Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mercredi 29 octobre 2014

Inch Allah 2 ~~~~ Gilbert Sinoué


Dans ce second tome de la saga Inch'Allah, Les incursions romanesques sont anecdotiques. Cet ouvrage se présente en effet plus sous forme d'un rappel à l'histoire que d'un roman et le talent de conteur de Gilbert Sinoué s'y trouve contraint par l'implication de l'historien.

Natif de la région, en Egypte, de cette époque qui a connu l'arrivée au pouvoir de Nasser, Gilbert Sinoué est tout indiqué pour ce rôle. En promoteur du rapprochement des grandes religions monothéistes, il aime se souvenir, avec une certaine nostalgie, de l'époque où l'Egypte était un modèle de coexistence pacifique de toutes les communautés.

Dans le cri des pierres, comme dans l'ensemble de son œuvre, Gilbert Sinoué fait œuvre d'une grande impartialité dans l'évocation des rivalités qui opposent les protagonistes de ce conflit entre juifs et arabes. Au gré des alternances d'intervention au sein des chapitres, il déploie une scrupuleuse application à faire valoir les arguments de chacun des partis. On lui pardonnera toutefois, dans cet ouvrage, quelques traits de subjectivité qui ne font que trahir son attachement à son pays d'origine et de ce qu'il a pu représenter pour son idéal philosophique.

Chacun des belligérants du conflit du Moyen-Orient s'attache à prouver sa légitimité à occuper la terre de Palestine. La démarche donne lieu à un concours de rétrospective historique, aussi loin que les archives l'autorisent, prolongées par l'interprétation puis par l'imaginaire, dans lequel les protagonistes revendiquent tour à tour l'antériorité de leur présence sur ce sol. C'est la clé d'un conflit dont la mèche a été allumée par la déclaration Balfour en 1917.

Gilbert Sinoué connaît bien l'histoire, les mentalité et psychologie des peuples du Moyen-Orient. Il retrace avec dextérité leur parcours tumultueux et regrette avec beaucoup d'amertume les faux espoirs nés du discours d'Anouar el Sadate à la Knesset en 1977.

Mais quand la fiction prend le pas sur la réalité sous la plume de l'auteur, c'est pour lui donner l'occasion d'échafauder une utopie qu'il voudrait universelle : un roman d'amour entre un juif, Avram Bronstein, et une palestinienne, Joumana Nabulsi. La tentation est trop forte pour lui de prouver que l'amour peut venir à bout des querelles politiques et des conflits qui en découlent. Ce couple symbolise le vœu si cher à Gilbert Sinoué de voir Juifs et Palestiniens cohabiter sur une terre qu'ils revendiquent l'un et l'autre. Au jour où il met un point final à ce deuxième tome, la solitude de ce couple dans le paysage politique et dans la société civile exprime tout son regret de voir ce conflit se perpétuer sans perspective d'issue heureuse.

Gageons qu'il aimerait mettre en chantier un troisième tome avec l'espoir pour fil conducteur.


dimanche 14 septembre 2014

Le rêve Botticelli ~~~~ Sophie Chauveau


Rare sont les peintres des siècles passés qui ont connu la notoriété de leur vivant. Botticelli est de ceux-là. Fallait-il que son génie fût évident pour que ses compatriotes expriment un tel engouement pour son art.

Avec cet ouvrage magnifique, Sophie Chauveau nous accompagne dans une découverte documentée et bienveillante de cet artiste exceptionnel, de son œuvre et de son époque, sous le règne des Médicis dans la Florence du quattrocento. Elle nous fait aimer ses œuvres en décrivant la ferveur qui entourent leur conception. On n'a de cesse de les découvrir en images et de confirmer l'admiration qu'elles suscitent à juste titre. Internet est pour cela un outil fabuleux. C'est l'apothéose du figuratif en ce sens qu'au-delà du talent de représentation y transparaissent les sentiments qui ont présidé à la naissance de chacune des œuvres. Les états d'âme de leur créateur y sont décrits au point de nous faire palper son mal-être. Cet ouvrage nous fait percevoir une fois de plus la proximité du génie avec la névrose.

Comme beaucoup d'artiste de génie, Botticelli est un être torturé. La mélancolie est sa plus fidèle compagne. Il ne s'en cache pas. Il a cependant les pieds sur terre. Il analyse avec clairvoyance ce qui préside à son destin dans cette ville où la violence est souvent au rendez-vous, y compris envers lui. Ne terminera-t-il pas sa vie infirme des suites d'une agression, sans toutefois ne jamais se lamenter de son sort.

C'est un homme d'une grande sensibilité que la férocité de son époque révulse. Il est au bord de la nausée lorsque lui est imposé le spectacle du supplice de Savonarole, fût-il appliqué à son ennemi. A la nature humaine, il préfère la nature animale moins soumise aux arrières pensées.

Il est intéressant, dans cet ouvrage, de voir l'homosexualité masculine dépeinte par une femme. Elle lui rend cette prévenance, ce sentimentalisme, que lui ont fait perdre la condamnation des autorités de conscience et les moqueries du viril.
Leonard de Vinci, Pic de la Mirandole, Laurent de Médicis, Savonarole, Vespucci et dans une moindre mesure le rébarbatif Michel-Ange, sont autant de grandes figures qui peuplent l'environnement de Sandro di Mariano Filipepi dit Botticelli. Ils lui témoignent admiration et estime, lui qui en a si peu pour sa propre personne.
Une touche d'humanité est rendue à cet être complexe lorsque, sur le tard, il fait connaissance avec son fils déjà adolescent.
C'est un bel ouvrage que cette biographie qui ne porte pas son nom. La mort de l'artiste n'y est d'ailleurs pas évoquée. Comme pour illustrer l'immortalité de son œuvre.


 

mercredi 3 septembre 2014

Ce que le jour doit à la nuit ~~~~ Yasmina Khadra




C'est ouvrage est une merveille à deux titres. Par le choix de son thème et la façon de le traiter dans un premier temps. Par sa mise en forme ensuite, avec ce style prodigieux qui n'appartient qu'à Yasmina Khadra.

Un demi-siècle après la conclusion des accords d'Evian qui scellent l'indépendance de l'Algérie, le sujet est toujours explosif. Alors que nombre de protagonistes des deux partis sont encore de ce monde, il faut du courage pour s'attaquer au thème, de l'habileté pour ne pas relancer la polémique. L'exercice est sans doute plus aisé pour un Algérien de souche qui pourrait s'enorgueillir de cette page de l'histoire de son pays. Mais là n'est pas le propos de Yasmina Khadra. Il prône l'apaisement.

Il relate les faits sans parti pris et les opinions avec impartialité. Bien entendu il évoque aussi quelque part – il le fallait bien - les sources du mal, avec ce racisme latent qu'il rapporte par la bouche d'Isabelle : « Je suis une Rucillio, as-tu oublié ?… Tu m'imagines mariée avec un arabe ?... Plutôt crever ! ». Ce mal contre lequel Younès, alias Jonas, n'imaginera même pas se révolter, même s'il lui vole son bonheur. Mais Yasmina Khadra veut dépasser les clivages pour donner la parole au coeur. Il veut exprimer la somme de souffrances que les contemporains de cette époque en ce pays ont pu endurer, au cours de ce qu'on appelait pudiquement en métropole « les événements ».

Aussi toute généralisation étant forcément abusive, l'humanisme de l'auteur veut nous mettre en garde contre les assimilations. Emilie en sera le symbole. Elle s'insurgera de voir Younes ne pas répondre à son amour déclaré au mépris de toute ségrégation : « as-tu jamais osé une seule fois dans ta vie ?».

Younes est un spectateur indolent des soubresauts de ce pays qui s'ouvre au nationalisme. Il passe à côté de cette guerre, même si le malheur le rattrape souvent. Il voudrait tant que les choses soient plus simples, que le coeur parle plus fort que la raison.

Métaphores, allégories, font de cet ouvrage une merveille de style imagé, à l'alternance bien dosée entre les dialogues, les portraits et la narration.

« L'hiver se retira un soir sur la pointe des pieds pour faire place nette au printemps. Au matin, les hirondelles dentelèrent les fils électriques et les rues de Rio Salado fleurèrent de milles senteurs. »

Un romantisme un peu désuet contrebalance la dureté des événements : « Elle n'était plus de chair et de sang. Elle était une éclaboussure de soleil. » Les éléments naturels sont autant de personnages qui animent le récit : « La fournaise des dernières semaines s'était calmée. Dans le ciel épuisé par la canicule, un gros nuage filait sa laine, le soleil en guise de rouet. »
Le vocabulaire est familier sans être populaire, riche sans être pédant, imagé sans être fumeux, toujours juste. « Ils élevaient autour de leur bonheur des remparts imprenables en s'interdisant d'y creuser des fenêtres. »

Ce que le jour doit à la nuit est un très beau roman, ses enjeux sont nobles, sa lecture est un régal.


mardi 19 août 2014

Les hirondelles de Kaboul ~~~~ Yasmina Khadra




« Laisse-la crever. Je t'assure qu'elle est à sa place là où elle est. Après tout, ce n'est qu'une femme. » Dans la bouche du milicien taliban Qassim Abul Jabbar, cette phrase résume le livre. C'est un ouvrage court et cinglant, comme un coup de cravache. Tels ceux avec lesquels ces fous de Dieu, dans Kaboul, rabattent les fidèles vers la mosquée.

C'est un ouvrage sur la disparition de la femme du paysage humain. Reléguée au rang de vecteur de procréation, à la seule fin de perpétuer les adorateurs de Dieu. La femme chosifiée, ainsi que se qualifie Zunaira, l'avocate condamnée à dissimuler sa beauté sous ce tchadri qu'elle exècre.
C'est un ouvrage sur l'effacement des cultures, sur le détournement des écritures saintes à des fins d'appropriation du pouvoir.

C'est un ouvrage dans lequel des créatures sanguinaires, avec pour toute culture celle de la Kalachnikov, y parachèvent un obscurantisme nauséabond. C'est l'ouvrage du désespoir fait homme.

Kaboul n'est plus qu'un épiderme squameux où les tumulus des tombes comblées à la hâte, au gré des exécutions, sont autant de bubons qui témoignent de sa maladie.

Et pourtant, quelques sentiments émergent avec prudence de l'océan noir qui a englouti la joie de vivre dans ses abysses de haine. Des relents d'humanité se raniment alors, comme la flamme d'une bougie dans l'obscurité des catacombes. C'est ce qui arrive à Atiq, le geôlier malgré lui, qui laisse dépérir sa femme malade, sans le moindre secours. Il découvre un jour la grandeur d'âme de celle-ci, lorsqu'elle lui propose de prendre la place de Zunaira, condamnée à mort, à la faveur du tchadri, le voleur d'identité, qui pourra tromper les bourreaux.

Yasmina Khadra n'a pas son pareil pour traduire les ressentis, les infiltrer dans l'esprit de son lecteur et le convertir aux états d'âme de ses personnages.

Et au final le message qui passe. Prends garde ! Toi qui vis dans l'insouciance du confort. le sournois est dans ton dos. Jaloux de ton succès, il sera d'autant plus cruel qu'il aura forgé son ignorance et trompé son discernement au discours du prêcheur.

A lire absolument, d'un seul trait, comme un coup de cravache en travers de la figure. 

samedi 16 août 2014

Les révoltés de Cordoue ~~~~ Ildefonso Falcones

 


Comment se faire une idée de ce que pouvait être la vie des petites gens dans le sud espagnol, à la fin de la Reconquista, si ce n'est en lisant Les révoltés de Cordoue.

Des êtres sur le qui-vive perpétuel, dans un monde où règne la loi du plus fort. Des animaux traqués en quête de leur subsistance quotidienne, dans une société régie par les coutumes et la foi. La hiérarchie était celle de la naissance, la légitimité de toute position sociale celle de Dieu et la loi dictée par la religion. Bien piètre perspective pour le mal-né, le manant. Il n'avait alors de salut que dans le choix d'une mort fidèle à sa foi religieuse.

S'il est une constante en ce monde ce sont bien les conflits inter religieux. Notre actualité nous le prouve tous les jours. En cette fin de XVIème siècle en Espagne, après les juifs, un siècle plus tôt, les musulmans d'Andalousie à leur tour n'ont d'autre choix que se convertir ou s'expatrier, après sept siècles de coexistence confessionnelle.

C'est l'atmosphère dans laquelle évolue Ibn Hamid, alias Hernando Ruiz, maure espagnol traqué par une inquisition triomphante à l'heure où le christianisme reprend le monopole des consciences. Et pourtant, en dépit du double handicap d'être né maure et au bas de l'échelle sociale, notre héros va naviguer en eaux troubles, rejeté par les siens, mal accueillis par les chrétiens, et curieusement monter dans l'échelle sociale grâce aux sauvetages que sa philanthropie lui dicte aux hasard de ses revers de fortune.

Né d'une femme violée par un prêtre, il consacrera sa vie à tenter de mettre en évidence les traces dans la genèse de chaque religion qui pourraient les rapprocher et les faire vivre en harmonie. Il gardera au coeur l'amertume de voir ces deux mondes restés irréconciliables
Les cruautés sont le lot quotidien de ces êtres enchaînés par leur foi. On s'étonne de la froide détermination des tortionnaires à tailler dans les chairs, briser les membres, faire couler le sang, arracher les enfants à leur mère. On s'étonne encore plus à voir les suppliciés chevillés à leur foi, lui rester fidèles sous le calvaire de la question. Doux euphémisme qui ne traduit pas son lot d'horreur et de souffrance. Les sentiments, les convictions sont d'autant plus forts que le contexte dans lequel il s'exprime est féroce.

C'est un ouvrage qui montre la force de l'ancrage de la religion transmise à la naissance, perpétuée par l'éducation, la force des femmes qui, plus que les hommes, endurent les conséquences des conflits, la force des sentiments de cette époque régie par des valeurs dont notre monde d'aujourd'hui se démunit.

Toutefois, l'écueil potentiel avec ce genre de gros volume est de provoquer des longueurs dans l'intrigue. La plume facile d'un auteur capable de produire une telle fresque historique romancée peut fort bien être trahie par son souci du détail et se trouver à la peine pour conserver l'attention de son lecteur au long de certains chapitres. C'est un peu ce qui se produit avec cet ouvrage d'Ildefonso Falconnes. Il n'aurait pas démérité avec une réduction d'un bon tiers de son nombre de pages. A l'instar de la cathédrale de la mer qui m'avait incité à m'attaquer à ce nouveau roman de son auteur.

La traduction a-t-elle aussi peut-être modernisé certaines expressions au point de les rendre presque anachroniques ? Les révoltés de Cordoue, qui aurait pu conserver son titre original, La main de Fatima, n'en reste pas moins un excellent ouvrage remarquablement documenté sur une période douloureuse de l'histoire de l'Espagne. Je le recommande aux amateurs de beaux romans historiques.


mardi 5 août 2014

Inch Allah Tome 1~~~~Gilbert Sinoué

 


En août 2014, nous connaissons une fois de plus une flambée de violence au Moyen-Orient. Expression devenue banale dans le langage journalistique de nos jours. Expression usée qui ne dépeint désormais plus son lot de souffrance et de mort dans l'esprit des Européens blasés que nous sommes. Des Européens qui ont soit oublié, soit jamais appris, leur part de responsabilité dans cette tragédie sans issue, fruit de politiques expansionnistes désastreuses.

L'armée israélienne réplique comme elle sait bien le faire à des provocations de la part des Palestiniens de la bande de Gaza. le sang coule encore, comme cela se fait depuis bientôt un siècle dans cette région, depuis cette fameuse déclaration Balfour envisageant la création d'un foyer national pour le peuple juif en Palestine.

Qui est légitime pour posséder cette terre sacrée et maudite à la fois ? Gilbert Sinoué nous introduit dans cette poudrière et a choisi de nous rappeler à l'histoire en nous faisant vivre le quotidien de familles palestinienne, irakienne, syrienne, et égyptienne. Il nous convainc que le Moyen-Orient fera encore longtemps la une de l'actualité, non seulement pour notre génération, mais aussi pour nombre de générations à venir.

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Natif de cette région, de cette époque qui a connu le Souffle du jasmin et vu l'Egypte se sortir des griffes du lion britannique, qui mieux que lui pouvait nous emporter dans ce tourbillon, avec la force du romanesque qu'on lui connaît, pour nous imprégner des rancœurs, des colères, du désarroi de ces peuples condamnés à se déchirer. J'aborde avec le plus grand intérêt le tome 2 d'Inch Allah, cette épopée de notre temps.


dimanche 27 juillet 2014

L'âme du monde ~~~~ Frédéric Lenoir

 



Les pessimistes diront qu'un tel ouvrage est un coup d'épée dans l'eau. Les optimistes seront satisfaits d'y trouver un auteur qui ose encore prôner la sagesse. Est-ce bien raisonnable dans notre société de consommation pour laquelle le bonheur est fondé sur le pouvoir d'achat ?

Ce stade est même déjà dépassé. le toujours plus a trouvé ses limites. A peine le bien désiré est-il acquis que la convoitise s'oriente vers un autre. Alors cette fuite en avant cherche déjà ses dérivatifs et l'esprit matérialiste se brûle les ailes dans la quête de paradis artificiels. Les drogues et autres psychotropes inondent le monde, toutes classes confondues. On n'apprécie plus rien sans effets spéciaux. Les médias suscitent le besoin, entretiennent la frénésie consommatrice, font miroiter des nirvanas aux démunis, traquent et harcèlent les plus réfractaires à l'achat. Comment imaginer qu'on puisse « quitter cette logique de l'avoir pour passer à celle de l'être ». C'est pourtant ce que suggère Frédéric Lenoir avec cet ouvrage qui veut remettre en lumière les clés de la sagesse.

L'auteur extirpe de leur quotidien huit personnages, religieux et laïcs, de tous âges, y compris des enfants, et bâtit un conte moderne qui les conduira dans la vraie quête, celle de la plénitude. le monde terrestre est au bord d'un cataclysme majeur. L'espèce humaine est parvenue, essoufflée, au terme de sa course dans l'erreur, au fond de l'impasse. Elle va prendre un nouveau départ. Ces huit sages qui représentent l'ancienne voie, réunis à Toulanka, vont tenter, forts de leur expérience malheureuse, de donner les bases saines d'un nouveau départ à deux jeunes adolescents. Cette nouvelle voie ne peut donc plus être celle de la satisfaction des instincts primaires. Elle n'est pas non plus celle des religions. Elles ont prouvé leur inaptitude à réunir les hommes. Elles prêchent toutes la tolérance et ont dans le même temps été à l'origine de la plupart des conflits qui ont fait se déchirer les peuples. Cette nouvelle voie ne peut donc être que celle de la sagesse.

C'est un conte des temps modernes auquel Frédéric Lenoir nous convie, dans le sens où il se tient de nos jours. Mais aussi un conte modernisé, car il a une valeur intemporelle et ne fait finalement que remettre au goût du jour les préceptes des philosophes de l'antiquité. A ceci près que de nos jours, la machine s'est emballée, tout va trop vite, il faut lever le pied. Il faut prendre le temps de refaire connaissance avec soi-même, se libérer de l'esclavage que nous imposent nos instincts. Il s'agit pour chacun de retrouver un nouvel équilibre, en harmonie avec le monde, dépassant les limites de sa propre vie sur terre.

Et tout commence par l'estime de soi. Car il n'est pire ennemi que soi-même. Estime de soi, qu'il ne faut pas confondre avec narcissisme ou promotion de son égo. « L'égo veut prendre et dominer ». L'estime de soi est la condition sine qua none pour entrer en harmonie avec le monde dans lequel on vit.

Une lecture superficielle de cet ouvrage laissera l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, de déclamer des évidences. Et pourtant ! Les choses ne sont-elles pas finalement toutes simples.
Une première lecture intégrale vous laissera le goût de revenir dans ces chapitres, au hasard. de rechercher les multiples interventions lorsque « le sage prend la parole et dit : ». Il faut alors écouter la parole du sage, refermer le livre, prendre son temps, méditer, s'interroger, comprendre, regarder autour de soi, regarder en soi, pour finalement s'accepter tel que l'on est, accepter les autres tels qu'ils sont. Accepter son sort aussi, avec son début et sa fin, pour comprendre que cette fin n'est qu'apparente, que tout être se perpétue dans l'Âme du monde.

Ce n'est pas un ouvrage religieux. Il serait même presque anti religieux. Il clame haut et fort « qu'aucune religion ne peut prétendre posséder la totalité de la vérité. ». C'est tout sauf de la béatitude.

Il ne faut pas craindre de lire l'Âme du monde, de placer repères et des index dans ces pages, de le crayonner pour retenir ce que l'on veut, retrouver ces préceptes si évidents qu'on les a oubliés, et surtout oublié de les mettre en pratique.


samedi 12 juillet 2014

Petit traité d'histoire des religions ~~~~ Frédéric Lenoir



Un petit traité, certes, mais un ouvrage suffisamment documenté pour qui veut s'ouvrir à la connaissance des religions sans devenir un spécialiste. Et peut-être une base de départ pour qui voudra approfondir le sujet.

Un excellent tour d'horizon sur le thème, dans l'espace et dans le temps. Avec en prime l'allégation incontestable que les religions sont invention de l'homme, donc forcément dans l'erreur quand elles revendiquent la possession de la vérité et l'universalité de leur prêche.
Difficile de rester neutre sur le sujet. Frédéric Lenoir y parvient. La thèse à soutenir est que toutes ont leur raison d'être ou de ne pas être. L'important étant de ne rien imposer et de laisser chacun à sa croyance devant le grand mystère de la vie.
Une religion n'est jamais qu'une secte qui a réussi.


lundi 9 juin 2014

L'équation africaine ~~~~ Yasmina Khadra

 


Il faut savoir terminer un roman. le lecteur qui progresse au fil des pages s'interroge toujours sur l'épilogue. Quand on replace cet ouvrage de Yasmina Khadra sur le rayon de sa bibliothèque, on se dit qu'on y reviendra. Avec un sujet aussi grave, la fin ne déprime pas. Elle est un peu comme la flamme d'une bougie dans un univers de ténèbres. Fragile, mais obstinée. C'est une force dans la conception d'un ouvrage que de savoir le terminer sans pour autant laisser augurer de l'issue dès les premiers chapitres. Et si je commence par la fin, c'est que je m'y suis retrouvé sans m'en rendre compte, tellement le voyage a été absorbant.

La fin est une chose, mais le corps du texte en est une autre. Et là encore, cet ouvrage de Yasmina Khadra, c'est du généreux, du sincère, du bienfaisant. Quel plaisir de lire de telles pages de littérature, dans une langue de qualité.

J'avais découvert cet auteur avec " L'attentat". Je m'étais promis d'approfondir sa connaissance et le fais avec " L'équation africaine". Je confirme ma première impression, la conforte même. Cet ouvrage, plus encore que le premier, me subjugue par la qualité de la retranscription des sentiments, de leur traduction en mots, en phrases. Et Dieu sait si l'exercice est difficile. La colère, la révolte, la résignation, le découragement, l'indignation, la détresse, la déprime, l'irritation, le mal-être, l'humiliation, le lecteur se les approprie, les ressent à la place des héros. Mais curieusement jamais de haine. Comme si finalement, après l'avoir déprécié, déconsidéré, Yasmina Khadra révèle une foi souveraine en l'Homme. Et puis bien sûr, et heureusement, l'espoir, la jubilation. Même l'amour dont on perçoit le frisson, ses bouffées de sensualité, presque incongru, mais tellement troublant et tyrannique.


Pour avoir vécu quelques temps en Afrique de l'est, j'ai retrouvé dans ces pages la touffeur de l'air immobile surchauffé, le sable qui colle à la peau moite, la bouche douloureuse de sécheresse, le regard qui se perd sur ces étendues de sables et de roches volcaniques, l'usure du corps et de l'esprit sur les pistes rocailleuses quand chaque pas est un exploit.

Il y a certes de l'action dans ces pages, mais la richesse est surtout dans cette capacité à décrire et faire comprendre les états physiques et psychologiques, le ressenti, le vécu intérieur. J'ai retrouvé ce qui avait retenu mon intérêt chez cet auteur avec peut être encore plus d'acuité. Une force suggestive inouïe.

Placés dans un contexte contemporain, dans les soubresauts désordonnés des confrontations modernes, les protagonistes vont vivre des événements avec une intensité paroxysmique. Ils en connaissaient certes l'existence, mais de façon dérisoire, à la manière de l'Européen blasé qui se fait bourrer le crâne des malheurs du monde par les médias, sans savoir ce que cela recouvre réellement. Comme une fiction.

Mais aussi, à quoi sert la détresse si elle n'a pas de spectateur. Si elle ne peut pas éclater à la face du monde. de ce monde de nantis qui vivent dans le confort, abreuvé d'informations dont ils ne mesurent pas le poids de souffrance. Quand il ne reste alors aux êtres abandonnés que ce combat d'arrière-garde contre la mort en ultime bravade dédaigneuse. Là est la vérité du vivant sur terre.
Je me suis promis de relire cet ouvrage pour en capter toute la substance. On ne peut pas la percevoir dès la première lecture. Il n'y a aucune phrase superflue, aucune fioriture. Tout est vrai, lourd de sens. Même l'anecdote, quand au milieu de nulle part, lorsque le regard du novice ne voit que sable et cailloux, alors qu'il croit être seul au monde, surgit d'on ne sait où, comme de sous une pierre, un enfant au regard fixe, une femme décharnée, ployée sous le poids d'un bidon d'eau ou d'un fagot de bois. Ce n'est pas anecdotique en fait. C'est vrai. C'est le désert qui vit. C'est l'Afrique.


samedi 7 juin 2014

L'enfant de Bruges ~~~~ Gilbert Sinoué

 



Avec cet ouvrage, Gilbert Sinoué nous transporte au 15ème siècle, dont les historiens ont fait une transition entre la Moyen-âge et le Renaissance, avec pour décor les prestigieuses cités de Bruges et de Florence. C'est un véritable “polar” dans lequel l'intrigue et les personnages tiennent le lecteur en haleine, jusqu'à ce que … le soufflé retombe. Mais n'en disons pas plus quant au dénouement.

La technique émergente de la peinture à l'huile est venue concurrencer, et peut-être condamner, la peinture a tempera. C'est en tout cas ce qui suscite l'intrigue. Je veux bien admettre être passé à côté de l'événement - de cette locution latine aussi - mais celui-ci est présenté comme une véritable révolution dans l'histoire de “l'Art des arts”. A tel point qu'il provoque un choc des consciences contemporaines averties et une réaction aux tournures imprévisibles, à la violence aveugle.

Comme à l'habitude avec Gilbert Sinoué, nous prenons une leçon d'histoire. Outre bien sûr le héros, Jan van Eyck, grand peintre flamand, on fréquente la cour de Côme de Médicis à Florence, on s'y rappelle que le Duc de Bourgogne régnait sur les Pays-Bas, que Nicolas Rolin a fait ériger les Hospices de Beaune, que nous sommes à l'époque de l'ouverture au Nouveau Monde, à la veille de la démocratisation de l'écrit par l'imprimerie et enfin que les Grands de ce monde l'étaient d'autant plus qu'ils s'érigeaient en mécènes.

Ce n'est pas, à mon sens, le fleuron de la bibliographie de Gilbert Sinoué. C'est comme ça que je le perçois. Mais avec cet auteur il y a toujours des richesses à glaner et cela reste d'un excellent intérêt. Ne serait-ce par l'ancrage de ces péripéties dans un contexte historique et les sujets de réflexion que cet ouvrage suscite sur le rôle de l'art dans la société et dans la vie tout simplement.

Il y a bien sûr aussi ces thèmes qui pourraient être perçus comme secondaires mais qui fondent en réalité la pensée humaniste de l'auteur. On les retrouve dans ces fameux coups de griffes à tous les promoteurs d'intolérance et d'immoralité auxquels il nous habitue dans ses ouvrages. L'esclavage est un des thèmes ciblé dans celui-ci, où les Noirs africains y sont présentés, dans la bouche d'Anselm de Veere, comme le “brouillon de Dieu” avant la création de sa grande oeuvre. On s'interroge aussi sur la place de la Femme dans ce roman très masculin, son accès difficile au devant de la scène. La mère adoptive de Jan est effet une marâtre mal aimante. Sa mère biologique ne fait qu'une apparition fugace. Elle est blâmée du crime d'abandon, même si pour son rachat, l'auteur lui fait donner sa vie pour sauver son enfant.

Quant au sujet essentiel de cet ouvrage dans la monde de l'art, on appréciera les descriptions documentées des techniques picturales, mais aussi la compréhension de ce principe du mécénat, seule chance pour un artiste d'émerger et de vivre de son art. C'était bien entendu extrêmement élitiste. Dans ce domaine, comme dans la vie en général à cette époque, seuls les plus forts avaient des chances de survivre. C'était pour l'art, en tous cas, un gage de qualité.