L'amour au temps du choléra aurait pu s'intituler l'amour
à l'épreuve du temps. Car c'est bien longueur de temps que nous fait
vivre Gabriel
Garcia Marquez avec ce roman d'une incroyable densité romanesque.
L'amour serait-il lui aussi une maladie, comme le choléra, une menace sur la
vie des gens.
Amour à l'épreuve du temps, mais aussi du qu'en-dira-t-on. Quand d'aucuns
voudraient prétendre qu'à partir d'un certain âge l'amour devient indécent.
Amour à l'épreuve de l'assiduité du lecteur aussi, de la part d'un auteur qui
veut le faire s'imprégner de l'alanguissement du soupirant éconduit. Il faudra
au lecteur à la fois affronter la vie d'un couple légitime livré à son
quotidien dont on sait combien il est un tue-l'amour et endurer l'attente
résignée d'un amoureux qui ronge son frein.
Mais le style est là pour soutenir l'intérêt quand les événements se font
désirer pour relancer l'intrigue. L'écriture de l'auteur nobelisé est là avec
toute sa puissance au service de l'oeuvre romanesque. Une écriture sûre de son
fait, érudite tout en restant accessible. Une écriture d'une remarquable
précision qui dissèque les caractères, analyse les émotions et livre au lecteur
l'intimité de ses personnages ainsi mise à nue. Véritable effeuillage psychique
qui dévoile leur palette sentimentale à l'épreuve des codes moraux d'une
société dans son époque. Comme un écorché de psychologie humaine pour nous
faire endurer une vie d'asservissement à la passion.
Avec L'amour au temps du choléra on n'est pas aux confins du fantastique comme
dans Cent
ans de solitude, on est au plus profond de l'être, à tenter de palper ce
secret qui fait qu'une personne s'éprend d'une autre. Amour indifférent à
l'érosion du temps. Attendant son heure, même si dans la bonne société en ce
début de XXème siècle il fait détourner le regard lorsqu'il s'expose dans la
grande maturité. L'alanguissement ne décourage pas son lecteur lorsqu'il est
soutenu par la formidable écriture de Gabriel
Garcia Marquez.
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Ouvrages par genre
mardi 31 mai 2022
L'amour au temps du choléra ~~~~ Gabriel Garcia Marquez
mercredi 11 mai 2022
Apprendre à vivre ~~~~ Luc Ferry
Pour sans doute prendre le contre-pied de Montaigne lequel professait que « philosopher c’est apprendre à mourir », Luc Ferry a intitulé son ouvrage d’initiation à la philosophie Apprendre à vivre. S’adressant de préférence aux jeunes générations et pour dédramatiser la raison d’être de la philosophie, laquelle veut en réalité consoler l’homme de sa finitude, il a décidé de l’aborder par son côté réconfortant et n’évoquer celle-ci qu’après une préparation pédagogique qualifiée. Avant donc de confronter l’apprenti philosophe à sa propre fin, il s’agit de lui faire apprivoiser le temps présent.
Parvenu à un âge qui, s’il n’est pas encore canonique, n’est plus de prime jeunesse, j’ai aimé m’entendre tutoyer par l’éminent professeur. Je me suis glissé à nouveau sans embarras dans le costume de l’élève. Si les années m’ont fait accéder à la maturité physique, en matière de philosophie il me reste ni plus ni moins qu’à naître. Cet ouvrage était donc aussi fait pour moi.
Il n’en reste pas moins qu’aussi promoteur que se veuille pareil ouvrage, convenons que les sujets abordés lui redonnent la complexité qu’il voudrait éluder, la profondeur que voudrait atténuer la familiarité du propos. Le recours successif inévitable aux références stoïciennes, chrétienne, puis modernes et post modernes, et finalement contemporaines fait forcément appel à une littérature dont l’abord est quelque peu difficile d’accès au profane. Reconnaissons donc que la lecture des grands philosophes dans leur œuvre nécessite, s’il est difficile de parler de vulgarisation en la matière, plutôt une dédramatisation préalable. C’est ce à quoi Luc Ferry s’attache dans cet ouvrage, glissant au gré de sa démonstration à l’adresse du néophyte les références des textes les plus accessibles à qui voudra approfondir sa connaissance et forger sa propre réflexion.
Le thème essentiel est celui du salut, ce devenir consolateur après la mort qui entre croyance et raison fait débat. Néant ou félicité, ou autre chose encore, la réponse ne sortira pas de l’esprit humain qui devra se contenter de conviction délibérée ou suggérée. Car comment vivre avec des questions aussi fondamentales puisqu’aucune vérité prônée par la doctrine chrétienne, le salut par un autre, ou la philosophie, le salut par soi-même, ne pourra s’imposer comme exactitude.
Les modèles proposés au fil des siècles par la raison et la croyance ayant été successivement battus en brèche en partie grâce à l’éclairage de la science, l’homme moderne devenu imbu de sa personne, doit désormais trouver en lui-même les ressources pour sortir de l’impasse qu’il a fermée devant lui. Les ressources pour apprendre à vivre, pour aimer la vie, sa vie, fût-elle vouée à une fin, en se libérant du regret du passé et de l’espérance en demain, sempiternelle fuite en avant qui n’est que mort par anticipation.
C’est donc à l’homme auquel il appartient d’introduire du
sens à la vie. La philosophie moderne serait donc orientée vers l’humanisme. Le
salut serait donc dans l’amour. De soi ici et maintenant. Du moi des autres, un
moi déconnecté de toutes les caractéristiques physiques et psychologiques par
lesquelles on a l’habitude de décrire les autres. Un moi désincarné. Le salut
serait dans l’amour absolu, sans attachement, seule source de vie bonne.
Ainsi donc, même s’il me reste à naître à la philosophie, celle enseignée par tous les éminents depuis que l’intelligence a investi le corps du mammifère, lui faisant du même coup prendre conscience de sa finitude, ayant comme tout un chacun réfléchi à ce thème source d’angoisse, je me suis forgé à la conviction que la mort serait somme toute accéder à ce que la vie ne permet pas : appréhender enfin et indéfiniment l’instant présent. Il est donc capital que cet instantané qui deviendra immuable soit un instantané d’amour.
mardi 3 mai 2022
Alexandre le Grand ~~~~ Joël Schmitt
Douze ans de règne seulement. Et pourtant une trace
indélébile dans l'histoire. Au point d'inspirer tout ce que la terre a compté
d'affamés de pouvoir après lui, à vouloir eux-aussi graver leur nom dans
l'histoire.
Certes, il n'y est pas allé de main morte. Douze ans de règne qui ont été douze
ans de conquêtes. Loin vers l'orient qu'aucune carte ne répertoriait alors.
Connaissant pourtant l'existence de l'Inde qu'il convoitait, avec sa côte sur
l'Océan indien et l'ouverture sur un autre monde. Mais une certaine forme
d'intelligence stratégique lui a fait comprendre que c'était trop. En tout cas
trop tôt. Son sens supérieur de maîtrise des peuples lui a fait entendre qu'il
fallait consolider son pouvoir sur les contrées conquises à marche forcée et
rabattre les prétentions de ceux laissés derrière lui à la gouvernance de
provinces et montrant déjà quelques signes d'indépendance.
Alexandre (356 - 323 av. J.-C), fils de Philippe II de Macédoine est
devenu Alexandre
le grand et le restera tant que l’Histoire colportera
aux hommes les épopées de leurs ancêtres. Tant qu'il y aura des historiens
tel Joël Schmidt pour
nous en faire bénéficier. Avec la précision avec laquelle il le fait. C'est ce
qui m'a interpelé dans cet ouvrage.
J'ai le souvenir récent de la biographie de Théodora par Virginie Girod laquelle
ne comptait pratiquement que sur un auteur contemporain, Procope de
Césarée, pour témoigner de la vie de cette femme politique devenue à cause
de ce manque de témoins fiables autant légendaire qu'historiquement attestée.
Elle vécut pourtant quelques huit siècles après Alexandre de Macédoine. Et
comparativement, la vie d'Alexandre
le grand est relatée dans un détail foisonnant par pléthore de
témoignages que Joël
Schmidt a rassemblés dans cet ouvrage des plus complet.
Encore que, en parlant de témoignages, faut-il préciser que les originaux ayant
disparu pour la plupart, ceux-ci sont relatés par des propos et rapports
décalés, de ceux-là même qui sont de nature à forger des mythes. Il n'en reste
pas moins que nombre de contemporains d'Alexandre – Ptolémée 1er, l'un de ses
principaux généraux, Aristobule de Cassandreias, historien, Callisthène son
historiographe officiel, Clitarque d'Alexandrie, historien et rhéteur – pour ne
citer qu'eux, ont écrit sur celui qu'ils portaient aux nues. On peut donc
affirmer que s'agissant d'un conquérant exceptionnel, non seulement de bravoure
guerrière mais aussi d'intelligence politique, Alexandre
le Grand a certainement été mieux servi par ses contemporains en
termes de réputation que Théodora. Elle avait en effet le double tort d'être de
basse extraction et femme se mêlant de politique en une époque où son sexe ne
l'eut prédestiné qu'à la perpétuation d'une lignée monarchique et au plaisir
des yeux, si ce n'est aux plaisirs tout courts.
C'est un ouvrage étonnamment précis et complet que nous adresse Joël Schmidt sur
la vie de ce monarque qui n'aura pas usé sa culotte sur son trône macédonien,
tant il fut à poursuivre et finalement déchoir Darius III, le dernier roi de
l'empire perse, et à maîtriser ses peuplades affiliées. Alexandre
le grand doit son qualificatif mythique aussi bien à son érudition,
son sens stratégique et politique qu'à sa grandeur d'âme et sa qualité de
meneur d'hommes et parfois aussi sa cruauté de despote. Bien convaincu qu'il
était que toute bonne gestion des affaires humaines sait faire usage de la
carotte autant que du bâton. C'est ce que nous laisse bien comprendre Joël Schmidt. La
question étant de savoir quelle longévité eut pu être celle d'un empire aussi
vaste sous la férule d'un homme à l'ambition hypertrophiée si la maladie ne
l'avait emporté à trente trois ans. Une biographie qui est une véritable
cavalcade dans le grand orient dont on à peine à imaginer qu'elle pût se faire
au pas du fantassin.
Ceux qui l'ont voulu pour modèle ont pu se rendre compte que n'est pas
Alexandre qui veut. A jouer sur la partition qui va de la plus grande rigueur à
la plus intelligente magnanimité. Chef de guerre incarné, à se battre au
premier rang et galvaniser ses troupes puis régenter les pays conquis et fonder
nombre de cités dont la plus célèbre, Alexandrie, abritera la grande
bibliothèque de l'Antiquité à l'initiative de son fidèle Ptolémée, récompensé
et devenu roi d'Egypte. Belle façon de rendre hommage à conquérant mentor qui
était aussi un érudit.
dimanche 24 avril 2022
Lettres a Lucilius ~~~~ Sénèque
« Que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés, parce qu'on les voit chez tout le monde ou presque ! L'une des causes de nos malheurs est que nous vivons en prenant exemple sur autrui : nous ne nous réglons pas sur la Raison, mais nous laissons détourner par les usages. »
A lire cette citation on se dit qu'il s'agit d'une réflexion de quelque
observateur bien contemporain de nos coutumes consuméristes. Il faut alors que
je détrompe le lecteur de ces lignes en lui dévoiler que cette citation est
tirée de la lettre CXXIII, que Sénèque adressa à
son ami Lucilius dans les années 60 (tout court) de notre ère. Peu de temps
avant que son élève pour le moins turbulent, le bien Nommé Néron, empereur de
Rome de 54 à 68 après JC, ne lui suggère de se suicider.
Cette citation, que deux millénaires nous séparent de son auteur, nous fait
dire que peu de choses ont changé en ce bas monde depuis qu'il est peuplé de
bipèdes investis par l'intelligence. Intelligents peut-être, mais quand même
pas suffisamment accessibles à la Raison, qui pour le coup sous le stylet
de Sénèque prend
la majuscule tant elle est haussée au pinacle du comportement intellectuel.
Faculté de l'Être pensant prônée par le philosophe pour faire contrepoids à
celle prônée par le dévot : la Croyance.
Raison contre Croyance, pour une finalité toutefois identique : venir au
secours de l'Être pensant contre l'obsession de sa finitude. Apprivoiser l'idée
de la mort. L'idée, nous dit Sénèque, étant plus
assassine que la mort elle-même. Figurez-vous, nous dit-il, qu'il en est qui se
donnent la mort pour se libérer de l'idée de la mort. Un comble.
A lire des textes de philosophes antiques, les éminents qui ont pignons sur rue
en la matière tel Sénèque,
il faut s'attendre à aborder ces questions essentielles telles que, outre la
plus fondamentale de toutes qu'est la vie et son issue, le bonheur, les
plaisirs terrestres, le rationnel et l'irrationnel, le vice et la vertu,
l'amitié, la sagesse, la maladie, la douleur, et tant d'autres réflexions
que Sénèque adressa
à son ami Lucilius dans ses lettres dont
les copies sont miraculeusement parvenues jusqu'à nous, et certaines
retranscrites dans cet ouvrage de la collection Agora chez Pocket.
Même si « la philosophie n'est point un art fait pour plaire à la foule »
selon Sénèque dans
sa lettre XVI, son discours est empreint de simplicité dans le langage et
accessible au vulgaire, dont je suis un digne représentant, grâce la traduction
qui nous est offerte par cette collection. Il est bien clair que sans ce
travail de latiniste patenté, mes universités dissipées me rendraient la parole
du célèbre rhéteur inabordable. Il est bien clair aussi que pour les disciples
d'Epicure que
nous sommes devenus par facilité de préférence au discours du sage lequel veut
nous éloigner des plaisirs du corps, le discours d'un Sénèque peut
sembler rébarbatif. Mais l'âge venant et l'idée de la fin obsédant conduisent
les uns à se rapprocher de l'autel du mystique, les autres à avoir recours à la
Raison.
Il est quand même un sujet sur lequel on ne le suivra pas le grand Sénèque, lequel a joint
le geste à la parole, quand il nous dit qu'il vaut mieux se donner une fin
honorable plutôt que de vivre dans la mésestime de soi. Une chose que l'on doit
ajouter au crédit de notre époque, outre les crèmes anti rides pour satisfaire
notre narcissisme, est le recours aux psychologue et anti dépresseurs, à défaut
du philosophe plus culpabilisant à notre goût, pour nous aider à supporter nos
humeurs chagrines. Autre temps autre mœurs même si « que d'objets nous
achetons parce que d'autres les ont achetés. » etc… etc…
dimanche 17 avril 2022
Théodora ~~~~ Virginie Girod
« Les hommes redoutent toujours le pouvoir féminin qu’ils
pressentent si supérieur au leur ». C’est une des rares citations de cet
ouvrage dans laquelle on peut dénicher une note de compensation en faveur des
femmes après des millénaires de domination par son congénère masculin. Car là
n’est pas le propos de Virginie Girod. Même s’il s’agit de faire le recentrage
de la réputation d’une femme colportée par tant de voix discordantes.
Avec l’érosion des sources historiques il y a deux autres raisons de mal connaître
la valeur et l’impact des femmes en politique. C’est qu’elles étaient femmes
justement d’une part. Que leur action politique ne pouvait se concrétiser que
par l’entremise d’un homme. Et que d’autre part, jusqu’à encore très récemment,
écrire était resté privilège masculin. Ce n’est pas Virginia Wolf qui le
contredira. Elle s’en expliquait dans Une chambre à soi. Il est donc évident
que dans pareils contexte et circonstances la voix des femmes ne pouvait être
que rapportée par celui qui n’avait aucun intérêt à déchoir de son piédestal.
Théodora ayant eu en son siècle un destin de femme, et même un destin tout
court pourrais-je dire pour ôter la notion de genre à cette allégation, un
destin donc hors du commun qui ne pouvait laisser personne insensible. Surtout
pas les hommes qui eurent à la connaître. Ils pouvaient l’aimer ou la détester
avec la subjectivité qui s’attache à chaque attitude, jamais rester
indifférents. Mais femme des tréfonds de l’histoire, sa vie, son œuvre ne sont
connues que de propos rapportés par des hommes. Au premier rang desquels son
contemporain Procope de Césarée (1), lequel ne lui vouait aucune admiration
bien au contraire. Se complaisant à supplanter l’intelligence politique qui fut
la sienne au profit de son passé moins reluisant, ne concédant à son avantage
que le charme de ses traits. Encore en faisait-il un atout pour servir son
appétit de pouvoir.
Dans cet ouvrage Virginie Girod fait le point sur les sources orientales mises
au jour depuis ce temps lointain contemporain de Théodora et de Procope. Elle
concède dans un chapitre en fin d’ouvrage « qu’écrire la biographie de Théodora
est une gageure. L’historien navigue entre les sources et les ouvrages qui lui
sont favorables ou hostiles. » Elle vient pourtant nuancer cette vision
manichéenne du personnage. La tentation de la solidarité féminine est absente
du portrait qu’elle essaie de peindre de la fille d’un dresseur d’ours devenue
impératrice. Même si la restitution d’une sensibilité féminine qui a longtemps
fait défaut à tous ceux qui ont évoqué le personnage jusqu’alors est un
éclairage appréciable de la part de cette spécialiste de l’antiquité. Comme
dans les deux précédents ouvrages que j’ai lus de sa main, je retrouve cette
volonté de rééquilibrage légitime et bien mené de la réputation d’un personnage
trop longtemps polluée par des sentiments opposés et exacerbés. Son tort n’a
après tout été que d’accéder au pouvoir en un temps où les femmes devaient s’en
tenir à leurs travaux d’aiguille.
Mais derrière toute cette histoire d’une « femme fatale, puissante, dont l’aura
n’a pas encore disparu mille cinq cents ans après sa mort », il y a une
histoire d’amour dont Virginie Girod se convainc de la sincérité. Celle qui a
uni cette femme « belle, intelligente, manipulatrice, dominatrice, déterminée »
à Justinien. Ils formèrent un couple fidèle et solidaire. L’empire byzantin
n’eut pas à souffrir de leur union, bien au contraire. A eux deux ils le
conduisirent à son apogée par la fortune de leur complémentarité. Et peut-être
même Justinien a-t-il duré au pouvoir que parce qu’il avait cette souscrit à
cette alliance tant décriée.
Bel ouvrage de Virgine Girod fort bien construit autour de cette « femme libre,
intelligente et insoumise [qui] pourrait être érigée en modèle. »
(1) Procope de Césarée né vers 500 et mort vers 565, est un rhéteur (avocat) et
historien byzantin dont l'œuvre est consacrée au règne de l'empereur Justinien.
(Source Wikipédia)
vendredi 15 avril 2022
Femmes en colère ~~~~ Mathieu Menegaux
Selon la loi de notre pays la légitime défense ne peut se concevoir que
proportionnée et simultanée de l'agression subie. Dès l'instant où elle
l'exerce en temps décalé, Mathilde Collignon devient justiciable. C'est son
procès que nous vivons dans cet ouvrage.
S'il est un lieu éminemment secret, c'est bien la salle de délibéré d'une cour
d'assise. Sa porte en est gardée tout le temps que dure la séance de délibéré.
le silence sur les débats est imposé par la loi à chacun des jurés ad vitam
aeternam. Même et surtout à l'égard des proches. Ils auront prêté serment.
Avec cet ouvrage Mathieu Menegaux nous
ouvre ce saint des saint et nous rend auditeur du délibéré du procès de
Mathilde Collignon. Il nous instruit par la même occasion sur les règles qui
régissent cette procédure si codifiée, si particulière, à laquelle tout un
chacun peut se voir convier à partir du moment où il est inscrit sur les listes
électorales. Un huis clos qui n'est pas sans rappeler le film de Sidney Lumet :
Douze Hommes en colère.
Au-delà du rôle pédagogique très intéressant que revêt la forme de cet ouvrage,
il ouvre le débat sur ce sentiment légitime d'une victime lorsqu'elle réalise
que ses agresseurs ne seront pas sanctionnés. L'analyse des sentiments et
réactions de chacun des jurés est fort bien restituée, notamment selon qu'ils
sont homme ou femme, mais aussi citoyens ordinaires désignés comme jurés ou
magistrats. Ils forment ce jury d'assise lequel ne sortira de la salle de
délibéré que lorsqu'il aura répondu aux questions retenues lors de l'audience,
avec les règles de majorité qui s'attachent à chaque type de question :
Coupable ou non des chefs d'accusation retenus ? Quelle sentence dans la limite
de ce que prévoit le Code Pénal ?
Même s'ils forment un collège de justice réuni dans la même pièce, chacun se
retrouve finalement seul avec sa conscience. La même solitude gagne l'accusée
dans l'attente du délibéré. Elle était une bonne mère de famille, une
professionnelle reconnue dans son métier, aimée et respectée de tous. Et
maintenant elle attend de savoir si elle va voir grandir ses filles. Les voir
arrachées à son amour de mère. Privées de ses gestes d'affection du quotidien.
Pour combien de temps. Quelle part de leurs jeunes années sera occultée de sa
mémoire.
Un ouvrage qui, subtilement organisé en chapitres alternés, prend une tournure
de thriller psychologique. C'est profitable et absolument passionnant.
jeudi 14 avril 2022
Agrippine ~~~~ Virginie Girod
Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il
dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant
personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.
Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais
dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme
ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au
chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent
leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités,
Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.
Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage
de Virginie
Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela
évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se
targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que
me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.
Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la
relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été
attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses
avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité
laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera
personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à
contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité
physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de
modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une
disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de
prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une
autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait
faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le
truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les
autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au
pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle
un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au
point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.
L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui
ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve
dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et
références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de
l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable
travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique
foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.
Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son
ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité
dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette
crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée
qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps.
Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des
historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais
: Suétone,
Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et
interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des
recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique,
numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres.
L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le
contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui
voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux
julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un
impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle
décoratif.
C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers
ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire
connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières
armes dans le plus vieux métier du monde.
vendredi 8 avril 2022
Les oiseaux chanteurs ~~~~ Christy Lefteri
Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.
Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais
dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme
ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au
chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent
leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités,
Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.
Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage
de Virginie
Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela
évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se
targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que
me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.
Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la
relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été
attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses
avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité
laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera
personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à
contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité
physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de
modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une
disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de
prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une
autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait
faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le
truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les
autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au
pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle
un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au
point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.
L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui
ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve
dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et
références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de
l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable
travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique
foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.
Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son
ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité
dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette
crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée
qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps.
Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des
historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais
: Suétone,
Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et
interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des
recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique,
numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres.
L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le
contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui
voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux
julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un
impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle
décoratif.
C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers
ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire
connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières
armes dans le plus vieux métier du monde.
samedi 2 avril 2022
La véritable vie des douze Césars ~~~~ Virginie Girod
Par les temps qui courent, voilà une citation qu’il y a urgence de replacer dans son contexte : … « Il escompte bien rester préfet du prétoire sous le principat de Caligula. »
Nous sommes dans la Rome au temps des Julio-Claudiens, puis des Flaviens. Ceux que l’histoire retiendra sur la liste dressée par Suétone (*) dans son ouvrage biographique La vie des douze Césars. Ouvrage que Virginie Girod a décidé de revisiter au point d’intituler son ouvrage La « véritable » vie des douze Césars.
Car l’éminente historienne, bien contemporaine de nous autres lecteurs de ce temps d’un autre Macron, a appris à connaître ce secrétaire d’Hadrien, en particulier pour son goût du trivial. Un goût quelque peu imposé par le contexte dans lequel il rédige ses écrits, rangés à l’époque dans l’art mineur de la biographie nous dit-elle. Elle imagine que lesdites biographies, si elles ne sont pas sujettes à caution, sont moins soucieuses du rôle historique de ses sujets que de leurs frasques. Un de ses confrères historien du 19ème siècle, Alexis Pierron, ira jusqu’à qualifier Suétone de « colporteur d'histoires d'antichambre ».
La motivation de Virginie Girod est donc là : ajouter le qualificatif véritable au titre de l’ouvrage de Suétone et tenter de corriger cette tendance à l’errance entre vices et travers des Césars, à faire fi de leur rôle politique. Sans négliger le formidable apport pour les historiens du futur qu’est l’œuvre de Suétone ni le contexte dans lequel il écrit, Virginie Girod justifie en avant-propos bénéficier à la fois des avancées dans la connaissance historique et des neurosciences entre autres, mais se défend de juger une époque avec les acquis des millénaires en termes de morale, d’esprit de justice, d’avancée sociale mais aussi d’empathie, dernière qualité qui eut pu figurer source de faiblesse dans une époque de violences psychologique et physique.
Comment comprendre en effet qu’on puisse se débarrasser du « princeps », premier citoyen de l’empire, intermédiaire entre les dieux et les hommes, parce que grisé par son pouvoir il avait sombré dans la folie paranoïaque, était devenu incontrôlable par des contre-pouvoirs muselés, voire inexistants. Comment comprendre aussi que le grand César, qui n’était quant à lui pas empereur puisque sous le régime d’une république laquelle n’avait de ce régime plus que le nom, s’était vu honoré du titre, car c’en était un, de dictateur à vie, s’étant vu confier tous les pouvoirs par le Sénat. Comment comprendre encore que le suicide soit institué en porte de sortie honorable et restaure sa noblesse à un empereur qui avait perdu sa crédibilité aux yeux de ses sujets. Comment comprendre enfin que l’on puisse créer une succession patrilinéaire du pouvoir en adoptant son successeur, comme on le ferait d’un enfant, y compris à titre posthume.
Les temps ont bien changé. Les mœurs, les croyances et les valeurs qui vont avec. Ces dernières ayant pratiquement disparu, les croyances se focalisant en une croyance unique, ou pas, désormais. Les Césars étaient loin d’être exempts des travers dont Suétone faisait ses choux gras pour plaire à son maître du moment, l’empereur Hadrien, nous confirme Virginie Girod. Elle réussit à nous faire comprendre avec cet ouvrage rationnel, foisonnant, qui se veut aussi objectif que l’autorisent les avancées dans la connaissance de l’époque, en quoi leur personnalité et leurs actes étaient en harmonie avec le contexte d’une Rome onirique. Il faut l’avoir étudiée comme l’a fait cette spécialiste de l’antiquité pour comprendre à quel point le pouvoir corrompt les puissants et fascine ses spectateurs, qui voudraient peut-être leur ressembler.
J’aime l’histoire. Et quand elle est bien écrite, je suis
comblé. Cet ouvrage de Virginie Girod remplit les conditions pour me faire plébisciter
le formidable travail d’étude qu’il a fallu pour sa gestation.
A écrire La véritable histoire des douze césars, il faut s’attendre à une lecture critique des sources, à usage du conditionnel quand elles font naître le doute. Virginie Girod le fait avec une intelligence qui inspire le respect, un naturel qui fait recevoir ses allégations comme une évidence. Elle nous adresse un fort bel ouvrage propre à entretenir notre intérêt pour ceux « qui incarnent les figures paroxystiques de nos passions ».
(*) Suétone (70-122 apr. J.C.) haut fonctionnaire romain, membre de l'ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont la Vie des douze Césars qui rassemble les biographies de Jules César à Domitien en passant chronologiquement par Octave (Auguste), Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus.