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J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui
restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au
fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.
Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme
pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité
nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de
l'horreur.
Dans Au
revoir là-haut, Pierre Lemaître a
magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce
registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat
Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre :
il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre
personne.
Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se
met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France
entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants
anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection,
élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment
reconnaître leur cher disparu.
Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai
regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le
lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de
la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le
chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera
sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du
style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse,
un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans
l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous
laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le
soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne
rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre
dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une
incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux
dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.
Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres
chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point
d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de
ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux
boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et
apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon
ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.