J'ai la certitude que, dans le même temps où je poste sur
Babelio ces petites phrases qui ne feront jamais de moi un candidat à
l'édition, Pierre
Lemaître est à sa table de travail pour nous concocter la suite de cet
ouvrage que j'ai absorbé goulument. À sa table de travail, du côté de ce
Fontvieille où ne tourne plus beaucoup les ailes de moulin mais où je suis
obligé de croire que descend encore de l'azur limpide l'onde pure qui a inspiré
un autre conteur. Celui-là même qui nous fit entendre la plainte d'une chèvre
guettée par le loup.
Dans leur naïve croyance en une justice en ce bas monde, ceux qui ont lu le grand
monde se disent qu'on ne peut en rester là. Ce n'est pas possible. On
ne peut pas jeter aux oubliettes la mémoire de ceux, et surtout celles, qui
l'ont été physiquement. Pierre Lemaitre ne
va tout de même pas les renvoyer à une justice divine dont on ne connaît les
rigueurs que de propos imaginés par des prêcheurs en mitre et chasuble. Il y
aura donc une suite au Grand monde.
Car monsieur Lemaitre sait
mieux que quiconque que l'humaine nature qui a fomenté tant de guerres, tant de
subterfuges pour nourrir sa cupidité va lui donner du grain à moudre pour faire
languir des lecteurs naïfs à quémander amour et justice. Pour qu'enfin
l'honneur de la créature se glorifiant immodestement d'intelligence soit sauf,
avant que de se présenter devant Celui qui l'a créée. Si l'on en croit le
scénario imaginé par une croyance laquelle veut battre en brèche les tenants de
la raison.
Auteur n'a jamais si bien porté son nom. Est-ce par malice de la généalogie
que Lemaitre s'écrit
en un seul mot et escamote l'accent circonflexe. Car il pourrait bien se dire
le maître de l'intrigue, du romanesque ce monsieur. Utiliserait-il un
pseudonyme qu'il pourrait reproduire la supercherie mise en oeuvre par un
ancien qui avait la vie devant soi pour leurrer l'Académie. Car nous le savons
tous, le Goncourt c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. La
gageure étant de vivre après. Et vivre pour un écrivain, c'est écrire. C'est
être lu. C'est être à la hauteur de l'attente suscitée par la consécration.
Aussi disons-le tout net, pour nous adresser des fictions qui s'insèrent si
bien dans les replis de l'histoire sans que des coïncidences assassines
viennent raccrocher les faits les uns aux autres, en tirant à rebours les fils
de l'écheveau pour nous ramener en ce lendemain de la grande boucherie où la
valse des masques tentait de dissimuler la monstruosité de ceux qui avaient
perdu figure humaine, pour nous adresser des fictions qui glissent si bien sous
nos yeux écarquillés et s'insinuent dans nos esprits à leur faire oublier le
quotidien morose, pour tout cela, pour nous ses lecteurs anxieux d'une suite,
sans doute aussi dépourvue de vertu que la nature humaine est bouffie de
suffisance, Lemaitre pourrait
s'écrire le maître.
Et me voilà donc piégé à guetter la suite. Ça s'appelle le talent ou je n'y
connais rien.
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Ouvrages par genre
vendredi 12 août 2022
Le grand monde ~~~~ Pierre Lemaitre
samedi 6 août 2022
Le printemps des maudits ~~~~ Jean Contrucci
🌕 🌕 🌕 🌕 🌚
Le pari était hasardeux : plaquer une histoire d'amour sur cette page peu glorieuse de l'histoire de l'église catholique. D'autant que cette histoire sentimentale est cousue de fil blanc. le lecteur ne se fera pas vraiment d'inquiétude quant au sort des tourtereaux, même si le contexte général de dans lequel elle se déroule est particulièrement dramatique.
Ce contexte général, c'est la triste épopée vaudoise en Luberon. C'est le sort
réservé par l'église romaine aux héritiers des disciples de l'église de Pierre
Valdo, lequel avait fondé l'église des Pauvres de Lyon au 13ème siècle. Avant
de se rapprocher de l'église réformée de Luther, ces disciples avaient eu le
tort de vouloir lire la bible en leur langue vernaculaire. Il avait en effet
fait traduire la bible latine en français de l'époque pour que le plus humble y
ait accès.
Oui mais voilà, avoir accès à la bible c'était aussi y lire les vraies paroles
du Christ et mesurer de cette façon l'écart considérable qui séparait le
comportement de la curie romaine avec les évangiles. De sincères chrétiens les
Vaudois sont donc devenus des hérétiques, avec le sort que leur réservait la
toute puissante église officielle : le bûcher. Ce dont l'évêque de Tournon ne
s'est pas privé. Il a convaincu le bon roi François 1er de lui prêter main
forte en mettant à sa disposition des hordes de soudarts sans foi ni loi aux
ordres du Baron Maynier d'Oppède pour réduire le soi-disant foyer d'hérésie.
L'histoire des Vaudois est fidèlement restituée sur un ton pédagogique de livre
d'histoire. Reste que l'histoire d'amour qui la relève est comme une fleur sur
un tas d'immondices : un peu de tendresse dans un monde de brutes. Celui qui ne
veut pas s'atteler aux trois excellents volumes de Hubert Leconte à
propos de l'épopée vaudoise (*) ne sera pas trompé quant au sort de ces malheureux
par le printemps des maudits, c'est plus condensé et se lit comme le roman
historique qu'il est.
L'église vaudoise existe encore en Piémont italien a contrario de l'église
cathare. Cette dernière était sur le même crédo du retour à la vraie lecture
des évangiles pour contrer la curie romaine laquelle se gardait bien, en
assommant ses fidèles d'impôts, de s'appliquer les préceptes qu'elle prêchait
avec la plus grande rigueur. N'est-il pas vrai que luxe et luxure ne figurent
pas dans la parole restituée du Christ.
(*) La croix des humiliés ; Les larmes du Luberon ; le glaive et l'évangile -
Editions Millepertuis
dimanche 24 juillet 2022
L'homme qui peignait les âmes ~~~~ Metin Arditi
« C'est de cela qu'on besoin les hommes, se dit Mansour. D'être rassurés. Et c'était cela exactement que faisait Avner. »
Avner est L'homme qui peignait les âmes, sous la plume de Metin
Arditi. Avec cet ouvrage, l'auteur nous adresse un vibrant appel à la tolérance
entre hommes de toutes confessions. Un ouvrage qui pêche par ingénuité
tellement il est pétri d'utopie. Tellement on n'est pas habitué à s'entendre
dire que les religions peuvent être complémentaires et non concurrentes.
Mais ça fait du bien de s'entendre dire crois en ce que tu veux si cela te fait
du bien. Pratique la religion que tu veux si elle te réconforte de ton désarroi
face à la finitude de ta condition. Adopte le raisonnement philosophique si la
croyance ne t'est d'aucun secours. Ou ne fais rien si ton esprit est au repos.
Mais surtout n'achète pas l'adhésion à tes idées avec des promesses que tu n'es
pas en mesure de tenir. Encore moins n'impose rien à qui que ce soit profitant
de sa faiblesse ou de sa crédulité. Laisse chacun trouver le réconfort dont il
a besoin. Et si c'est auprès de toi, aide-le comme tu pourras.
L'homme qui peignait les âmes rendaient les hommes heureux en les
soustrayant à la domination des grands prêtres, mais « ce n'est pas le Seigneur
qu'il offensait, puisqu'il amenait le bonheur. C'étaient ceux qui s'arrogeait
le droit de parler en son nom. »
« Son devoir était d'extraire l'homme de sa haine. » C'est avec ses icônes
qu'Avner leur dévoilait leur vrai visage. « Il célébrait les hommes dans leur
essence divine. »
Une belle fable que ce petit ouvrage. Un ouvrage d'apaisement qui devrait
inspirer les prêcheurs de tout bord.
Cathares 1198 ~~~~ Olivier taveau
🌕 🌕 🌕 🌕 🌕
Hérétique : qui professe ou soutient des opinions
contraires à celles qui sont généralement considérées comme vraies ou justes
dans un groupe déterminé, nous dit le dictionnaire. Pour ce qui est de
l'histoire des Cathares, le groupe déterminé c'est celui de l'église catholique
apostolique et romaine. Cette dernière fondant sa légitimité sur le service
d'un dieu qui brille par son absence de manifestations. La porte est alors
grande ouverte pour parler à sa place et dire en Son nom ce qui est juste et
vrai. Et il y a grande chance pour que ce juste et ce vrai servent les intérêts
de qui le décrète. En Son nom bien entendu. Alibi suprême.
Aussi lorsque les Cathares se rendent compte que les dignitaires de cette
église ne s'appliquent pas à eux-mêmes les valeurs de pauvreté et de chasteté
dont ils ont la bouche pleine, qu'ils foulent au pied le fondement de leur
religion, les fameux dix commandements, alors ces pauvres Bonshommes tels
qu'ils se qualifient et leurs prêcheurs les Parfaits se mettent à contester ce
juste et ce vrai dictés par une église à la corruption tellement sure de son
fait qu'elle ne se dissimule pas. Église corrompue mais toute puissante. Elle
mettra alors sa puissance et sa détermination à réduire au silence avec une
cruauté inouïe ceux qui veulent faire valoir ses écarts avec la vraie parole du
Christ, dont elle se légitime justement. Elle fera de même avec les Vaudois
trois siècles plus tard en Provence.
Lire l'histoire des Cathares est toujours saisissant. Saisissement d'effroi
avant tout à l'égard du sort réservé aux pauvres bougres qui avaient trouvé en
leur nouvelle église la sincérité du discours et le secours spirituel attendu
face à la rudesse de leur vie. Dans la quête du salut puisque tout est là. Ils
ne voulaient ni plus ni moins que revenir à la parole première du Christ et
appliquer Ses préceptes, que l'église Rome avait pervertis à son profit. Mais
saisissement d'indignation aussi vis-à-vis de cette église, devenue
l'officielle de Rome, au constat du comportement de ceux qui s'en était
approprié les postes, arrogé le pouvoir, prêchant une chose et faisant son
contraire, défendant ses privilèges avec une férocité assassine qui dépasse
l'imagination. Dans l'amour de son prochain bien entendu. Au nom d'un dieu à
qui elle fait dire ce qu'elle veut puisque la seule chose incontestable qu'on
puisse attribuer au grand ordonnateur des choses de ce monde depuis qu'on
l'invoque en tout et pour tout, c'est bien son silence.
L'ouvrage d'Olivier Taveau a comblé mes attentes en cela qu'il se réfère à
des faits historiques objectivement admis et qu'en note finale de remerciement
il y associe avec une ironie mordante cette église catholique apostolique et
romaine, dénonçant ce qu'elle a sur la conscience depuis qu'elle détient le
monopole dans la gouvernance des consciences, jusqu'à nos jours avec la
protection consentie aux prêtres pédophiles. Monopole qu'elle aurait bien voulu
voir perdurer si l'ouverture des esprits n'était pas venue lui apporter la
contradiction et dénoncer tous ses crimes perpétrés au nom d'une foi, fondant
une croyance à partir de laquelle s'est construite une religion exploitant le
fabuleux commerce ouvert par la faiblesse de l'homme confronté à sa finitude.
Si toutes les religions se revendiquant d'un seul dieu, servies ou non par une
église, ont une caractéristique commune c'est bien celle de l'intolérance
vis-à-vis de toute velléité de concurrence. Se contredisant elles-mêmes en ce
qu'elles prêchent l'amour de son prochain. J'espère qu'Olivier Taveau qui
nous dresse, sur le modèle de la triste histoire des Cathares, une juste et
violente diatribe contre l'église apostolique et romaine en a autant pour les
autres religions se prévalant comme il se doit d'amour et de paix, et qui de
tous temps ont été les premières à promouvoir la guerre.
Ce n'est pas Metin Arditi qui le contredira lorsqu'il fait dire
à L'homme qui peignait les âmes : « On lui avait appris à respecter
la Loi des Juifs et à se méfier de toutes les autres. Alors il lui répondit du
mieux qu'il put, essayant de lui faire entrevoir les beautés qu'à ce jour on
lui avait interdites :
- Notre religion dit la Loi. J'ai beau l'avoir abandonnée, sa rigueur et sa
majesté m'impressionnent. La vie du Christ m'enseigne la charité, et l'Islam me
rappelle l'importance de l'humilité et de la soumission. Pourquoi devrais-je
refuser l'hospitalité de l'une de ces Maisons en faveur d'une autre ? Ce serait
dédaigner chaque fois une grande richesse. Là serait la vraie folie. »
samedi 16 juillet 2022
Les enfants de la terre - tome1 ~~~~ Jean M. Auel
🌕 🌕 🌗 🌚 🌚
Les paléoanthropologues ont établi que l'homme de
Neandertal pouvait parler. Jean M. Auel évoque la particularité qui
donne cette capacité vocale : un os rattaché à aucun autre et que les
scientifiques appellent l'os hyoïde.
Mais si le scientifique peut se prononcer sur les caractéristiques physiques de
la fonction vocale, peut-il le faire sur le niveau de discours, de conception
et d'expression des sentiments que pouvaient mettre en œuvre les représentants
de l'espèce à l'époque où Jean M. Auel situe son intrigue, il y a 35
000 ans ?
L'auteure franchit le pas. Elle attribue à ses personnages une capacité à
émouvoir par la parole et par le geste. Une capacité qui semble cependant plus
proche de la psychologie contemporaine que celle du chasseur-cueilleur,
locataire des cavernes, dont on sait que le sang ne lui faisait pas peur tant
il faisait partie de son quotidien. On n'oubliera que pour crocs et griffes
acérés qui abondaient dans son environnement il était autant gibier que le bœuf
musqué, l'antilope saïga et autre mégacéros.
Jean-Philippe Rigaud, Directeur du centre national de préhistoire à l'époque de
la parution de la saga Les enfants de la terre, affirme en préface du premier
tome avoir été favorablement impressionné par le réalisme archéologique de cet
ouvrage et par voie de cause à effet des connaissances de son auteure. Il
cautionne donc la parution et le contenu de cette ouvre qu'on ne présente plus
au point de surfer sur le succès de la saga et écrire lui-même le monde
des enfants de la terre, sous-titré Comment vivaient les héros de la saga
de Jean M. Auel.
La grande question évoquée par Jean M. Auel, à laquelle les
paléoanthropologues s'accordent désormais à donner une réponse positive étant
de savoir si l'homme de Neandertal et Homo Sapiens se sont croisés. Jean
M. Auel fonde son intrigue sur cette certitude. Son héroïne, de la
dernière espèce, Ayla, isolée de son clan à la suite d'un tremblement de terre
est recueillie et adoptée par un clan néanderthalien. Elle y est jugée d'une
grande laideur du fait de sa différence physique, en particulier son front
plat, la blondeur de ses cheveux, la finesse de ses traits, autant de critères
qui nous sont aujourd'hui de beauté. Les néanderthaliens ayant quant à eux des
traits forcément plus frustes.
Michael Chapman a tiré un film de cette saga en 1986. le rôle de Ayla est tenu
par Daryl Christine Hannah dont le caractère préhistorique des traits du visage
réside uniquement en un savant désordre de la chevelure. Son personnage destiné
à remplir les salles obscures nous ferait croire qu'il y a 35 000 ans les
salons d'esthétique et de manucure existaient déjà. J'ai bien peur que cet
anachronisme d'apparence soit la logique mise en image du même décalage dans le
temps de ce qu'on peut lire chez Jean M. Auel au point de vue des
comportements, que la psychologie américaine l'ait entaché des prémices d'un
féminisme et de cette mièvrerie qu'on lui connaît bien lorsqu'elle veut tirer
la larme à son auditoire. « Maamaan, Maamaan » criait le petit Durc qui voyait
sa mère l'abandonner, chassée qu'elle était du clan néandertalien par le
nouveau chef lequel n'avait jamais admis sa différence, jamais admis qu'elle
puise le surpasser à la chasse à la fronde.
Je sais que dans les nombreux tomes qui vont donner suite à cette entrée en
matière que je viens de lire elle va trouver l'amour avec le beau Jondalar.
Même si j'ai confiance en la capacité de Jean M. Auel à restituer les
savoir-faire techniques et le mode de vie en vigueur à l'époque, j'avoue ne pas
avoir le goût de me frotter aux milliers de pages que comporte cette fiction
préhistorique édulcorée à la sauce anglo-saxonne dont on n'oubliera pas qu'elle
doit plaire à un lectorat formaté par les séries dégoulinantes de
sentimentalisme. J'en resterai donc au premier tome.
dimanche 3 juillet 2022
L'air était tout en feu ~~~~ Camille Pascal
Les férus d'histoire sauront que la succession de Louis
XIV, si elle revenait à un autre Louis, quinzième du nom, a franchi plusieurs
générations pour incrémenter le nom d'une unité. Louis XV était en effet
l'arrière-petit-fils de celui qui détiendra pour toujours le record de
longévité sur le trône de France. Cette longévité, si elle a été une
bénédiction pour le roi que l'histoire a attaché à l'astre solaire l'a aussi affublé
de la malédiction de voir disparaître avant lui ses fils et petits-fils. Autant
de prétendants à sa succession selon la règle de légitimité se réclamant de
droit divin.
Le Très-Haut accordant ce droit n'ayant cure de bon ordre et de logique en matière
de succession, l'arrière-petit-fils en question n'ayant pas atteint la majorité
requise de 13 ans, le sort du royaume fut remis entre les mains d'un régent,
Philippe d'Orléans, neveu de Louis XIV. Intérim disputé par des convoitises
arguant de plus directe lignée. Il y avait donc matière à ourdir quelque
complot pour contester le testament du grand roi. C'est de cette période de
trouble dont nous entretient Camille Pascal dans cet ouvrage. L'artisan de la
conjuration étant le prince de Cellamare, l'ambassadeur en France du roi
d'Espagne Philippe V, lequel n'était autre que petit-fils de Louis XIV.
On peut avoir en détestation l'idée que le seul hasard de la naissance soit
source de privilèges, qui plus est se réclamant de droit divin, et pour autant
apprécier la relation qui en est faite par cet auteur à la plume si subtile.
Une chose à ne pas retirer à cette classe auto proclamée de droit divin, est la
qualité de la langue qu'elle met en oeuvre pour faire valoir ses arguments,
certes fallacieux, d'appropriation du pouvoir. Se réclamant d'un dieu que
l'église, grande bénéficiaire des avantages et privilèges de l'obscurantisme
prévalant, se garde bien de contester.
Le grand profit de pareil ouvrage se trouve dans la qualité de la langue mise
en oeuvre par son auteur. Restituant avec le plus grand bonheur la préciosité
et souvent aussi la causticité de ce langage de cour qu'affectionnait la classe
se réclamant de la plus haute naissance, de sang royal. Fût-il corrompu par les
alliances consanguines. La qualité de la grammaire mise au service du discours
diplomatique, surtout lorsque ce dernier est rehaussé des précautions du
contexte de la conjuration, laisse la bride sur le coup à un auteur tel que
Camille Pascal, avec l'habileté qui est la sienne dans les subtilités de ce
langage, pour nous soumettre un chef d'oeuvre de sophistication stylistique
bien au fait de l'étiquette.L'auteur nous fait par ailleurs la brillante démonstration de la conviction de
son bon droit de cette élite auto proclamée. Sa maîtrise des faits historiques
et de la langue pour les restituer est une formidable projection dans ce cercle
restreint convaincu de légitimité au point de ne pas voir venir la lame de
fonds qui l'emportera quelques décennies plus tard. C'est une transposition historique,
certains diront en langage plus moderne une téléportation, que nous offre ce
talent d'auteur avec la restitution des péripéties de cette succession qui,
comme souvent, a aiguisé les appétits voraces des prétendants au festin royal.
L'écriture de Camille Pascal est un régal à qui apprécie l'histoire quand elle
est rapportée avec toutes les tournures, nuances, subtilités et sonorités
qu'autorise notre belle langue.
jeudi 23 juin 2022
Le soldat Ulysse ~~~~ Antoine Billot
🌕 🌕 🌚 🌚 🌚
J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui
restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au
fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.
Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme
pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité
nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de
l'horreur.
Dans Au
revoir là-haut, Pierre Lemaître a
magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce
registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat
Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre :
il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre
personne.
Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se
met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France
entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants
anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection,
élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment
reconnaître leur cher disparu.
Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai
regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le
lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de
la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le
chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera
sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du
style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse,
un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans
l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous
laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le
soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne
rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre
dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une
incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux
dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.
Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres
chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point
d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de
ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux
boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et
apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon
ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.
dimanche 5 juin 2022
Bretzel & beurre salé ~~~~ Margot et Jean Le Moal
Cathie Wald n'est pas seulement une étrangère venue s'installer dans le village, elle a acquis la belle demeure de la pointe de Kerbrat au nez et à la barbe d'un notable local qui la briguait. Voilà deux bonnes raisons de lui déclarer une guerre qui comme toutes divisera acteurs et spectateurs et ajoutera aux querelles de clocher d'un Locmaria, fictif celui-là, en pays de Cornouaille.
La flammekueche vient faire concurrence à la galette au sarrazin avec l'arrivée
de cette continentale décidée à ouvrir un restaurant. Les rancœurs y verront un
théâtre tout désigné pour faire plier celle qui a osé s'implanter de la manière
la plus convaincante, avec ses moyens financiers. Un client parmi les plus en
vue du village trouvera la mort par empoisonnement lors d'une soirée
choucroute.
Les enquêteurs les plus perspicaces ne seront pas les officiels bien connus. Ce
qui paraît-il est une caractéristique de ce sous-genre du polar que je découvre
: le cosy crime. Dont on nous dit dans la célèbre encyclopédie en ligne que «
le sexe et la violence se produisent hors scène, le détective est un détective
amateur, et le crime et la détection ont lieu dans une petite communauté
socialement intime. »
Ouvrage qui fait du bien pour distraire son lecteur. Une lecture légère qui le
fait se prendre d'empathie pour le héros d'autant plus facilement qu'il ne se
fait pas trop de souci quant à son sort à l'épilogue. Lecture détente pour la
torpeur de l'été, quand on veut faire une pause dans la morosité ambiante
qu'entretiennent avec opiniâtreté nos médias désormais omniprésents dans notre
vie.
C'est crédible et respire l'authentique régional. Il paraît qu'il y aura une
suite. C'est comme ça que naissent les séries. Après le succès d'un coup
d'essai.
mercredi 1 juin 2022
Les oubliés ~~~~ John Grisham
Dans les couloirs de la mort aux USA, il est des
condamnés qui sont victimes d'erreur judiciaire. Cullen Post, avocat et ancien
pasteur de l'église épiscopale, a décidé de vouer sa vie à ces oubliés. Oubliés
parce que la justice n'aime pas se renier. Une fois le verdict rendu, il est
plus confortable pour l'institution d'attendre que les recours s'épuisent et
que la
sentence s'exécute. Lui faire reconnaître ses fourvoiements est un
chemin semé d'embuches, souvent lourd de menace.
Lorsque Cullen Post s'est convaincu de l'innocence de Quincy Miller condamné
pour le meurtre d'un avocat en vue. Avec la petite association qu'il dirige il
déploiera toute son énergie à faire admettre l'erreur judiciaire. Dût-il se
mettre en danger face à ceux qu'il dérangera tant dans la police corrompue que
dans les cartels de la drogue.
Avec l'excellente traduction de Dominique Defert,
grâce à qui les idiômes américains ont trouvé leur juste transposition dans
notre langue, je découvre l'écriture de John Grisham. Elle
est accessible et agréable pour traiter de ce sujet si lourd. Un roman aux
confins du polar qui nous fait découvrir les arcanes du système judiciaire
américain, les écueils de la corruption et le chemin chaotique et incertain
qu'est la sauvegarde d'un innocent. Ce roman est passionnant. Je n'hésiterai
pas à lire un autre Grisham.
mardi 31 mai 2022
L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ~~~~ Nicholas Evans
J'ai longtemps hésité à lire cet ouvrage. J'avais trop
peur de me rendre spectateur de séances de thérapie douce entre l'homme et
l'animal. Mais je me suis rendu compte à la lecture de cet ouvrage qu'il est
aussi et surtout une histoire d'amour et que l'homme qui murmure à l'oreille
des chevaux sait aussi le faire à celle des dames. Et que la sauvegarde de
l'animal blessé pourrait bien mettre en péril celle d'un ménage jusque-là
harmonieux.
La morale de l'Amérique puritaine saura-t-elle faire valoir ses droits ? Je
connais désormais le dénouement de ce roman que j'ai apprécié dans toutes ses
pages. J'ai désormais hâte de rattraper mon retard et voir ce que le cinéma a
fait de son adaptation avec Robert Redford, séducteur s'il en est.