Il faut savoir terminer un roman. le lecteur qui
progresse au fil des pages s'interroge toujours sur l'épilogue. Quand on
replace cet ouvrage de Yasmina Khadra sur
le rayon de sa bibliothèque, on se dit qu'on y reviendra. Avec un sujet aussi
grave, la fin ne déprime pas. Elle est un peu comme la flamme d'une bougie dans
un univers de ténèbres. Fragile, mais obstinée. C'est une force dans la
conception d'un ouvrage que de savoir le terminer sans pour autant laisser
augurer de l'issue dès les premiers chapitres. Et si je commence par la fin,
c'est que je m'y suis retrouvé sans m'en rendre compte, tellement le voyage a
été absorbant.
La fin est une chose, mais le corps du texte en est une autre. Et là encore,
cet ouvrage de Yasmina
Khadra, c'est du généreux, du sincère, du bienfaisant. Quel plaisir de lire
de telles pages de littérature, dans une langue de qualité.
J'avais découvert cet auteur avec " L'attentat".
Je m'étais promis d'approfondir sa connaissance et le fais avec " L'équation
africaine". Je confirme ma première impression, la conforte même. Cet
ouvrage, plus encore que le premier, me subjugue par la qualité de la
retranscription des sentiments, de leur traduction en mots, en phrases. Et Dieu
sait si l'exercice est difficile. La colère, la révolte, la résignation, le
découragement, l'indignation, la détresse, la déprime, l'irritation, le
mal-être, l'humiliation, le lecteur se les approprie, les ressent à la place
des héros. Mais curieusement jamais de haine. Comme si finalement, après
l'avoir déprécié, déconsidéré, Yasmina Khadra révèle
une foi souveraine en l'Homme. Et puis bien sûr, et heureusement, l'espoir, la
jubilation. Même l'amour dont on perçoit le frisson, ses bouffées de
sensualité, presque incongru, mais tellement troublant et tyrannique.
Pour avoir vécu quelques temps en Afrique de l'est, j'ai retrouvé dans ces pages
la touffeur de l'air immobile surchauffé, le sable qui colle à la peau moite,
la bouche douloureuse de sécheresse, le regard qui se perd sur ces étendues de
sables et de roches volcaniques, l'usure du corps et de l'esprit sur les pistes
rocailleuses quand chaque pas est un exploit.
Il y a certes de l'action dans ces pages, mais la richesse est surtout dans
cette capacité à décrire et faire comprendre les états physiques et
psychologiques, le ressenti, le vécu intérieur. J'ai retrouvé ce qui avait
retenu mon intérêt chez cet auteur avec peut être encore plus d'acuité. Une
force suggestive inouïe.
Placés dans un contexte contemporain, dans les soubresauts désordonnés des
confrontations modernes, les protagonistes vont vivre des événements avec une
intensité paroxysmique. Ils en connaissaient certes l'existence, mais de façon
dérisoire, à la manière de l'Européen blasé qui se fait bourrer le crâne des
malheurs du monde par les médias, sans savoir ce que cela recouvre réellement.
Comme une fiction.
Mais aussi, à quoi sert la détresse si elle n'a pas de spectateur. Si elle ne
peut pas éclater à la face du monde. de ce monde de nantis qui vivent dans le
confort, abreuvé d'informations dont ils ne mesurent pas le poids de
souffrance. Quand il ne reste alors aux êtres abandonnés que ce combat
d'arrière-garde contre la mort en ultime bravade dédaigneuse. Là est la vérité
du vivant sur terre.
Je me suis promis de relire cet ouvrage pour en capter toute la substance. On
ne peut pas la percevoir dès la première lecture. Il n'y a aucune phrase
superflue, aucune fioriture. Tout est vrai, lourd de sens. Même l'anecdote,
quand au milieu de nulle part, lorsque le regard du novice ne voit que sable et
cailloux, alors qu'il croit être seul au monde, surgit d'on ne sait où, comme
de sous une pierre, un enfant au regard fixe, une femme décharnée, ployée sous
le poids d'un bidon d'eau ou d'un fagot de bois. Ce n'est pas anecdotique en
fait. C'est vrai. C'est le désert qui vit. C'est l'Afrique.