Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

jeudi 14 janvier 2016

L'insoutenable légèreté de l'être ~~~~ Milan Kundera

 




 L'amour, c'est le désir de cette moitié perdue de nous-mêmes.

Le vertige. C'est le mal dont tu pourrais souffrir en lisant cet ouvrage. Le vertige, cet appel d'en-bas, celui de la pesanteur de ton corps, quand ton âme, elle, voudrait te tirer vers le haut.

Ton corps est affecté de pesanteur, c'est pourtant celui qui t'incite à la légèreté, quand ton âme, immatérielle, est celle qui pondère tes ardeurs. Surprenante et sempiternelle dichotomie – le mot revient plusieurs fois dans l'ouvrage de Milan Kundera : L'insoutenable légèreté de l'être.

La vie est un éternel tiraillement entre tout et son contraire. Le haut et le bas, le bonheur et le malheur, la damnation et le privilège. Mais la vie n'est jamais qu'un roman dont les chapitres se construisent sur des hasards.

Celui-ci de Milan Kundera est une errance dans la vie de couples qui se font et se défont dans le contexte du régime tyrannique de la Tchécoslovaquie des années soixante-dix, alors que les chars du grand frère soviétique imposent sa loi dans les rues de Prague.

N'as-tu jamais rêvé d'observer ton corps depuis l'extérieur, comme une enveloppe charnelle que tu quitterais ainsi qu'un vêtement ? C'est un autre voyage auquel t'invite Milan Kundera. Mais attention tu pourrais être soumis au vertige et y perdre ton âme alors que ton corps te précipice dans l'abîme de ses bas instincts.

Et pourtant, de vie, tu n'en n'as qu'une. Tu n'as pas de coup d'essai. Tu ne pourras pas corriger tes erreurs.

Toi, le lecteur que l'auteur interpelle, c'est donc moi. Je suis sorti de mon corps et m'observe maintenant avec cet ouvrage dans les mains, subjugué et dubitatif à la fois.

C'est ce que je comprends dans le premier ouvrage que je lis de Milan Kundera. Je l'ai adoré. Mais avec la légèreté qui me caractérise, j'ai bien conscience de ne pas en avoir évalué tout le poids.

Oui, j'ai aimé lire ce livre. J'ai aimé l'ancrage de ses inspirations philosophiques dans le trivial de la vie animale de l'homme. Grand écart entre la lourdeur du vulgaire, parfois obscène, et la majesté du transcendant, toujours éminent.

L'Homme est fait comme ça. Je suis fait comme ça. Perpétuellement écartelé entre l'abjecte et le sublime, entre le dedans et le dehors de moi-même.

Il faudra que je revienne vers cet ouvrage, me replonger dedans, corps et âme, pour tenter d'en approfondir la compréhension. Tenter d'apprécier le poids que peuvent avoir des réflexions qui n'ont pas de matérialité. Pas de poids justement.


mercredi 6 janvier 2016

La pitié dangereuse~~~~~Stefan Zweig

 



Autant l'amour peut être spontané et inconditionnel, autant la pitié est un élan du coeur qui doit être maîtrisé, au risque de devenir dévastateur. Cette mise en garde est celle que le docteur Condor adresse à Anton Hofmiller. Ils sont l'un et l'autre deux personnages parmi ceux de ce qui restera à jamais comme le seul roman achevé de Stefan Zweig: La pitié dangereuse.

Le hasard a voulu qu'à peine parvenu au point final de ce livre, je m'engage dans une autre lecture que, dès les premières dizaines de pages, je pressens déjà comme un autre grand moment de prospérité intellectuelle. Je veux parler de "L'insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera. Je sais, vous allez me dire qu'il était temps. Mais même si j'ai pris de l'âge, je me plais à clamer que je ne suis encore qu'un nouveau-né en matière de littérature. Je m'en convaincs tous les jours en observant les quantités d'ouvrages qui me toisent du haut des rayons de mes librairies préférées.

J'invoque le hasard en pareille circonstance, car dans l'ouvrage de Kundera, de pitié il est aussi question. Elle n'en constitue certes pas le thème principal, mais elle y est évoquée en ce contexte et ces termes : "le mot compassion signifie que l'on peut regarder d'un coeur froid la souffrance d'autrui; autrement dit: on a de la sympathie pour celui qui souffre. Un autre mot qui a à peu près le même sens, pitié, suggère même une sorte d'indulgence envers l'être souffrant. Avoir de la pitié pour une femme, c'est être mieux loti qu'elle, c'est s'incliner, s'abaisser jusqu'à elle." Je n'augure pas de collusion entre cet ouvrage et celui de Stefan Zweig, mais le hasard m'aura fait ce clin d'oeil. De hasard d'ailleurs il est beaucoup question dans l'ouvrage de Milan Kundera.

"S'abaisser jusqu'à elle". C'est sans doute l'expression qui traduit le mieux la douleur d'Edith de Kekesfalva, la jeune héroïne malheureuse du roman de Stefan Zweig. Ce dernier dépeint la tyrannie avec laquelle son infirmité a irrémédiablement déclassé la jeune fille par rapport à son entourage, alors que sa beauté et sa position sociale lui laissaient briguer une autre position, vis-à-vis d'éventuels soupirants en particulier. Cruauté du sort.

La pitié dangereuse est un ouvrage qui se lit en une respiration. Il piège son lecteur dans une apnée de l'esprit qui le déconnecte de son environnement. L'aventure sentimentale que vit son héros, Anton Hofmiller, est une forme de dilemme cornélien. Celui que s'est infligé, sans y prendre garde, un jeune officier de la société très codifiée de l'Autriche-Hongrie à la veille de la première guerre mondiale. Il est devenu prisonnier de sa pitié, comme l'est de son fauteuil celle qui a suscité sa compassion, alors que les codes moraux de la condition de celui-ci lui commandaient de ne pas sacrifier son honneur, en prêtant à penser par exemple qu'il aurait pu marchander ses sentiments pour acheter une position sociale. Sa propre liberté est elle aussi en question dans cet élan spontané.

Voilà un ouvrage qui vous pousse dans les retranchements de vos émotions. Certains passages vous font les jambes de plomb. Ils parviennent à vous installer dans l'esprit d'un corps privé de sa mobilité. On y apprend la dépendance, l'impossibilité pour une personne de se porter à la rencontre de celle que son coeur a choisie, d'être réduite à attendre son bon vouloir, "enchaînée à la terre" qu'elle est par son handicap. On y apprend l'univers rétréci aux murs d'une pièce. On y apprend le désespoir, la révolte et le sentiment d'injustice qui endeuillent le coeur d'une adolescente lorsqu'elle perd l'usage de ses jambes.

C'est bien évidemment et sans surprise, comme son titre le présage, l'exploration du sentiment de la pitié, qui constitue le thème central de ce roman. Stefan Zweig dresse une véritable autopsie de cette "maudite vague de compassion" lorsque de "force dévouée" elle devient "faiblesse meurtrière". On y découvre comment le piège s'est refermé sur le jeune officier, lorsque sa volonté de bien faire est payée en retour par le harcèlement d'une passion dévorante. Elle le surprend et le laisse désarmé : "Jamais, dans mon innocence, je n'aurais pu imaginer que les disgraciées de la nature, elles aussi, osassent aimer."

Le médecin traitant de la jeune paralytique, le docteur Condor, en thérapeute averti, sait qu'à défaut de déboucher sur le sacrifice entier de son auteur par un dévouement total et inconditionnel, la pitié reste "molle et sentimentale". Le remède devient poison. Le malade s'accoutume à la pitié comme la douleur à la morphine. Les doses augmentées n'y suffiront jamais. C'est un cercle de perdition.

Il est des auteurs qui ont une capacité supérieure à analyser et comprendre les sentiments, la psychologie de leurs semblables. Stefan Zweig est de ceux-là. Sa force inspiratrice lui confère une puissance évocatrice stupéfiante. La fluidité de son texte autorise une appropriation immédiate de celui-ci par le lecteur, pour son plus grand confort intellectuel. Le résultat est une forme de rêve littéraire éveillé. C'est prodigieux.

Ce genre de littérature grandit son lecteur. La contrepartie est toutefois qu'elle grandit plus vite les sommets de la culture qui le surplombent.

Plus je grandis, plus je rapetisse. J'en ai marre. Demain j'arrête de lire. Enfin, peut-être pas. On verra. Pour le moment j'ai rendez-vous avec Kundera.


mardi 22 décembre 2015

L'enfant et la rivière ~~~~ Henri Bosco



Voilà une belle ode à la nature. Une ode à l'amitié aussi. Une plaisante histoire pour la jeunesse dans laquelle les grands y trouveront aussi leur compte, tant l'écriture faite d'une cascade de phrases courtes et simples est agréable. La lecture s'en trouve alors comme la rivière, limpide, rapide et impétueuse.

La fraîcheur des sentiments, la spontanéité des personnages donnent de la délicatesse à ce conte. J'ai aimé cet intermède dans le climat de notre monde devenu si compliqué. le texte n'est en outre pas dénué de profondeur.

Un moment de lecture bien sympathique aux délicieuses tournures poétiques. Je me fais la promesse de m'autoriser d'autres infidélités à la morosité ambiante de notre monde moderne en me hasardant avec quelqu'autre ouvrage d'Henri Bosco.

jeudi 17 décembre 2015

Le feu ~~~~ Henri Barbusse

 


En peine de décrire l'inconcevable, la plupart se sont tus.

Henri Barbusse a su trouver les mots. Il a su leur donner un sens pour exprimer ce qu'aucune imagination n'aurait pu concevoir.

Il a su écrire l'horreur des tranchées : la boue, le froid, la vermine, les odeurs nauséabondes, la peur qui glaçait le sang quand le cri du gradé commandait de monter à l'assaut.

Il a su nous parler de ces hommes fauchés par la mitraille, agonisant sans secours, des survivants qui entendaient leurs plaintes s'éteindre dans la nuit, des corps déchiquetés qui n'étaient déjà plus rien, plus que chair pourrissante, à rendre l'atmosphère irrespirable.

Il a su dire l'incompréhension de ces humbles, extirpés de leur atelier, de leur ferme, pour aller en affronter d'autres, aussi mal lotis. Il a su dire l'attente angoissée des épouses, la terreur de voir le maire du village s'arrêter devant la porte, revêtu de son costume sombre et de son écharpe tricolore.

Henri Barbusse a su écrire tout cela. Avant même que cela ne cesse. Avant même que l'abattoir officiel n'arrête sa funeste entreprise, sous couvert de patriotisme. Avant même que la folie collective ne s'éteigne. Et que renaisse l'espoir. Enfin.

La première guerre mondiale est un événement qui me fascine d'horreur. Mon imagination est dépassée par la dimension inconcevable de pareil mépris de la personne humaine.

Henri Barbusse n'a pas eu besoin d'artifice pour décrire l'horreur. Les mots de tous les jours ont suffi. Car l'horreur était le quotidien des tranchées.

Le feu. Un ouvrage qui vous prend aux tripes.


vendredi 4 décembre 2015

Magellan ~~~~ Stefan Zweig

  


Magellan aura réussi 'l'exploit le plus magnifique de toute l'histoire de la navigation" nous dit Stefan Zweig. C'est encore vrai cinq siècles plus tard. "Cet homme sombre, renfermé, taciturne, sans cesse prêt à tout mettre en jeu, y compris sa vie, pour le triomphe de son idée" aura fait preuve d'une volonté et d'une ténacité inouïes dans son combat contre l'inconnu.

Aucune entreprise humaine n'aura autant été supportée par un seul homme, y compris et surtout lorsqu'il devra imposer sa volonté, seul contre tous, au milieu des immensités marines, dans la plus parfaite ignorance de leur devenir.

C'est une force de caractère hors du commun qui a accroché son nom à jamais au bout du continent américain. Cette inscription dans la grande histoire n'est que justice à l'égard de celui qui a fait preuve d'une foi inébranlable pour que l'homme trace les contours de zones vierges de sa connaissance et dessine sur la mappemonde le passage qui relie les deux grands océans Atlantique et Pacifique.

Formidable aventure superbement contée par Stefan Zweig. Avec son style savoureux et précis, cet auteur sait faire de la vie d'un personnage, non pas une biographie, mais une jouissance romanesque.

Cet ouvrage est passionnant.

 

Fouché ~~~~ Stefan Zweig

 


Fouché : une biographie comme un roman.

Stefan Zweig ne nous assomme pas avec l'enchaînement des dates d'une chronologie fastidieuse. Il dresse un magnifique portrait, une remarquable analyse psychologique de ce citoyen pour le moins singulier dans l'histoire de notre pays. Un personnage qui aura été capable de survivre politiquement, de survivre tout court, dans une époque aussi troublée, aussi riche en bouleversements, que celle qui va de la Révolution française à l'Empire. Une prouesse quand on sait à quelle facilité les têtes roulaient dans la sciure.

La preuve est faite avec un personnage comme Fouché que pour durer en politique, il faut être un calculateur froid, un intrigant de haut vol. Stefan Zweig nous donne tous les arguments pour à la fois détester et admirer ce personnage qui surnage en ces temps d'une rare intensité dramatique.

La preuve est faite avec Stefan Zweig que la relation de l'histoire peut ne pas être ennuyeuse. Très bel ouvrage. 

mercredi 25 novembre 2015

L'écume des jours ~~~~ Boris Vian

 


L'écume des jours ! Difficile d'avoir un avis mitigé. On aime ou on n'aime pas. Je ne connaissais Boris Vian que de nom. Cette lecture m'a donné le goût de m'intéresser à ce phénomène qui a pu produire un tel ouvrage. Je me suis documenté sur sa vie, son œuvre. J'ai alors fait connaissance avec un musicien passionné de Jazz, un formidable touche-à-tout qui s'est distingué dans tellement de disciplines artistiques et culturelles. Le magnifique site Internet qui lui est dédié restitue bien l'originalité de ce personnage truculent. Je suis convaincu qu'il l'aurait aimé. De son côté Patrick Poivre d'Arvor lui a consacré une fort belle émission dans sa série "une maison, un écrivain". Combien de célébrités du monde la chanson ont chanté ses textes innombrables ?

En refermant cet ouvrage, le cartésien que je suis se demande encore comment il a pu en venir à bout. A n'en pas douter à cause de son côté émotif. Car L'écume des jours est avant tout une belle histoire d'amour. Seulement voilà, c'est loufoque au possible. Ça respire la "provoc" du courant zazou des années 40, même si Boris Vian ne l'a pas revendiqué. C'est un pied-de-nez à la société de la vieille Europe qui ne s'est pas remise du traumatisme de la guerre. Boris Vian lui désigne un nouveau modèle de vie. Celui qui a enfanté le jazz.

Dans sa vie trop courte, il n'a pas connu le succès espéré avec cet ouvrage. Ses contemporains avaient les pieds sur terre, ou plutôt dans la boue, celle du marasme des années 40. Ils n'étaient pas prêts à se faire bousculer par le saugrenu, le décalé, jusqu'à l'absurde.

Car il faut tout changer dans cette société, pour ne pas repiquer au drame. Il y a dans cet ouvrage comme une urgence à faire bouger les choses. La vie est courte. Celle de Chloé, mais peut-être aussi celle de son auteur. La vie ne doit pas être prise au sérieux. Sauf quand elle met ton amour en danger. C'est alors l'escalade dans le délire. La machine s'emballe. A sa manière, Boris Vian te jette à la figure le ridicule du quotidien, de tous les gestes, de toutes les paroles de ceux qui vivent quand d'autre meure. D'autre que l'on aime par-dessus tout.

Mais même dans la tragédie, la dérision relève la tête. Alors quand Chloé est aux portes de la mort, il nous pose une question : "…est-ce que du point de vue moral, il est recommandable de payer des impôts, pour avoir en contrepartie le droit de se faire saisir parce que d'autres payent des impôts qui servent à entretenir la police et les hauts fonctionnaires, c'est un cercle vicieux à briser, que personne n'en paie plus pendant assez longtemps et les fonctionnaires mourront tous de consomption et la guerre n'existera plus."

Alors, on aime ou on n'aime pas ? J'avoue quand même que j'ai eu du mal. Et même si je reconnais qu'il y a quelques pépites que je resservirais volontiers, j'ai du mal à voir dans cet ouvrage ce qu'on vante dans les milieux "autorisés" comme l'un des cent meilleurs romans du XXème siècle. J'ai plus été fasciné par le personnage, son urgence prémonitoire de consommer la vie par les deux bouts, que par cette œuvre.

samedi 21 novembre 2015

Lettre d'une inconnue ~~~~ Stefan Zweig

 


Un cœur qui cherche une oreille compatissante à laquelle se confier, se soulager d'un mal qui le ronge : serait-ce une obsession chez Stefan Zweig ? Amok, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, Le joueur d'échecs, et d'autres peut être que je n'ai pas lus, sont dans cette conception.

Si certaines confidences bénéficient d'une écoute attentive pour s'épancher, La Lettre d'une inconnue force quant à elle la porte de son destinataire. Elle espère y trouver l'écho, certes posthume, auquel sa rédactrice aspirait depuis que son cœur a porté son dévolu sur un homme, un jeune écrivain déjà célèbre. Il ne l'a jusqu'alors payée en retour que d'indifférence.

On ne connaîtra pas l'identité de cet ingrat adulé. Stefan Zweig s'adresse-t-il cette lettre à lui-même ? S'accable-t-il de froideur quand une femme s'enflamme de passion à son endroit ? Se sert-il de son ressenti pour disséquer ce qui éloigne homme et femme quand une volonté supérieure voudrait les rapprocher ?

"Les femmes vivent dans le passé, nous autres dans l'avenir, …" déclare-t-il dans ses Journaux. Il cherche en quoi et comment les contraires pourraient trouver leur complémentarité dans une collusion sentimentale devenue improbable.

Les femmes vivent l'amour dans l'idéal, le rêve. Les hommes dans l'accomplissement. Pour elles, la relation charnelle est un aboutissement, pour eux c'est une conclusion. Elles savent donner quand eux ne savent que prendre. Voire peut-être même dérober. Pour elles encore, aimer est une grâce divine quand pour eux ce n'est qu'une promesse de volupté.

La passion insensée que cette femme déclare dans sa lettre est initiée dès l'adolescence, décrite avec les outrances de cette période de la vie. Ancrée au plus profond de l'être sensible, elle se prolonge dans la maturité. Elle est cependant étouffée, pour ne pas déranger. Même et surtout quand un abandon occasionnel, pourtant non récompensé de l'attention tant désirée, aura été fécond. Appropriation égoïste d'une parcelle de bonheur en forme de compensation ?

Le supplice psychologique est-il une autre obsession chez Stefan Zweig. Il aborde avec cette lettre le drame de l'amour insensé confronté à la désinvolture. Après le deuil de son amour, celui de son enfant, l'auteure de la lettre, dont on ne connaîtra pas le nom, ne pourra alors se résoudre à faire le deuil de la révélation. Certainement pas pour insuffler le remord dans les pensées de l'être idolâtré, seulement et pathétiquement pour glaner un peu d'attention de sa part.

Cette nouvelle est-elle exempte de narcissisme quand l'être adulé présente tant de ressemblances avec son concepteur ? Beaucoup de questions quant à l'intention de Stefan Zweig avec la publication de ce texte, lui qui n'a jamais voulu avoir de descendance. Il n'en reste pas moins que l'exploration de cette situation, caricaturale à dessein, est d'une intensité dramatique troublante. Un vrai travail d'orfèvre dans l'approche de la perversion du destin.


samedi 10 octobre 2015

La plus que vive ~~~~ Christian Bobin

 



Christian Bobin s'adresse à sa femme, au présent. Au gré des pages l'imparfait la lui vole. Il se reprend vite, dès qu'il s'en rend compte.

Il refuse le présent sans elle. Il refuse d'être avec elle à l'imparfait.

Sa femme est morte.

La plus que vive est un ouvrage qui nous apprend la "brume sur la terre vidée de son rire". Il nous apprend l'amour avec des mots de tous les jours.

Le bonheur c'est toujours à l'imparfait.

Ce n'est pas apitoyant. C'est bouleversant.


vendredi 2 octobre 2015

Les cerfs-volants ~~~~ Romain Gary



 

Mémoire. Amour. Espoir. Quelle apothéose !

Depuis que j'ai découvert cet auteur, chacun de ses ouvrages est pour moi une étreinte. Je me sens en harmonie avec sa pensée, sa philosophie sans dieu, sa distance avec le bien et le mal, ce ressenti intime qu'il sait insinuer en moi au travers de ses mots et trouver mon adhésion.

Ce roman est certes une histoire d'amour. C'est surtout une preuve d'amour qu'il adresse à qui voudra la cueillir. Ultime offrande. De la part de celui qui sait mais ne juge pas. Romain Gary connaît la part inhumaine qui habite l'humain. La vie est à ses yeux une souffrance qui prend figure humaine. "Son visage me parut familier et je crus d'abord que je le connaissais, mais je compris aussitôt que ce qui m'était familier, c'était l'expression de la souffrance".

Il aime, mais a des scrupules à être aimé quand un autre nourrit la même aspiration et s'en trouve délaissé. L'univers féminin est son refuge. Les femmes, à commencer par sa mère, ont toujours été sujet d'admiration pour lui : "Notre père qui êtes au ciel, mettez le monde au féminin !"

Ami qui trahit, ennemi qui épargne, rien n'est définitivement bon ou mauvais. Il conserve le fol espoir de voir l'homme changer. Il le sait esclave de ses instincts. Il voudrait le voir se satisfaire d'un cerf-volant qui "le tirerait vers le bleu". Une structure fragile qu'un souffle de vent arrache à la terre, comme un cri silencieux lancé au ciel pour dire aux hommes que l'essentiel est ailleurs.

Un livre de Romain Gary, c'est comme une respiration dans une atmosphère de convoitise et de préjugés. Mais quoi qu'il arrive il n'en veut pas aux hommes. Ils ne sont pas responsables. C'est comme ça. C'est le système, dans lequel il implique le grand ordonnateur des choses de ce monde, sans chercher à disserter sur sa nature.

On le savait libre et distant, presque froid, dans les cerfs-volants, le voilà épris et romantique : "Je passai mes dernières heures avec Lila. le bonheur avait une présence presqu'audible, comme si l'ouïe, rompant avec les superficies sonores, pénétrait enfin les profondeurs du silence, cachées jusque-là par la solitude."

La guerre offre un contexte favorable au dévoilement des personnalités. On détecte alors entre tous ces personnages une connivence pour délivrer un ultime message. Ambroise qui se détourne du monde en regardant ses cerfs-volants, Julie Espinoza, le général von Tiele, Hans, Bruno, Marcelin Duprat, Lila bien sûr : ne vous dressez pas les uns contre les autres, la vie donne suffisamment d'occasion de souffrir.

Mais ce point final. Quand on pense que c'est le dernier. Peut-être prémédité ? Posé là derrière un mot, alors qu'il y en aurait eu tant d'autres à crier à la face du monde avant de rejoindre les cerfs-volants dans le ciel.