut naturellement pour le plus animal de tous qu'on aura
reconnu sous les traits du cochon qui sommeille en lui. On ne refait pas le
monde.
mardi 5 janvier 2021
Les vivants au prix des morts
Il y a chez René Frégni une
néfaste dichotomie, véritable écartèlement entre deux mondes qu'il voudrait
pourtant bien concilier. Deux mondes aux antipodes l'un de l'autre : le monde
de la violence et celui de la poésie. Pas forcément la poésie des grands du
genre, celle dont le rythme imprimé aux vers nous fredonne une mélodie à
l'oreille. Mais une poésie de mots sans autre ambition que de dire le bonheur
de vivre, de s'éblouir d'un soleil radieux, s'emplir les poumons de la senteur
de la garrigue, se réjouir du chant de oiseaux.
Ce combat, il y a quelques années
de cela il se refusait à le savoir perdu. Il espérait toujours. Au point
d'animer durant quelques années des ateliers d'écriture dans ces lieux de
concentré de violence que sont les prisons. Fol espoir de ramener des égarés
dans la voie de la bienveillance par la lecture, l'écriture. Par la magie des
mots à qui l'on ferait dire en les libérant au bout de sa plume ce qui n'a pas
pu franchir les lèvres. Ce qui n'a pas vu le jour faute d'avoir rencontré
d'oreille compatissante.
Kader avait participé à ces ateliers d'écriture à la prison des Beaumettes à
Marseille. C'est là qu'il a fait la connaissance de René. Lorsqu'il s'évade, il
le contacte pour trouver refuge, le temps d'organiser sa disparition. René
mesure la gravité de ce qu'il fait, pourtant il n'hésite pas. Il lui prête son
appartement. Lui a trouvé un nid douillet chez la charmante Isabelle,
institutrice à l'école des tout petits.
Mais un truand en cavale, c'est
difficile à gérer. Il a la police aux trousses, mais pas seulement. Il y a
aussi les rivaux. Et ceux-là ne connaissent que la loi de la violence. Quand
René réalise cette évidence, il prend peur. Pour lui, mais aussi pour la
charmante Isabelle qui est tellement loin de tout ça. Son bonheur est en
danger. Il n'en dort plus.
C'est véritablement un ouvrage
entre ces deux mondes, en parfaite opposition, les maux contre les mots, ou
l'inverse, que nous délivre René Frégni, au
point que sa force poétique s'en trouve altérée. Son aptitude à la
contemplation dont il sait si bien nous faire profiter et mettre nos sens en
éveil laisse très vite place à cette réalité envahissante du tumulte de la vie
des hommes. Enfant des quartiers, de la rue, comme il se plaît à le rappeler,
il a une indulgence particulière pour ceux qui n'ont pas eu comme lui
l'opportunité de trouver le moyen d'exprimer leur ressenti profond par les
mots. Broyés qu'ils ont été par une société corrompue et ceux qui la régissent,
auxquels il attribue l'origine de tous les maux.
Mais que faire de ceux qui volent
et tuent des innocents pour exprimer leur mal-être s'il ne faut pas les écarter
de la société. René
Frégni ne donne pas la solution. C'est le contre poids de son utopie
humaniste à laquelle on ne peut qu'adhérer lorsqu'il clame de se satisfaire de
la liberté dans les collines de Provence ou de la chaleur du coeur d'Isabelle.
lundi 4 janvier 2021
Tristesse et beauté ~~~~ Yasunari Kawabata
Oki Toshio, romancier japonais à succès, père de famille, a
vécu une histoire d'amour adultère avec Otoko, une adolescente de quinze ans sa
cadette. L'enfant né de cette union est mort dans les premiers jours de sa vie.
La mère d'Otoko a décidé d'éloigner sa fille de cet amour impossible.
Vingt-quatre ans plus tard, Oki apprend qu'Otoko est devenue
une artiste peintre reconnue. Il décide de la revoir. Restée célibataire Otoko
vit avec Keiko, une jeune fille qu'elle a prise comme élève. Elles
entretiennent une histoire sentimentale ambigüe.
Keiko apprend le passé douloureux de celle qui est devenue
son maître dans l'art de la peinture. Jalouse, elle craint, à la réapparition
de Oki, de se voir dépossédée de l'exclusivité de l'attention de sa
professeure. Elle s'investit alors à la mission de venger rétrospectivement le
chagrin que cette dernière a pu endurer à la perte de son amant et de leur
enfant.
Dans une ambiance toujours très équivoque, les personnages
oscillent entre relation physique et spirituelle. Esthétique de l'art à la
japonaise entre le figuratif et l'abstrait. Les mentalités progressent sur le
chemin de la perdition consciente, mues par leurs pulsions sensuelles. de la
contemplation à la vengeance les armes s'affutent. La jeune Keiko échafaude son
plan, faisant preuve d'un machiavélisme juvénile mais déterminé.
Un roman assez troublant, bien nommé, entre Tristesse et
beauté.