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Ouvrages par genre
mardi 15 mars 2022
La tente rouge ~~~~ Anita Diamant
Il était une lettre ~~~~ Kathryn Hughes
samedi 12 mars 2022
La tableau du maître flamand ~~~~ Arturo Perez-Reverte
Julia est restauratrice de tableaux. Elle se voit
confier, en préparation de sa vente, la célèbre toile d'un maître flamand du
XVIème siècle : la partie d'échecs. Ses travaux lui font découvrir, dissimulée
sous les couches de peintures et vernis anciens, une inscription latine
soumettant une énigme concernant la mort d'un des trois personnages représentés
sur la toile. Présentée sous la forme d'une question concernant la prise d'un
cavalier, elle se persuade que cette énigme se résout par le calcul des combinaisons
offertes aux joueurs. Avec son ami et confident César l'antiquaire elle fait
appel à un joueur expert pour élucider le mystère.
La vente du tableau donne lieu à des conflits d'intérêt opposant les parties
prenantes, famille du propriétaire, galerie d'art, commissaire-priseur. Deux
personnes de l'entourage de Julia sont assassinées. Un mimétisme machiavélique
suggère à l'assassin de faire valoir
ses identités et motivations au travers d'une énigme se superposant à celle de
la toile du maître flamand.
Ce roman qui s'engage dans une forme d'enquête rétrospective sur la base de
l'énigme proposée par le maître flamand devient thriller contemporain avec une
montée en puissance très lente de l'intensité dramatique. La peur gagne Julia.
Elle se persuade d'être la prochaine victime du meurtrier sans comprendre la
raison de cet acharnement autour d'elle.
Arturo Perez-Reverte échafaude
un roman érudit quant aux domaines dans lesquels il intègre son intrigue, en
particulier le monde de l'art pictural, son histoire et ses techniques. Point
n'est besoin par ailleurs d'être joueur patenté pour se prendre au jeu de ces énigmes
qui s'imbriquent au travers des siècles. L'idée est intéressante.Pourtant l'émergence du fait divers contemporain dans l'enquête sur l'énigme
proposée par la toile du maître flamand est très artificielle et ouvre
inévitablement sur un dénouement pour le moins tiré par les cheveux.
C'est dommage d'une part parce qu'on se laisse volontiers prendre au jeu de l'enquête initiale laquelle fait appel à l'histoire et à la technique des échecs, d'autre part parce que la documentation est fouillée et le socle historique appréciable. C'est donc un thriller intéressant par l'intérêt qu'il suscite au départ, la qualité de son écriture et sa culture, ces dernières n'étant pas forcément des attributs du genre, mais un thriller qui fait long feu avec un dénouement assez décevant.
Citation
Le joueur d'échecs lut à haute voix :
- La phrase que j'écris en ce moment est celle que vous lisez en ce moment... - Il regarda Belmonte, surpris.
- Oui, et puis ?
- C'est tout. J'ai écrit cette phrase il y a une minute et demi et vous venez de la lire, il n'y a que quarante secondes. En d'autres termes, mon écriture et votre lecture correspondent à des moments différents. Mais sur le papier, ce moment et ce moment sont indubitablement le même moment... Donc la phrase est à la fois vraie et fausse ... Ou est-ce le concept de temps que nous laissons de côté ? ... N'est-ce pas un bon exemple de paradoxe ?
vendredi 11 mars 2022
Le miracle Spinoza ~~~~ Frédéric Lenoir
Évoquant son ouvrage majeur alors en préparation,
L'Ethique, édité finalement à titre posthume, Spinoza écrivait lui-même, dans
une lettre adressée à son ami Henry Oldenburg, qu'il avait délibérément choisi
un mode d'exposition de ses pensées qui en rendrait la lecture aride. Le titre
complet de son ouvrage se libelle d'ailleurs ainsi : L'Ethique démontrée selon
la méthode géométrique.
Me voilà conforté dans mon intention de faire connaissance
avec le personnage et sa philosophie avec l'aide d'un "traducteur".
Quelqu'un qui me rendrait accessible la pensée du célèbre philosophe, lequel
jouit en ce début de siècle d'un engouement nouveau auprès de la part de ses
congénères contemporains, mais pas seulement.
D'aucuns expliquent cet engouement d'une part par le fait que Spinoza affichait
des pensées très en avance sur son temps, au point de trouver de nos jours un
écho singulier dans les milieux intellectuels et politiques. Il affichait un
courant de pensée progressiste, tolérant, sachant se démarquer avec prudence,
donc intelligence, des modèles imposés par un pouvoir politique autocratique,
dont on sait qu'en son temps il était fermement contraint par le religieux.
L'autre aspect de ses textes qui le rend lisible aujourd'hui est plus
inattendu. Le mode de raisonnement et de construction de ceux-ci, selon un
principe interactif de renvois à de multiple références étayant la
démonstration du philosophe, se prêterait particulièrement à la modélisation
informatique. C'est le principe du lien hypertexte que l'on pratique
abondamment et inconsciemment de nos jours en parcourant les pages web,
lesquelles ont évidemment fleuri que lors de ces dernières décennies. Le
Magazine littéraire de décembre 2017 publiait un article sur cette analogie
constructive qui attendait le clic de souris pour naviguer de pages en volumes
hébergés de par le monde, se substituant au contenant physique forcément plus
lourd à manipuler.
C'est donc avec le Miracle Spinoza de Frédéric Lenoir que je me suis ouvert à
celui qui a eu le cran de s'opposer à l'intelligentsia de son temps peu encline
à la contradiction. Un temps où l'opposition de conscience pouvait avoir des
conséquences pour le moins brûlantes. Du cran il fallait en avoir au XVIIème
siècle pour fondre Dieu dans la Nature, laquelle pour le coup prend la
majuscule. Prôner immanence contre transcendance. Du cran pour n'accepter que
ce qui aura été démontré par le raisonnement, y compris s'il faut restreindre
le champ de ses certitudes, mais surtout refuser de se faire dicter des
croyances. Autre similitude avec notre époque contemporaine qui ne reconnaît
plus d'autorité statutaire, réclamant à quiconque veut s'imposer de faire ses
preuves.
Reconnaissons bien pourtant que, presque quatre siècles après que Spinoza nous
a montré le chemin, la raison qui commande de ne pas écouter ses passions pour
accéder au bonheur n'a pas encore gagné le combat. Loin s'en faut. Dans une
société devenue consumériste, à l'intoxication commerciale agressive, le
décodage algorithmique de la pensée du grand philosophe ne suffira pas à nous
faire trouver la joie dans le dénuement, la béatitude dans la détermination
intime. L'intelligence ne suffit donc pas au raisonnement. Il lui faut ce supplément
d'âme pour faire comprendre à cette entité de matière spirituelle, qu'on ne
peut appeler créature puisque Dieu est part d'elle comme de toute chose,
théorie du monisme chère à Spinoza, qu'elle est en train de scier la branche
sur laquelle elle est assise.
Dans le genre développement personnel, Frédéric Lenoir m'a donc aidé à monter
quelques marches depuis les sous-sols obscurs de mon ignorance. Son ouvrage
salué par les plus éminents est à la portée de tous. Je l'en remercie d'autant
plus que je me reconnais assez bien dans la traduction qu'il nous fait de la
philosophie du grand penseur déterminé mais pacifique. de là à la décrypter
dans le texte ? Persévérance et longueur de temps entretiennent bien des
espérances. Je lis encore et toujours.
mardi 8 mars 2022
Extérieur monde ~~~~ Olivier Rolin
Je me suis accroché jusqu'à ce que je lise à la page 115, de la part de l'auteur lui-même, Olivier Rolin : "je sens que je perds des lecteurs". Là, effectivement, j'ai lâché prise. En terme scientifique : le module de la force centrifuge a dépassé celui de la force centripète. Le lecteur-électron de la galaxie librairie-de-quartier que je suis a été éjecté, Extérieur monde.
Objectif atteint, ne resteront que les plus forts, les vrais, ceux qui sont
capables de s'accrocher au noyau de la planète Rolin, de rester concentré dans
la tourmente. Je me suis accroché à tout ce qui pouvait passer à ma portée.
Mais non. Il a eu raison de moi. Je ne suis pas de taille à suivre le
globe-trotter dans ses pérégrinations extraites en fouillis des soixante
carnets d'une vie de sédentaire de l'instabilité.
Après la page 115, j'ai papillonné. J'ai certes retrouvé quelques situations et
paysages connus au hasard, page 227. Sarajevo. J'ai un peu bougé moi-aussi,
mais je n'ai pas été jusqu'à lire Les Misérables au Pôle nord. En fait je
n'aime pas me faire brinquebaler. Je préfère tenir le volant.
J'ai eu encore quelques tressaillements nerveux, mais quand on m'a demandé ce
que je lisais, et que je n'ai su dire si j'étais au Soudan, à la Terre de feu,
dans une librairie de Shanghai ou les bras d'une colombienne, alors là j'ai expiré.
Depuis les cieux où j'ai retrouvé le calme, j'adresse mes plus vifs regrets aux
Éditions Gallimard et à Babelio, les remercie vivement pour m'avoir adressé cet
ouvrage dans le cadre de l'opération masse critique. Je fais quand même le
serment d'y revenir, mais à petite dose. J'aurai alors l'impression de tenir le
volant.
Enfin chapeau quand même. Je confirme, le monde est trop petit pour lui. Extérieur
monde.
Les foulards rouges ~~~~ Frédéric H. Fajardies
Le roman historique, pour autant qu'il soit crédible dans sa restitution du contexte dans lequel il incorpore son intrigue, est une façon d'aborder l'histoire de manière moins scolaire. La fiction servant de liant aux faits historiques qu'elle agglomère pour forger son intrigue.
Les
foulards rouges de Frédéric H.
Fajardie nous implique dans une page de l'histoire qui fit en son
temps douter de la longévité du règne du dauphin devenu roi à l'âge de cinq
ans. Il fut au final le règne le plus long de notre histoire. Sous la
gouvernance de la régente Anne d'Autriche sa mère et de l'homme fort du
royaume, le cardinal Mazarin, Louis XIV commençait son règne en un royaume
alors englué dans la plus grande confusion. Ce trouble est resté dans
l'histoire sous le vocable de Fronde. Terme qui dissimulait mal une guerre
civile larvée.
Et si l'histoire pouvait manquer de gloire et rengaine d'amour, le roman de
Fajardie l'en augmente à satiété. Au point de forcer le trait à couvrir de
renommée un héros devenu sous sa plume invincible, le comte de Nissac, tout
empanaché de rouge et de blanc sur son fidèle destrier noir, héros confondu
d'amour pour la plus belle femme de la capitale, il va de soi. Au point
d'outrepasser la barrière de la condition, le comte succombant aux charmes
d'une roturière. Et fort de cette passion irrépressible, la plus fine lame du
pays se bat à un contre multitude sans jamais faillir, se réclamant du service
du cardinal, se stimulant de son sentiment tout neuf.
La guerre étant la continuation de la politique par d'autres moyens selon Clausewitz,
si péripéties politiques et guerrières ne suffisaient pas à sublimer notre
héros, Fajardie l'implique dans une énigme policière lorsque ce qu'on appellera
plus tard un psychopathe tueur en série s'ingénie à écorcher vives de jolies
femmes. En exutoire sans doute à de vieilles frustrations lesquelles renvoient
comme souvent à une enfance lésée en son quota minimal d'amour pour construire
la personne. La dénonciation sera délicate, le tueur est de haute naissance.
Gageons qu'en ces temps de privilèges dans une société très cloisonnée la
justice n'y trouve pas tout à fait son compte.
Notre héros invincible, suffisamment pourvu en cicatrices de guerre attestant
de sa bravoure, s'entoure d'acolytes à la Vidocq, rescapés de justesse des
rigueurs des galères, formant une équipée improbable et crainte comme le diable
sous l'anonymat de son foulard rouge. Equipée laquelle intervient avec le plus
grand succès aux faveurs du premier ministre cardinal pour que vive ce roi
naissant à l'histoire. Un roi qui restera dans nos manuels affublé de l'astre
solaire en qualificatif.
A une époque où l'on chevauchait sus à l'ennemi en dentelle, se battait en duel
en faisant des phrases apprêtées, ennoblies de force passés du subjonctif,
c'est la restitution de cette langue sophistiquée, au point d'en devenir
précieuse dans la bouche des « bien-nés », qui donne sa saveur à cet ouvrage.
La langue d'époque mise en oeuvre dans cet ouvrage ne souffre d'aucun
anachronisme de langage. Elle nous rappelle à une grammaire que notre temps
oublieux de ses racines martyrise à souhait, la sacrifiant sur l'autel de
l'audimat à grand renfort d'onomatopées et anglicismes dont les locuteurs
modernes impénitents ignorent jusqu'au sens premier.
S'il ne cautionne pas le scenario d'un super héros échappant toutes les
chausse-trappes que ses ennemis lui placent sous ses pas, l'amateur d'histoire
sera quand même comblé par cet ouvrage pour ce qu'il semble fidèle aux faits
historiques que sa mémoire aura sauvegardés de ses lointaines universités.
Bonne mise en situation en ces temps d'ancien régime servie par une belle
langue, en contrepoids d'une fiction un peu trop édulcorée. Mais le rythme est
enlevé et l'ouvrage n'est pas pesant à lire.
Elle et lui ~~~~ George Sand
"Sans regarder et sans parler, toucher la main d'un fou qui part demain." Ce billet au texte pour le moins énigmatique est celui qu'adressa un jour Alfred de Musset à George Sand et que cette dernière reprend partiellement dans cet ouvrage, Elle et lui. Ce curieux message s'éclaire à la compréhension du lecteur lorsqu'il découvre sous la plume de George Sand ce que fut l'épisode de sa passion amoureuse avec Alfred de Musset, transposé sous les traits de Laurent, artiste peintre pour le roman.
Le procédé qu'elle choisit donne à George Sand le recul nécessaire pour porter
un regard extérieur sur sa relation avec le poète romantique. Ingrat, faible de
caractère, égoïste, dépressif, elle nous dresse un portrait bien peu reluisant
du soupirant de Thérèse. Alors qu'elle s'institue dans son personnage en être
raisonnable et fort, sincère, doté d'un grand sens du sacrifice. Ne
prodigue-t-elle pas à Laurent les meilleurs soins lors de ces crises de
déprime, en particulier au cours de leur séjour en Italie.
Au cours de cette relation singulière, chacun pour sa raison propre reste
frileux à l'idée de l'engagement durable. Lui, en artiste accompli habité de
l'inconsciente certitude que le génie n'émerge que de la souffrance, a peur du
bonheur. Thérèse quant à elle demeure en quête d'une relation plus maternelle
que romanesque. Ce penchant est un véritable étouffoir de la pulsion des sens.
Point d'assouvissement donc dans cette relation qui demeurera sous le sceau de
la chaste tendresse, au grand dam d'un lecteur avide d'être le témoin d'un
amour sublimé par les prédispositions artistiques des protagonistes.
Dans un style emphatique et suave, les élans du coeur sont canalisés par les
convenances. George Sand domine son art. En militante de l'indépendance de la
femme, elle a mis sa maîtrise de la langue au service du contrôle des
sentiments qui n'auront d'effusion que dans la formulation du verbe. Le lecteur
frustré par des atermoiements sans avenir prometteur devra trouver son bonheur
dans la seule sensualité du texte.
Citation
Elle avait eu cette exaltation de la souffrance qui fait voir en grand les misères de la vie, et qui flotte entre les limites du réel et de l'imaginaire ; mais par une réaction naturelle, son esprit aspirait désormais au vrai, qui n'est ni l'un ni l'autre, ni l'idéal sans frein, ni le fait sans poésie. Elle sentait que c'était là le beau, et qu'il fallait chercher la vie matérielle simple et digne pour rentrer dans la vie logique de l'âme.
jeudi 3 mars 2022
Paris est une fête ~~~~ Ernest Hemingway
Paris, « la ville la mieux faite pour permettre à un écrivain d’écrire ». Voilà une belle déclaration d’amour adressée à notre capitale de la part d’un écrivain version Oncle Sam. Déclaration qu’on peut lire dans les pages de Paris est une fête. Si celle-ci est inscrite littéralement dans l’ouvrage, il en est une autre de déclaration d’amour, qu’il faut lire entre les lignes de cet ouvrage ou presque celle-là, c’est celle qu’il adresse à sa première femme, Hadley Richardson, avec qui il a vécu ces années parisiennes au lendemain de la première guerre mondiale. Merci monsieur le prix Nobel de littérature 1954 de faire de notre capitale le lieu souverain de votre inspiration dans votre carrière littéraire en devenir. Merci de rendre hommage à la mère de votre premier fils que vous n’avez gratifiée que de cinq années de vos empressements amoureux. (1922-1927)
Hemingway n’a encore rien publié lorsqu’il met en sommeil sa carrière journalistique et les revenus associés et s’apprête à faire vivre à sa petite famille des années de vache maigre sans savoir ce qu’il adviendra de ses heures passées à la table des bistrots parisiens à coucher sur le papier le fruit de son inspiration.
Paris est une fête tel qu’il est édité en 1964 n’est de toute façon pas l’ouvrage qu’aurait fait paraître Hemingway. Il a été constitué par ses héritiers, à titre posthume, de chapitres retrouvés dans la succession de l’auteur nobelisé. Avec des avant-propos, introduction et note de fin justifiant les choix opérés par eux pour sélectionner les chapitres dignes d’y figurer et les ordonnancer dans un ouvrage présenté aux admirateurs de l’écrivain globe-trotter et risque-tout.
Mais à moi cet ouvrage ne fut pas une fête. Faut-il être un familier du solitaire inspiré pour apprécier cette juxtaposition de scènes de vie sans autre fil rouge que la consommation d’alcool qui imbibe chaque chapitre ? Ces textes sont certes révélateurs d’un personnage qui ne laisse personne gouverner sa vie, mais il y a dans son style la forme de suffisance quelque peu indigeste de celui qui est convaincu de son talent avant même que ne résonnent les trompettes de la renommée. Rappelons qu’il n’a que vingt-cinq ans lorsqu’il rédige ses brouillons. Mais sans doute devons-nous mettre cela sur le compte du caractère inabouti des brouillons sauvés in extremis de la disparition et publiés en l’état. Le fait est que cette écriture me fut très moyennement agréable à lire. Ce n’est qu’un ressenti personnel.
Paru en version originale sous le titre « A Moveable Feast », cette fête mobile a trouvé son point d’accroche en cette ville qui séduisit l’aventurier insatiable au point d’y fixer les années de son premier mariage. Première union de quatre pour laquelle je recommande l’ouvrage de Paula Mc Lain, Madame Hemingway, qui relate sous le titre Madame Hemingway cette liaison trop vite rompue. Paula Mc Lain récidiva avec le même bonheur d’écriture au profit de la troisième épouse, Martha Gellhorn, sous le titre La troisième Hemingway. L’écriture y est remarquable et le point de vue féminin face au monstre d’individualisme que fut notre nobelisé est une autre approche du personnage forcément différente de celle que peut laisser percevoir ce mari si sûr de lui.
jeudi 24 février 2022
Les miracles du bazar Namiya ~~~~ Keigo Higashino
La porte qui donne accès au bazar Namiya n'est pas
seulement une frontière entre l'intérieur et l'extérieur. Elle l'est aussi
entre deux époques. Des époques suffisamment proches pour être contenues dans
l'espace-temps d'une vie, tout en étant suffisamment éloignées pour confronter
l'ingénuité de la jeunesse à l'expérience de la maturité. Mais pas seulement.
Car l'intérieur du bazar connaît l'avenir. Ce qu'il adviendra des personnes que
la jeunesse remplit d'incertitude et de doute au point de la faire hésiter
quant à une décision à prendre, une attitude à adopter. Oui mais voilà, comment
faire connaître son avenir à une personne qui se heurte à l'indécision, aux
états d'âme sans passer pour un illuminé.
Son propriétaire s'identifiant à l'établissement aux yeux de ceux qui le
sollicitent, c'est tout l'art de l'argumentation mise en oeuvre par le bazar
Namiya au moyen d'échange de lettres que son pouvoir de compression du temps
rend instantané. Son art consistant à travestir en sagesse de vieux philosophe
ce qu'il connaît de l'avenir afin de ne pas surprendre ou effrayer son
correspondant, voire passer pour un charlatan.
Libre à celui qui le lit de faire ce qu'il entend de sa vie. Il aura été
prévenu. L'âge venu il tirera les conclusions de ses actes. La boîte aux
lettres magique lui sera ouverte trente-trois ans après la mort de l'initiateur
du concept pour confier au bazar, supposé alors déserté, la suite qu'il aura
réservée aux conseils prodigués. Même si son locataire n'est plus le même. Les
murs conservent cette mémoire et la transmette à ses occupants, fussent-ils
alors de jeunes squatters en rupture de ban devenus à leur tour par la magie du
lieu et à leur corps défendant des conseilleurs d'occasion.
Entrelacs de parcours de vie, croisement des générations, les destins se
télescopent au carrefour du bazar Namiya. Il semble y avoir un lieu commun avec
un foyer de jeunes dans sa proximité, lesquels ne sont pas les derniers à
s'interroger sur leur place dans un Japon en mutation entre les années 80 et
nos jours. Nous voici avec ce roman versé dans un conte philosophique aux
frontières du fantastique, dans une nébuleuse temporelle où coexistent les
époques d'une vie de part et d'autre d'une simple porte. C'est à la fois
captivant et attendrissant. Je me suis fait prendre dans les filets de ce
roman-échappatoire-au-quotidien, me demandant où il pouvait bien me conduire.
Mais que l'on se rassure, la vie reste la vie et non un conte de fée. Cette
compression du temps a d'autant plus de crédibilité qu'elle est source de leçon
de vie. Un délicieux moment de lecture.
La trêve ~~~~ Primo Lévi
La trêve est le second ouvrage autobiographique de Primo Lévi. Il paraît en 1963. C’est la publication de cet ouvrage qui en réalité rendra populaire celui écrit par l’auteur au lendemain de sa libération des camps : Si c’est un homme. Ce dernier était paru de façon très confidentielle en 1947. Il y eut dans la décennie qui suivit la fin de la seconde guerre mondiale une forme de silence imposé sur cette page noire de l’histoire de l’humanité. Dans les années cinquante, l’opinion n'était pas prête à se replonger dans le cauchemar des camps de la mort. Au constat du sort réservé au livre de Primo Lévi, George Semprun avait d’ailleurs ajourné son intention de publier son propre témoignage, paru plus tard dans deux ouvrages : Le grand voyage, L’écriture ou la vie.
Si c’est un homme fait aujourd’hui partie des monuments de
l’histoire de la Shoah racontée par ceux qui l’ont vécu. Il relate l’année
d’internement vécue par Primo Lévi. La trêve quant à lui relate le périple
retour du chimiste italien vers les siens depuis sa libération d’Auschwitz par
les Russes le 27 janvier 1945.
Le voyage retour fut donc organisé par les Russes. Il n’aura
fallu presque 9 mois aux détenus italiens rescapés des camps pour regagner
l’Italie. Incroyable odyssée dont on regrette de ne pas trouver la carte en annexe de son ouvrage, mais que l’on trouve sur l’encyclopédie en ligne. Même
si les malheureux déplacés de camp en camp, ballotés de trains en trains – en
wagons de marchandises est-il besoin de le préciser – n’ont pas été maltraités,
ce trajet retour vers le pays est ahurissant de durée, d’inconfort,
d’incertitude. Riche d’anecdotes.
Côté émotion cet ouvrage est très en retrait de Si c’est un
homme. Cela se conçoit aisément. Il n’y avait plus cette perspective évidente de
la mort promise, planifiée. La relation du périple donne une petite idée du
chaos qui régnait dans le centre Europe à la fin de ce terrible conflit. Il
instruit aussi sur la différence de traitement à la libération qu’il put y
avoir entre les Occidentaux et les Russes, seulement du fait seul de
l’organisation et de la logistique. Résultat : un trajet retour
interminable, 9 mois pour rentrer d’Auschwitz vers Turin.
La trêve est l’ouvrage de la renaissance. Dans un monde que
Primo Lévi regarde avec un œil neuf. Le soulagement compense l’inconfort et l’exaspération
de ce voyage interminable, la débrouillardise le dénuement, générant parfois des
scènes cocasses occasionnées par les difficultés linguistiques. Le style est forcément
plus léger, plus ouvert aux rencontres. Véritable galerie de portraits de
personnages marquants dans ce grand brassage des nationalités où se glissaient
parfois des allemands, eux aussi broyés par la grande machine de guerre mise
sur pied par le régime nazi.
On n’en peut plus de voir ce convoi hétéroclite piétiner
d’impatience mais ce n’est que la restitution de l’état d’esprit qui régnait
dans cet interminable retour à la maison. L’issue était heureuse. Commençait
alors le travail de réhabilitation à la vie normale et le difficile exercice de
faire savoir.
Citations
C'est pourquoi, pour nous aussi, l'heure de la liberté eut une résonance sérieuse et grave et emplit nos âmes à la fois de joie et d'un douloureux sentiment de pudeur grâce auquel nous aurions voulu laver nos consciences de la laideur qui y régnait ; et de peine, car nous sentions que rien ne pouvait arriver d'assez bon et d'assez pur pour effacer notre passé, que les marques de l'offense resteraient en nous pour toujours, dans le souvenir de ceux qui y avaient assisté, dans les lieux où cela s'était produit et dans les récits que nous en ferions. Car, et c'est là le terrible privilège de notre génération et de mon peuple, personne n'a jamais pu, mieux que nous, saisir le caractère indélébile de l'offense qui s'étend comme une épidémie. Il est absurde de penser que la justice humaine l'efface. C'est une source de mal inépuisable : elle brise l'âme et le corps de ses victimes, les anéantit et les rend abjects ; elle rejaillit avec infamie sur les oppresseurs, entretient la haine chez les survivants et prolifère de mille façons, contre la volonté de chacun, sous forme de lâcheté morale, de négation, de lassitude, de renoncement.