Paris, « la ville la mieux faite pour permettre à un
écrivain d’écrire ». Voilà une belle déclaration d’amour adressée à notre
capitale de la part d’un écrivain version Oncle Sam. Déclaration qu’on peut
lire dans les pages de Paris est une fête. Si celle-ci est inscrite
littéralement dans l’ouvrage, il en est une autre de déclaration d’amour, qu’il
faut lire entre les lignes de cet ouvrage ou presque celle-là, c’est celle
qu’il adresse à sa première femme, Hadley Richardson, avec qui il a vécu ces
années parisiennes au lendemain de la première guerre mondiale. Merci monsieur
le prix Nobel de littérature 1954 de faire de notre capitale le lieu souverain
de votre inspiration dans votre carrière littéraire en devenir. Merci de rendre
hommage à la mère de votre premier fils que vous n’avez gratifiée que de cinq
années de vos empressements amoureux. (1922-1927)
Hemingway n’a encore rien publié lorsqu’il met en sommeil
sa carrière journalistique et les revenus associés et s’apprête à faire vivre à
sa petite famille des années de vache maigre sans savoir ce qu’il adviendra de
ses heures passées à la table des bistrots parisiens à coucher sur le papier le
fruit de son inspiration.
Paris est une fête tel qu’il est édité en 1964 n’est de
toute façon pas l’ouvrage qu’aurait fait paraître Hemingway. Il a été constitué
par ses héritiers, à titre posthume, de chapitres retrouvés dans la succession
de l’auteur nobelisé. Avec des avant-propos, introduction et note de fin
justifiant les choix opérés par eux pour sélectionner les chapitres dignes d’y
figurer et les ordonnancer dans un ouvrage présenté aux admirateurs de
l’écrivain globe-trotter et risque-tout.
Aux yeux de ces inconditionnels l’ouvrage sera évidemment
précieux tant il est intimiste, se vantant pourtant d’être « une œuvre
d’imagination », priant son épouse du moment de comprendre la tournure
qu’il a voulu donner à un ouvrage dont « elle en est l’héroïne, et seule
personne en dehors de quelques riches dont la vie a bien tourné et comme il
convenait. » Œuvre d’imagination qu’il est pourtant admis de prendre comme
un récit auto biographique tant il est descriptif de la vie du jeune couple en
proie aux privations, mais avides de rencontres en personnalités déjà reconnues
du monde culturel installé : Francis Scott Fitzgerald, Gertrude Stein,
Ezra Pound et James Joyce. Un couple qui dans la fougue de sa jeunesse ne veut
voir en ce talent tout neuf se jetant à corps perdu dans l’écriture que les
promesses d’un avenir florissant.
Mais à moi cet ouvrage ne fut pas une fête. Faut-il être
un familier du solitaire inspiré pour apprécier cette juxtaposition de scènes
de vie sans autre fil rouge que la consommation d’alcool qui imbibe chaque
chapitre ? Ces textes sont certes révélateurs d’un personnage qui ne
laisse personne gouverner sa vie, mais il y a dans son style la forme de
suffisance quelque peu indigeste de celui qui est convaincu de son talent avant
même que ne résonnent les trompettes de la renommée. Rappelons qu’il n’a que
vingt-cinq ans lorsqu’il rédige ses brouillons. Mais sans doute devons-nous
mettre cela sur le compte du caractère inabouti des brouillons sauvés in
extremis de la disparition et publiés en l’état. Le fait est que cette écriture
me fut très moyennement agréable à lire. Ce n’est qu’un ressenti personnel.
Paru en version originale sous le titre « A Moveable
Feast », cette fête mobile a trouvé son point d’accroche en cette ville
qui séduisit l’aventurier insatiable au point d’y fixer les années de son
premier mariage. Première union de quatre pour laquelle je recommande l’ouvrage
de Paula Mc Lain, Madame Hemingway, qui relate sous le titre Madame Hemingway cette
liaison trop vite rompue. Paula Mc Lain récidiva avec le même bonheur
d’écriture au profit de la troisième épouse, Martha Gellhorn, sous le titre La troisième Hemingway. L’écriture y est remarquable et le point de vue féminin face
au monstre d’individualisme que fut notre nobelisé est une autre approche du
personnage forcément différente de celle que peut laisser percevoir ce mari si
sûr de lui.