Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

vendredi 15 juillet 2016

Churchill ~~~~ Sophie Doudet

 



Bien sûr que le nom de Winston Churchill parle à nombre d'entre nous. D'aucun pourra l'associer au Royaume-Uni, à la seconde guerre mondiale, à une silhouette trapue, gros cigare à la bouche, et au fameux V de la victoire figuré avec les deux doigts d'une main dont on lui attribue la paternité.
Mais qui sait, ou se rappelle, qu'il a été un artiste peintre non dénué de talent et que ses écrits lui ont valu le prix Nobel de littérature en 1953.

Etonnant personnage dont il serait vain de tenter de faire le portrait en quelques mots quand une biographie y suffit à peine, aussi bien faite soit-elle, comme celle de Sophie Doudet. Qui n'aurait de goût pour ce genre historico-littéraire pourrait ne lire que le dernier chapitre intitulé "le grand artiste". Car cette appellation convient au demeurant fort bien à ce personnage comme l'histoire n'en produit que très peu. Sans doute faut-il aussi que les circonstances soient exceptionnelles, pour faire émerger de la grande masse anonyme du commun des mortels une personnalité de ce gabarit. Notre époque en manque cruellement.

Winston Churchill a d'autant plus de mérite à son action qu'il l'a conduite dans le plus pur respect des règles de la démocratie, quand les contemporains de son époque contre lesquels il luttait ne s'empêtraient pas de l'obligation de la reconnaissance des peuples : Hitler, Mussolini, Staline, Franco.

Artiste il a été à plus d'un titre, car on peut appliquer ce qualificatif à nombre de ses talents, à commencer par celui d'orateur, galvanisé par l'exercice de ce talent en public et non devant une caméra qui efface les réactions de l'auditoire. Artiste de la formule, de l'humour, d'une piquante répartie dont nombre de ses contradicteurs ont fait les frais. Et faudra-t-il lui adjoindre un talent de visionnaire, car figurez-vous que Churchill, confiant qu'il était dans la force insulaire de son pays, était partisan d'une Europe unie, mais en dehors de la Grande Bretagne. Bluffant non ?

Mais surtout, surtout, il faut admirer la force de caractère hors du commun du personnage, jamais aussi performant que lorsqu'il est dans la difficulté, seul contre tous. Seul même contre Dieu, pour lui arracher autant de sursis dans sa vie, au point de le prolonger jusqu'à 90 ans, alors que son rythme et son régime de vie auraient condamné un être faible à brève échéance.

Pas étonnant qu'il ait ferraillé contre un De Gaulle, autre géant dans l'épreuve, après l'avoir accueilli à Londres avec ces mots : "Vous êtes tout seul – eh bien je vous reconnais tout seul".

Quel personnage, quel mec dirait-on aujourd'hui, fort bien dépeint par Sophie Doudet dans cet ouvrage chez Folio biographies.


samedi 9 juillet 2016

La part manquante ~~~~ Christian Bobin

 


La prose de Christian Bobin n'est jamais qu'une poésie qui s'affranchit de la contrainte de la rime.

Une autre marque de fabrique de cet auteur est son obsession à prendre le contre pied des évidences, du communément admis par la pensée éduquée à l'observation de la vie. Point d'expérience qui vaille, tout est remis en question. le bonheur attriste quand le malheur soulage, la lumière coagule quand le sang étincelle.

Heurts et malheurs du lecteur que je suis, balloté, harcelé par l'indiscipline des phrases courtes qui fusent, par la fulgurance de traits de pensée qui lacèrent mon ciel comme des comètes.

Il faut s'y faire, la pédagogie de l'expérience est bafouée, l'esprit foisonne en désordre. La part manquante est un beau fouillis duquel on a du mal à extirper l'intention de l'auteur. Y'en a-t-il d'autre d'ailleurs que celle de satisfaire un esprit qui cherche à en féconder un autre.

On peut le lire en tout sens, en tout temps. Je perds pied quand même. Attention à l'overdose.
Mais avec Christian Bobin on se rassure, la mort est une naissance. Un ouvrage en appelle un autre.


jeudi 30 juin 2016

Northanger Abbey ~~~~ Jane Austen

 


Résumer l'intrigue de Northanger Abbey peut se limiter à l'énoncé de la question suivante : l'héroïne va-t-elle épouser l'élu de son cœur ? Après avoir lu Orgueil et préjugés, j'ai bien peur que d'autres romans de Jane Austen ne se réduisent à cette seule question. Mais ce pressentiment ne me fera pas reculer à l'idée de les découvrir, ces autres ouvrages. Alors, pourquoi m'infliger la lecture de romans dont l'épilogue transpire dès les premiers chapitres, moi qui n'ai point trop de goût pour langueur et pâmoison ?

Cette auteure connaît trop bien les obstacles que les mœurs de son siècle dressent en travers de la route de deux êtres qui ont trouvé leur complicité. N'en a-t-elle pas elle-même fait les frais ? Elle qui ne connaîtra ni les joies ni les peines du mariage. C'est sans doute pour cette raison qu'elle fait de la publication des bans l'épilogue de ses romans, et s'aventure si peu sur le terrain de la vie de couple.

Seulement voilà, réduire les romans de Jane Austen à leur intrigue est justement trop réducteur. C'est surtout passer à côté de l'essentiel : le style et la langue d'abord, qui font des conversations et des écrits du 18ème siècle des œuvres d'art, la relation des sentiments, qui fait des romans de Jane Austen de véritables analyses psychologiques, l'autopsie de la nature humaine, qui conserve à ses œuvres une modernité intemporelle et enfin l'étude des moeurs de son siècle qui fait de ses ouvrages un support historique irremplaçable.

Le parler des instruits de ce siècle est une dentelle crochetée de tournures verbales au subjonctif. Cette conjugaison autorise des accumulations de propositions subordonnées qui s'enchaînent et s'entremêlent sans alourdir la phrase ni divertir de son sens. Elle confère certes au texte une certaine préciosité qui peut paraître agaçante, mais elle lui donne avant tout un rythme et une musicalité qui compense le travers. Le subjonctif passé n'a ici d'imparfait que dans la concordance des temps.

La naissance du sentiment est chez Jane Austen une alchimie qui échappe à la raison, mais trop souvent contrecarrée par la raison. Accompagné de la montée du désir, il est passionnant de découvrir dans ses lignes la troublante combinaison des élans du cœur et du corps dans la maturation d'une force pulsionnelle pourtant abstinente. Apprenez avec Jane Austen que satisfaire un désir, c'est mourir un peu. Apprenez que le désir est un tyran dont on aime l'odieux acharnement. Le désir n'a de jouissance que dans la quête d'un doux avenir sans cesse ajourné. Le siècle de Jane Austen savait la valeur de l'aspiration irrationnelle et insatiable du désir, il savait que sa prompte satisfaction provoque l'extinction d'une part d'imaginaire et du bonheur qui s'en nourrit. Dans la culture du tout, tout de suite, qui est devenue la nôtre, notre impatience nuit à la montée du désir. Elle le transforme en besoin, dont la satisfaction ne fait qu'obéir à nos instincts et non plus à la sublimation qui seule distingue l'homme de l'animal. Que sait-on aujourd'hui de la volupté du désir inassouvi quand tout doit être accompli avant que d'être conçu ?

Quant à l'irremplaçable étude mœurs de l'époque que constituent les romans de Jane Austen, je cite là un passage qui vaudra à tout un chacun, ou chacune, à n'en pas douter, quelque instant de perplexité : "La plume géniale de l'une de mes sœurs romancières a déjà mis en évidence tous les avantages d'une sottise naturelle chez une jolie fille. Elle a fort bien traité ce sujet, et j'avouerai simplement, pour rendre justice aux hommes, que si, en majorité et pour les moins intéressants d'entre eux, ils considèrent que la bêtise rehausse grandement les charmes personnels d'une femme, il en est cependant certains qui ont trop de savoir et d'instruction eux-mêmes pour désirer chez une femme plus que de la simple ignorance". Voilà de belles tournures pour dire les choses, comme savait le faire la langue de ce siècle. C'est du Jane Austen pur sucre quand elle s'adresse directement à son lecteur. Elle le fait souvent dans cet ouvrage.

Gageons qu'avec des avancées de ce gabarit dans la connaissance de la psychologie humaine, on s'y retrouve encore quand les temps seront devenus modernes au point de ne plus nous compter dans leurs rangs. Mais je veux bien qu'il me reste encore quelques soirées de lecture pour me délecter d'autres suavités comme celle-là. Elles compensent largement le quota de futilités qui peuplent l'esprit des jeunes filles en fleur. Car de la futilité à la philosophe, il n'y a qu'un pas dans les ouvrages de Jane Austen.


mercredi 29 juin 2016

Le Colonel Chabert ~~~~ Honoré de Balzac

 


Honoré de Balzac a trouvé le titre universel qui peut contenir tous les ouvrages de la création. Quels qu'ils soient, ils ne seront jamais que des actes de la Comédie humaine.

Je regardais mes compagnons de voyage dans le TGV qui me transportait vers Marseille. Qui à faire l'important en ouvrant son ordinateur, qui à faire l'importun en parlant fort, qui à lire son journal, et m'adressais à eux en moi-même : n'avez-vous pas le sentiment que ce qui vous occupe et vous distrait de l'essentiel n'est que futilité, qu'agitation dans la grande comédie humaine ? Jusqu'à ce que le grand rideau tombe sur cet acte qui vous donne la vedette.

Et moi donc ? Et bien figurez-vous qu'en ce moment même où vous êtes persuadé d'avoir le premier rôle, je suis en compagnie d'un certain Honoré de Balzac. Il me ravit de sa langue, de son imagination, de son humour parfois, de son humanisme toujours. Je suis avec le Colonel Chabert, vivant parmi les morts, mort parmi les vivants, et qui sacrifiera les importances de la vie terrestre à la tranquillité de son âme.

Marseille, déjà. Je n'ai pas vu le paysage.

jeudi 9 juin 2016

Fleur de tonnerre ~~~~ Jean Teulé

 



J'avais digéré « Charly 9 ». J'avais trouvé ça un peu décalé, comme beaucoup j'imagine. Mais je m'étais toutefois promis de faire un effort d'ouverture d'esprit. J'ai voulu me hisser vers les sommets pointés par les critiques dithyrambiques. J'ai donc risqué « Fleur de Tonnerre ».
Mais non, ça ne passe pas ! page 100, je craque. J'ai fait un effort, je parvenu au tiers du chemin, mais je n'en peux plus. Je jette l'éponge et laisse cette prose loufoque à ceux qui ont une élévation intellectuelle suffisante pour apprécier la qualité de l'œuvre.

Je n'aime pas le style heurté, enjolivé de grossièretés sous prétexte d'humour. Quant au récit, il est décousu et part dans tous les sens. Les digressions saugrenues m'horripilent quand elles sont le lot de chaque page. Je ne parviens pas à lire les phrases d'un seul jet sans m'interroger sur ce que je viens de lire.

Je laisse ces divagations labyrinthiques au snobisme intellectuel supérieur. Je conviens de ma modicité intellectuelle. La lecture est pour moi synonyme de plaisir, pas de supplice.
Et comme après une chute de cheval, il faut remonter en selle tout de suite ou jamais, je vais chercher un autre livre sur les rayons de ma bibliothèque. Merci Jean Teulé de me donner l'occasion d'affirmer qu'il en faut pour tous les goûts. Je ne critiquerai pas ceux qui se délectent de vos ouvrages.


mardi 31 mai 2016

L'œuvre au noir ~~~~ Marguerite Yourcenar




Quelques bouquins avalés à la hâte avaient forgé mon orgueil et je me targuais d'érudition. Je me croyais armé pour défier Marguerite Yourcenar. Avec son "look" de paysanne du terroir, elle n'impressionnait pas le jeune coq que je suis en littérature.

Il m'avait quand même fallu élever un peu le regard avec Mémoires d'Hadrien, et mesurer du même coup l'ombre que répandait sur mes certitudes la dimension de son auteure. Mais soit, cette ouverture sur l'antiquité m'avait mis du baume au cœur. N'était-ce pas une « période dorée » comme le disait elle-même Marguerite à Bernard Pivot dans un entretien en son refuge américain.

C'est avec Zénon, le héros de L'Œuvre au noir, que j'ai poursuivi mon bras de fer avec le monstre d'érudition. Au gré des chapitres, j'ai partagé la vie d'errance de l'alchimiste. Lui pourchassé par l'obscurantisme d'une religion qui n'admet ni concurrence ni contradiction, moi par les mêmes démons que ceux qui m'ont conduit sur les chemins de l'école buissonnière.

Je me rends compte très vite que Marguerite Yourcenar a placé la barre très haut. Elle a en outre convoqué dans cet ouvrage tant de célébrités des temps anciens qui me sont inconnues, que la solitude m'étreint dans ce monde surpeuplé. Pas étonnant que je ne perçoive que froideur chez les contemporains de Zénon. Il faut dire aussi que, convaincus d'une foi qui nous est aujourd'hui étrangère, ils sont capables d'avancer vers le bûcher avec moins de trouble que moi vers le siège du dentiste.

Zénon rêve de liberté. Celle-là même qui nous fait aujourd'hui récuser les lois de la nature. Philosophe, il trouve dans la sagesse compensation à sa privation. C'est un grand observateur de son temps. Son point de vue donne à Marguerite Yourcenar prétexte à développer le sien propre sur cette époque intraitable envers qui oserait avancer que la terre tourne autour du soleil.

Alchimiste, il croit à l'immanence de la matière, la transmutation du plomb en or. Malgré les efforts de la science pour nous convaincre du leurre, ce rêve insensé nous est resté. Mais les jeux de hasard se sont substitués au plomb dans une alchimie encore plus subtile dont on connaît le bénéficiaire.

Médecin, Zénon redevient réaliste. La plus grande qualité de l'époque pour un tel praticien étant le fatalisme, en la maladie il détecte une raison supérieure, en la souffrance une punition. Quand pour nous le refus de la douleur est devenu une exigence. Humaniste, il regrette cependant ce que les hommes font de leur vie. Les espoirs qu'il tire de son idéalisme forcené sont battus en brèche par une religion qui gouverne les esprits en ce XVIème siècle en Europe. Il lui récuse néanmoins le monopole de la vérité : "Je me suis gardé de faire de la vérité une idole, préférant lui laisser son nom plus humble d'exactitude".
Seul un personnage fictif pouvait regrouper autant de qualités pourtant parfois difficiles à faire cohabiter dans le même esprit. Il est construit sur mesure et donne ainsi à Marguerite Yourcenar le champ pour développer ce que son esprit foisonnant peut concocter afin de faire passer son message.

S'il est vrai que la quête alchimique commence par l'introspection, L'Œuvre au noir m'a renvoyé à mes insuffisances. Voilà un ouvrage propre à redonner de l'humilité à qui voudrait se glorifier d'une culture qu'il n'a pas. Il s'en trouvera forcément détrôné au sortir d'un tel ouvrage. Je ne dirai pas que cette lecture m'a comblé de bonheur. Chaque page est si lourdement chargée d'autant de volumes ingurgités par son auteure pour en sculpter chaque phrase que mes frêles épaules ont ployé.

Me voilà dépité au sortir de mon empoignade. Une fois de plus je n'ai pu que mesurer la hauteur de la montagne dont le sommet se perd désormais dans les nuages. Me voilà renforcé dans ma conviction de persévérer pour combler ce que les dissipations de mes universités ont pu me faire accumuler de lacunes.

Le sourire malicieux figé sur le masque de celle que je voyais comme une paysanne du terroir m'a fait comprendre l'inégalité du combat. Quand tu ne peux pas abattre ton ennemi, embrasse-le. Marguerite, je t'aime un peu, beaucoup, à la folie. Même si tu es sévère avec mon pauvre discernement, je reste beau joueur.


lundi 23 mai 2016

Le Très-Bas ~~~~ Christian Bobin



"Qui a bâti la maison souillée par ses habitants ?"

Voilà le Très-Haut mis en question dans sa toute puissance. Aurait-il perdu le contrôle de Sa créature. Elle s'écarte inexorablement du chemin de l'amour. Ses colères n'y font rien, Dieu serait-il fatigué ? Las de voir Sa créature se fourvoyer dans l'indignité alors que depuis des siècles des voix ne cessent de la rappeler à "l'infinie douceur".

En s'appropriant la démarche de François d'Assise qui a trouvé sa voie dans la pauvreté et l'amour de son prochain, Christian Bobin imagine un "Dieu à hauteur d'enfance", un Dieu magnanime, le Très-Bas, qu'il espère capable de conserver en l'homme son innocence originelle.

"Le treizième siècle parlait au coeur… le vingtième parle pour vendre, il lui faut flatter l'oeil". Ivre de sa puissance, l'homme de ce siècle - dont tu es, toi le lecteur - n'a plus foi qu'en l'économie et le sexe.

Voilà un texte qui multiplie les figures de style. Christian Bobin est un maître dans l'art du suggestif et de l'évocateur. Il fait appel à d'innombrables images pour stimuler l'imaginaire et tenter d'extraire l'homme de sa soif de jouissance des biens terrestres.

Tant d'évidences, et pourtant, qui les entend ? Un roman dans lequel filtre la déception, l'inquiétude. 

vendredi 6 mai 2016

Charly 9 ~~~~ Jean Teulé

 

J'avoue avoir du mal avec l'écriture de Jean Teulé. Elle me bouscule, me perturbe y compris dans l'acte de lire. Je comprends bien que c'est délibéré de sa part. Avec Charly 9, il entre de plain-pied dans le registre historique. Il saute à pieds joints dans le plat de la grande histoire.

Je crois y déceler une intention de désacralisation de l'Histoire. Ne tire-telle pas ses lettres de noblesse du respect que l'on s'impose envers nos ascendants, du seul fait qu'ils ne sont plus. Je vois dans le style de Jean Teulé une forme d'anti conformisme dans sa relation à cette discipline. Sa manière de l'aborder est tout sauf factuelle et chronologique. Elle est comme un éclat de rire pendant un enterrement. Cela dérange les affligés. Ne méprise en aucun cas le défunt. de toute façon ce dernier s'en moque.

Jean Teulé reste, accessoirement, fidèle au fait historique. Son style n'en constitue nullement une remise en question. Il échafaude simplement une autre approche de la relation du conteur à son auditoire. Il veut aborder l'histoire avec un état d'esprit différent. La désinvolture en est un. N'est-ce pas Charly ?

Il y a chez lui une forme d'anticipation rétroactive que n'auraient pas dédaignée les révolutionnaires de 1789. Il envisage une remise en question de la légitimité du pouvoir royal selon la conception de l'ancien régime. Ne se réclame-t-elle pas de droit divin dans son fondement ? Excusez du peu.

Selon Jean Teulé le droit divin ne fait pas le roi. le grand ordonnateur des choses de ce monde peut aussi se tromper. Mais oui ! Charles IX n'était pas fait pour être monarque. Il n'en avait ni l'âge ni le caractère. Il était surtout, même adulte, trop influencé par sa mère. Et comme avec tout être qui ne se gouverne pas par lui-même les choses ne sont ni simples ni claires. A ce niveau de pouvoir, l'indétermination se solde dans l'horreur. Une tâche de sang parmi d'autres dans les pages de nos livres d'histoire, certes bien marquée quand même : la Saint-Barthélemy.

L'humour est une autre façon de traiter le sordide. La moquerie une autre façon de plaindre. L'ironie une autre façon de blâmer. Jean Teulé bouscule l'establishment historiographique avec sa maestria dans l'art de surprendre. Cela peut déconcerter. Cela peut séduire. Mais pourquoi pas !


dimanche 24 avril 2016

Berezina ~~~~ Sylvain Tesson

 


Je suis encore engourdi par le froid à la fermeture de cet ouvrage. Mais J'ai aimé la formule. Récit d'aventure sur fonds de commémoration historique d'un événement que l'on préfère effacer notre mémoire collective.

C'est oublier dans tout ça les êtres humains perdus dans l'immensité glaciale, lacérés par le blizzard, tenaillés par la faim, harcelés par les cosaques, ne trouvant nul autre refuge que les griffes du général hiver dans leur retraite honteuse. C'est cette perspective à l'issue fatale que Sylvain Tesson tente d'appréhender en refaisant le parcours de la retraite de Russie de 1812. Elle a laissé dans notre vocabulaire cette expression imagée symbole d'une déroute monumentale : Berezina. Il a voulu s'imprégner du paysage, se frotter aux frimas pour s'approcher de l'état d'esprit qui a pu tomber sur les têtes de ces soldats aux uniformes autrefois chamarrés devenus des pauvres hères promis à la mort.

Sylvain Tesson y fait le parallèle entre la mentalité qui pouvait animer les contemporains de 1812, galvanisés par l'empereur, au point d'aller mourir dans ses folles équipées guerrières, tout en lui conservant étonnamment leur vénération, et celle de notre époque, pour une question : pareille équipée serait-elle envisageable de nos jours ?

Mais il pose une autre question en corollaire. Que serions-nous capables de supporter qui approche les souffrances endurées par nos ancêtres ? Nous qui n'acceptons plus les lois de la nature, nous qui sommes prompts à protester et à nous plaindre dès que notre confort est écorné un tant soit peu.

Voilà un ouvrage qui ne se donne pas de prétention philosophique mais qui pourrait quand même en afficher. Il est en outre plaisant à lire avec l'humour froid de son auteur, pas autant que le climat des steppes russes, mais bien piquant quand même. J'ai beaucoup aimé.


dimanche 20 mars 2016

Grossir le ciel ~~~~ Franck Bouysse

 


C'est bien vrai qu'il est difficile de le lâcher ce livre. Il s'est accroché à mon souvenir chaque fois que je l'ai posé. Gus, son héros, m'attendait sur la table du salon, du bureau, m'appelait dès que distrait de sa vie par la mienne. Ne me délaisse pas au hasard de tes occupations. Laisse-moi te raconter la suite. Je n'ai personne à qui parler. Autant que ce soit toi. Tu ne sais pas encore pourquoi.

Pourquoi quoi ?

Pourquoi, la solitude ! Celle qui me colle à la peau, comme seul le destin sait la façonner. Gluante et opiniâtre. Son matériau c'est la rancoeur. 
La rancoeur d'une enfance sans caresse, sans sourire, sans consolation, depuis que la mémé est partie. Une enfance coincée entre des parents qui ne se rencontraient que dans la sauvagerie des pulsions du père. Ça lui a coûté la vie au père, d'ailleurs. Embroché à la fourche, en plein rut. Appelons les choses par leur nom. Ce n'était rien d'autre.


A la solitude au milieu des adultes a succédé la solitude tout court. Cette mutation a d'abord été la bienvenue dans ce paysage de ressentiments. Puis à la longue, Gus a bien tenté de s'en distraire. Il s'est entiché d'Anna, la fille de la ferme d'à côté. Mais il n'a reçu que mépris pour toute réponse de sa convoitise. Alors il est resté chez lui et l'amour, il l'a trouvé ailleurs. Dans le regard de Mars, son chien. Il s'en est satisfait. Car Gus, c'est tout sauf un tordu. Il aurait pourtant pu le devenir, avec l'enfance sans amour qu'a été la sienne. Il est seulement désenchanté.
Et passent les jours dans la rude campagne cévenole. Quand de rares visiteurs s'aventurent vers sa ferme, aux Doges, en quête de son suffrage, fussent-ils banquier, acheteur de ses terres ou évangéliste, c'est peine perdue s'ils lui parlent d'avenir.

Lorsque Abel, le voisin, un solitaire lui aussi, s'est manifesté pour nouer des relations d'entre-aide, soi-disant, Gus y est allé sur la pointe des pieds, incrédule et maladroit, mais armé de prudence. Il est bizarre ce vieux.

Cet ouvrage n'est pas un roman du terroir. Son credo n'est pas celui de la nostalgie du bon vieux temps, tableau noir et encre violette. Il ne s'alanguit pas de la patine qui adoucit les meubles au toucher, les gens au caractère. Ce n'est pas non plus un roman à suspense. Il ne dévoile pas à la dernière page la solution de l'énigme qu'il a soulevée à la première. Son intérêt n'est pas dans son mystère. Son intérêt, c'est le bouillonnement qui perturbe le coeur de Gus. Car il a un coeur cet ours.

Je me suis plu à relire les citations que les uns et les autres avaient publiées sur Babelio. Je me suis confirmé dans le fait que cette écriture sans artifice est de celle qui parle au coeur, sans en avoir l'air. Car des phrases joliment tournées, il y en a. Elles ont retenu l'attention de nombre de lecteurs.

Grossir le ciel est un ouvrage prenant. Il dépeint des personnages épineux, plus vrais que nature. Des caractères forgés par l'aridité du pays. Il instaure un climat énigmatique autour d'un personnage attachant. On devient méfiant avec lui. On craint le tournant de chaque page. Il faut dire que la vie ne lui a pas fait de cadeau.

Et puis, qu'est ce que ça veut dire ce titre un peu curieux, Grossir le ciel ? Espoir ou désespoir ?
Faites-vous votre propre idée, vous ne serez pas déçu.